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Full text of "Les alliés à Constantinople. Le Service de santé du Corps d'occupation français, son oeuvre militaire, médicale et sociale, avec 3 cartes et 8 photographies hors-texte"

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A. DEJOUANY & L. BELBÉZE 

MGdecie Principal de i r « Classe Médecin-Major de i re CImw 


US ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

LE SERVICE DE SANTÉ 

18 ■■ÎM 

CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

Son Œovre Militaire, Médicale et Sociale 

Avec 3 cartes et 8 photographies hors-texte 


Préface de Monsieur le Médecin Inspecteur général TOUBERT 


Le Cadre et le Milieu. — Le Corps d’Occupation Français : 
sa morbidité, sa mortalité, son Service de Santé. — L’Hygiène 
publique et l'Organisation Sanitaire Ottomane. — Le Pro^ 
blême épidémiologique du Proche-Orient. — La Prostitution 
et les Maladies Vénériennes à Constantinople. — L'Œuvre 
d’Assistance et les Réfugiés de l’Armée Wrangel. 


PARIS (V*) 

LES PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 

4g, Boulevard Saint-Michel, 4g 






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OSLER LIBRARY 
McGILL UNIVERSITY 
MONTREAL 


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LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

LE SERVICE DE SANTÉ 
DU CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

Son Œuvre Militaire, Médicale et Sociale 


















A. DEJOUANY & L. BELBÉZE 

Médecin Principal de i re Classe Médecin-Major de i re Classe 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


LE SERVICE DE SANTÉ 
CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

Son Œuvre Militaire, Médicale et Sociale 

Avec 3 cartes et 8 photographies hors-texte 


Préface de Monsieur le Médecin Inspecteur général TOUBERT 


Le Cadre et le Milieu. — Le Corps d’Occupation Français : 
sa morbidité, sa mortalité, son Service de Santé. — L’Hygiène 
publique et l’Organisation Sanitaire Ottomane. — Le Pro 
blême épidémiologique du Proche-Orient. — La Prostitution 
et les Maladies Vénériennes à Constantinople. — L’Œuvre 
d’Assistance et les Réfugiés de l’Armée Wrangel. 


PARIS (V e ) 

LES PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 

49 , Boulevard Saint-Michel, 49 
1925 


















PRÉFACE 


Les événements, dramatiques autant qu’imprévus, 
dont le Proche-Orient n’a cessé d’être le théâtre, depuis la 
fin de la Grande Guerre, maintiennent cette région au 
premier plan de l’actualité. Le remous de toutes ces agita¬ 
tions s’est fait sentir jusqu’à Constantinople, qui fut et qui 
reste le trait d’union entre l’Europe et l’Asie. Et la France, 
en collaboration avec deux nations alliées formant le corps 
d’occupation de Constantinople, depuis le traité de Sèvres 
d’août 1920 jusqu’au traité de Lausanne d’août 1923, a eu 
à jouer, vis-à-vis de la nation turque, un rôle d’« associée », 
justifié par une tradition plusieurs fois séculaire. 

;'Or, le Service de santé militaire du corps d’occupation 
français, fut toujours à la peine et souvent à l’honneur, 
pendant ces trois dures années. C’est l’histoire de l’œuvre 
militaire, médicale et sociale de ce Service que le médecin 
principal Dejouany et le médecin-major Belbèze viennent 
d’écrire. 

Leur livre est d’un si puissant intérêt, la lecture en est si 
prenante, que l’on ne peut se résoudre à l’interrompre 
après l’avoir commencée. Mais ces pages appellent la ré¬ 
flexion, la méditation. Et la brochure, d’abord fermée, est 
rouverte, plus tard, sur tel ou tel chapitre qui a plus forte¬ 
ment retenu l’attention. Tous ceux que passionnent l’his- 

Dejouany \ 





2 PRÉFACE 

toire, la psychologie, l’art militaire, la prophylaxie sociale, 
en feront un de leurs livres de chevet. 

Le premier chapitre est d’histoire militaire et politique , 
en un raccourci frappant de nettete et de précision, il coor¬ 
donne les événements, confus au premier abord, des trois 
années qui séparent les deux traités de paix signés avec la 
Turquie, celui de Sèvres et celui de Lausanne. Le suivant 
est un chapitre de géographie, à la fois littéraire et docu¬ 
mentaire, de climatologie, d’hygiène et de démographie de 
la région de Constantinople. L’organisation de la Santé 
publique ottomane et l’œuvre considérable des Commissions 
sanitaires interalliées sont développées dans le troisième 
chapitre, qui représente une remarquable étude d’hy¬ 
giène prophylactique vécue. Les deux chapitres suivants 
montrent l’organisation du Service de santé, et peuvent 
servir de modèles pour l’application à une série de cas 
concrets, souvent délicats, des formules générales inscrites 
dans les règlements du Service de santé militaire du temps 
de guerre ou du temps de paix. L’avant-dernier chapitre 
est l’histoire de la lutte antivénérienne menée contre une 
prostitution extraordinairement agressive : elle met en 
relief les résultats favorables que peut donner une méthode 
étudiée scientifiquement et appliquée avec la discipline 
sévère, mais intelligente, imposée par un haut commande¬ 
ment particulièrement averti de l’importance de ces ques¬ 
tions. Quant au dernier chapitre, c’est le récit émouvant 
de l’assistance aux réfugiés, de races, de nationalités, de 
religions diverses, dont le flot déferla sur Constantinople, 
assistance donnée avec une simplicité généreuse qui en 
décuplait la valeur. 

En me faisant l’honneur de me charger de la présentation 
de leur livre, le médecin principal Dejouany et le médecin- 
major Belbèze, me permettent de rendre, une fois de plus, 
un public hommage de cordiale gratitude non seulement à 


PRÉFACE 


3 

leur œuvre personnelle, si originale, si puissante, si atta¬ 
chante, mais également à l’œuvre de leurs prédécesseurs 
et de leurs successeurs à ce corps de santé d’Orient, où le 
Français a toujours à cœur de justifier, là-bas comme 
partout, la belle parole de l’immortel Pasteur : 

« On ne demande pas à un malheureux : De quel pays 
et de quelle religion es-tu? — On lui dit : Tu souffres, cela 
suffit. Tu m’appartiens et je te soulagerai ». 


Médecin-inspecteur général Toubert. 











AVANT-PROPOS 


En exécut on du Traité de Paix, signé à Lausanne, le 
24 août 1923, entre les Représentants des Puissances alliées 
et ceux du Gouvernement de la Grande Assemblée natio¬ 
nale d’Angora, les Corps d’occupation français, anglais et 
italien, qui stationnaient en différents points du territoire 
de la Turquie, de la Thrace orientale et de la Maritza, ont 
été rappelés. Le rapatriement des troupes françaises, com¬ 
mencé le 8 septembre 1923, fut terminé, conformément aux 
stipulations du Traité, moins de quarante jours après sa 
signature. Le 2 octobre, le Médie II quittait la rade de 
Constantinople, emmenant à bord à destination de Mar¬ 
seille, nos dernières unités. 

Le Corps d* occupation français de Constantinople a vécu 
trois années, d’octobre 1920 à octobre 1923. La période 
antérieure appartient à l’Armée d’Orient, dont les diffé¬ 
rents éléments, après avoir longtemps combattu sur le front 
de Macédoine et à travers la Serbie jusqu’au Danube, s’es¬ 
saimèrent sur toute l’étendue de l’Echiquier balkanique, 
confié à leur garde. En octobre 1920, à la suite de profonds 
remaniements, l’immense organisme qu’avait été l’Armée 
d’Orient devint le Corps d’occupation de Constantinople, 
dont les effectifs réduits et la mission nouvelle étaient 
adaptés à la solution des problèmes qui restaient à résoudre, 
plus particulièrement avec la Turquie. 

Quel a été au cours de cette occupation l’état sanitaire 
de nos troupes ? Quel a été le rôle du Service de santé du 





6 


AVANT-PROPOS 


Corps français, tant dans son cadre militaire, que dans son 
action interalliée, dans ses relations avec la Nation turque, 
dans le domaine de l’hygiène et de l’épidémiologie du Proche- 
Orient ? Quels efforts a-t-il accompli, quels résultats a-t-il 
obtenu ? C’est ce qu’il nous a paru intéressant de traiter dans 
une étude d’ensemble. Nous avons utilisé, dans ce but, les 
renseignements de toute nature que, pendant notre passage 
à la Direction du Service de santé du Corps d’occupation, 
nous avons recueillis, épars dans maints rapports, notes, 
états périodiques, etc...; nous nous sommes adressés égale¬ 
ment aux documents officiels des Corps alliés, aux bulletins 
des Commissions sanitaires interalliées, aux délibérations des¬ 
quelles nous avons pris une part active. Témoins de l’orga¬ 
nisation sanitaire de nos Alliés, ayant actionné et contrôlé 
certains rouages de l’Administration sanitaire ottomane, 
ayant joué un rôle d’assistance important auprès des étran¬ 
gers, nous avons voulu noter ici ce que nous avons vu et 
observé. 

La partie médicale et technique de ce travail est précédée 
d’un historique rapide des événements politiques et mili¬ 
taires qui ont déterminé le passage du dispositif de l’Armée 
d’Orient à celui du Corps d’occupation et qui, par la suite, 
ont marqué l’existence même du Corps d’occupation de 
Constantinople. Les clauses principales de l’Armistice de 
Moudros, du Traité de Sèvres et du Traité de Lausanne, 
ont fait l’objet d’une mention spéciale. 

Nous avons examiné d’abord le cadre et le milieu dans 
lesquels s’est trouvé placé le Corps d’occupation, la morta¬ 
lité et la morbidité de la population civile en régions occu¬ 
pées, l’organisation de la Santé publique ottomane. Nous 
avons ensuite passé en revue le dispositif réalisé par le Ser¬ 
vice de santé militaire français, son organisation et son 
fonctionnement. Un chapitre a été consacré à l’étude de 
Vétat sanitaire de nos troupes, des affections dominantes 







AVANT-PROPOS 


7 


observées dans leur milieu, des principaux épisodes morbides 
qui survinrent à Certaines phases de l’occupation et qui 
furent conditionnés par des facteurs divers, épidémiolo¬ 
giques, climatiques, régionaux. Dans cet exposé, nous avons 
souligné surtout les traits essentiels, susceptibles de carac¬ 
tériser nettement la morbidité générale ; l’analyse des af¬ 
fections qui, par leur fréquence ou leur gravité, avaient 
fait peser une lourde menace sur la collectivité militaire, 
a paru mériter un plus long développement. 

La guerre sans merci que les Alliés ont déclarée à la pros¬ 
titution et aux maladies vénériennes, si répandues à Cons¬ 
tantinople, justifiait une mention particulière et un résumé 
détaillé de l’œuvre d’assainissement physique et moral à 
laquelle s’est vouée, jusqu’à la fin de l’occupation, la Com¬ 
mission sanitaire interalliée antivénérienne. ' 

Cette bienfaisante action interalliée s’est également ma¬ 
nifestée au sein de deux Commissions importantes dont il 
sera question : la Commission d'hygiène urbaine et la Com¬ 
mission sanitaire interalliée maritime et des frontières , à l’ac¬ 
tivité de laquelle le Service de santé français a été particu¬ 
lièrement associé. Le rôle de cette Commission a été pré¬ 
pondérant. Pendant la période troublée qui suivit l’Armis¬ 
tice, les épidémies les plus meurtrières sont arrivées jus- 
9** portes de Constantinople, mettant en péril la capi¬ 
tale, les troupes alliées, l’Europe occidentale elle-même ; si 
le danger fut conjuré, c’est en partie grâce aux mesures 
vigilantes et énergiques prises par cette Commission, uti¬ 
lement secondée par l’Administration ottomane. 

Un chapitre est réservé au rôle d'assistance qu’eût à assu¬ 
mer le Service de santé militaire français envers les étran¬ 
gers malheureux, notamment envers les 135.000 réfugiés 
russes de l’armée de Wrangel,qui, en novembre 1920, s’abat¬ 
tirent en quelques jours sur Constantinople, et qu’il 
fallut héberger et traiter, au milieu des plus lourdes diffi- 





8 


AVANT-PROPOS 


cultés. Aucun problème plus ardu, plus angoissant, ne pou¬ 
vait se poser avec plus de rigueur au Service de santé fran¬ 
çais, en dehors de toute opération de guerre. L’œuvre de 
charité, entreprise à cette occasion et poursuivie quinze mois 
sans défaillance, honore le nom français. 

Nous avons pensé ne pouvoir mieux compléter ce travail, 
qu’en consacrant quelques lignes à la pieuse mission, rem¬ 
plie par le Service de l’Etat-civil du Corps d’occupation, 
qui a eu la charge du rapatriement des corps, du groupe¬ 
ment des tombes et de la réorganisation des cimetières où 
dorment, sous la garde du «Souvenir Français» de Constan¬ 
tinople, les morts de Crimée et de la Grande Guerre, que nous 
avons laissés sur la terre d’Orient. 




CHAPITRE PREMIER 


De l’Armée d’Orient au Corps d’occupation de Constan¬ 
tinople. Les principaux événements de l’occupation. 
Le dispositif général français. Les effectifs anglais et 
italiens. 


i 

La foudroyante offensive déclanchée le 15 septembre 1918 
par le Général Franchet d’Esperey en Macédoine, libérait une 
partie du territoire envahi de la Serbie et amenait la capitula¬ 
tion delà Bulgarie, qui signait le 29 septembre l’Armistice de 
Salonique ; la libération de tout le territoire serbe suivait 
bientôt.L’Autriche,mise en péril,et l’Allemagne se trouvaient 
coupées de la Turquie, dont les troupes, pressées elles-mêmes 
de toutes parts en Turquie d’Asie, allaient être rapidement 
disloquées et réduites à merci. Le front de l’Armée otto¬ 
mane, commandée par le général allemend Liman Von San- 
ders, avait été rompu le 18 septembre au nord de Jaffa par 
le général Allenby, qui occupait successivement la Palestine 
et la Syrie, atteignant Beyrouth le 15 octobre et Alep le 27. 
Pendant ce temps, les troupes turques étaient également 
défaites en Mésopotamie ; Mossoul était occupé par les An¬ 
glais. Le Gouvernement de Constantinople, désemparé, si¬ 
gnait le 30 octobre 1918 VArmistice de Moudros . L’accord 
ainsi intervenu est capital : il a déterminé les conditions de 








10 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


l’occupation et dominé jusqu’à la cessation de cette dernière 
en octobre 1923, la situation diplomatique générale. Ses 
clauses essentielles étaient : ouverture des Dardanelles et 
du Bosphore et libre accès à la Mer Noire — Occupation mi¬ 
litaire par les Alliés des forts des Dardanelles et du Bosphore 

— Démobilisation immédiate de l’Armée turque, non com¬ 
pris les troupes de frontière et celles préposées à la police 
intérieure — Reddition de tous les bâtiments de guerre 
et internement dans les ports turcs désignés — Occupation 
éventuelle de tous les points stratégiques — Contrôle par 
les Alliés des stations de T. S. F., des câbles et de tous les 
chemins de fer turcs — Occupation de Batoum et de Bakou 

— Reddition de toutes les garnisons de Syrie, de Mésopota¬ 
mie, retrait des troupes de Cilicie, reddition de tous les ports 
et de tous les officiers turcs en Tripolitaine et en Cyrénaïque 

— Évacuation dans le délai d’un mois de tous les sujets alle¬ 
mands ou autrichiens civils ou militaires. — Obligation pour 
la Turquie de cesser toutes relations avec les puissances cen¬ 
trales. La Turquie, à bout de souffle, désorganisée, ruinée, 
se livrait à l’Entente qui.allait assumer la tâche de réorga¬ 
niser politiquement l’Orient. 

La défaite de la Bulgarie et celle de la Turquie étaient 
bientôt suivies, le 4 novembre, de l’effondrement de l’Au¬ 
triche et, le 11 novembre, de la signature par l’Allemagne 
vaincue de l’armistice de Rethondes. La capitulation des 
Empires Centraux finissait de nous ouvrir les portes de 
l’Orient, dont les soldats alliés venaient de commencer 
l’occupation. 

Le 10 novembre 1918, un destroyer débarquait à Cons¬ 
tantinople les premières troupes françaises. Le 15, les flottes 
alliées jetaient l’ancre dans le Bosphore. Le général Franchet 
d’Esperey arrivait le 22 dans la capitale ottomane. Le 24 
novembre, l’Armée d’Orient occupait la Serbie (général 
Henrys), la Bulgarie (général Chrétien), la Hongrie et la 
Transylvanie où stationnaient trois divisions françaises et 
huit divisions roumaines reconstituées par le général Ber- 
thelot revenu en Roumanie, Constantinople, les Dardanelles 



LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS lf 

les bords de la Mer Noire, Odessa et la Crimée (général 
Anselme). 

Ces vastes étendues de territoire furent tenues par les 
troupes Alliées qui composaient l’Armée d’Orient pendant 
toute la durée des travaux de la Conférence de Paris. Les 
trois premiers traités qui furent conclus, celui de Saint- 
Germain avec l’Autriche (10 septembre 1919), le traité de 
Neuilly avec la Bulgarie (27 septembre 1919), le traité de 
Trianon avec la Hongrie (4 juin 1920) furent ratifiés et 
exécutés au moins dans leur ensemble. Cela permit en res¬ 
serrant les zônes d’occupation de comprimer les effectifs. 

Au premier décembre 1919, l’effectif global des contin¬ 
gents français tombait à 46.961 dont 1.504 officiers. Au pre¬ 
mier juillet 1920, il n’était plus que de 20.086 hommes, dont 
17.609 étaient stationnés en Turquie, et 2.477 seulement 
hors de Turquie, dont 1.894 à Salonique, où ils constituaient 
les troupes d’étapes et des services de liquidation de Macé¬ 
doine, et 583 à Sofia où ils étaient préposés à la garde de la 
ligne de communication Belgrade-Sofia. 

Mais alors que le calme renaissait dans les nations bal¬ 
kaniques, l’orage grondait en Turquie d’Asie. Sous l’impul¬ 
sion de Mustapha Kémal, un gouvernement révolutionnaire 
s’installait à Angora, appuyé par l’Assemblée Nationale 
qu’il avait réunie ; il décidait de combattre le Gouvernement 
régulier de Constantinople désemparé et de s’opposer à 
l’application des conditions de paix qu’on voulait imposer 
à la Turquie. 

Les délégués ottomans de Constantinople signaient en 
effet, le 11 Août 1920, le Traité de Sèvres. Aux termes de 
ce traité, les Turcs ne conservaient plus en Europe que Cons¬ 
tantinople et une zone de terrain presque négligeable. En 
Asie, seule l’Anatolie leur était laissée ; encore Smyrne était- 
elle attribuée à la Grèce, à laquelle étaient livrées par ailleurs 
Andrinople, la Thrace et les îles de la mer Egée. Une Com¬ 
mission spéciale et des forces internationales étaient char¬ 
gées du contrôle et de la garde des Détroits. L’Arménie était 
déclarée Etat indépendant. La France se chargeait de la 



12 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


tutelle de la Syrie, l’Angleterre de celle de la Mésopotamie 
pendant le temps qui était nécessaire à ces deux pays pour 
se constituer Etats libres. La Palestine était soumise à un 
statut spécial sous l’administration de l’Angleterre. 

L’assemblée nationale d’Angora proclamait aussitôt qu’elle 
ne ratifierait pas le traité et qu’elle recommencerait la lutte, 
mettant ainsi la France dans l’obligation d’envoyer une 
armée en Syrie et en Cilicie. Les Grecs de leur côté étaient 
amenés à renforcer leurs troupes d’occupation de Smyrne 
et à se préparer à en défendre la possession aux troupes na¬ 
tionalistes. A Athènes, un mouvement populaire provoquait 
l’effrondrement du Premier ministre Vénizelos et le rappel 
du roi Constantin (novembre 1920). 

Ainsi donc le traité de Sèvres était loin de ramener le 
calme en Orient, puisqu’il occasionnait de nouveaux conflits 
et que la Turquie d’Asie, déjà en rébellion contre l’auto¬ 
rité du Sultan, se dressait contre les Grecs et contre les Alliés. 
L’attention allait se concentrer sur l’Anatolie. A Constanti¬ 
nople, où la France avait envoyé le général Pellé (10 dé¬ 
cembre 1920) comme Haut-Commissaire, un Gouvernement 
sans prestige et sans moyens d’actions, ne se maintenait 
que par la faveur du Sultan ; il était dans l’impossibilité, 
de réduire le mouvement nationaliste d’Angora, comme aus; i 
de résister aux Alliés. Andrinople et la Thrace étaient soli¬ 
dement occupées par les troupes helléniques qui stationnaient 
ainsi presque aux portes de Constantinople. La sécurité 
des Alliés dans la Capitale Ottomane, vers laquelle avaient 
convergé progressivement les éléments, de plus en plus di¬ 
minués, de l’Armée d’Orient, ne pouvait donc être inquié¬ 
tée ; les contingents d’occupation pouvaient sans danger 
être ramenés aux seuls effectifs nécessaires pour assurer la 
garde de Constantinople et des Détroits. 


II 

Année 1920. — Le 30 août 1920, le ministre de la Guerre 



13 


LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

décidait que les troupes françaises d’Orient seraient grou¬ 
pées en une division d’occupation dite Corps (TOccupation 
de Constantinople ayant pour mission de participer à l’occu¬ 
pation interalliée des Détroits, de protéger les installa¬ 
tions françaises à Constantinople, d’assurer la garde des 
stocks de l’Armée d’Orient encore à liquider et le maintien 
de l’ordre dans le bassin minier d’Héraclée. Cette réorga¬ 
nisation fut entreprise immédiatement. Le regroupement des 
unités, et les aménagements qui suivirent furent réalisés 
dans le courant du mois de septembre ; près de 5.000 hom¬ 
mes rendus ainsi disponibles furent envoyés à l’Armée du 
Levant. Le 1 er octobre, le Corps d’Occupation de Constan¬ 
tinople était constitué dans ses grandes lignes ; son effectif 
était de 13.825 hommes de troupe, dont : 


Français. 7.230 

Indigènes Nord-Africains. 3.846 

Sénégalais. 2,741 


Il comprenait sous le Commandement d’un Général, 
ayant rang et prérogatives d’un Général Commandant un 
Corps d’Armée (1) : 

A) Un Etat-Major (1) composé de 4 bureaux, dont le 
2 e était renforcé ; 

Un bureaû spécial de liquidation et de contentieux ; 

Un service topographique . 

B) Des troupes et services avec : 

1° de l’Infanterie, placée sous le commandement d’un Gé¬ 
néral de Brigade (1) Commandant l’Infanterie du Corps 
d’Occupation : 9 Bataillons d’infanterie devant être réduits 
ultérieurement à 6 et répartis en trois régiments : 

Le 66 e R. I., avec 2 bataillons. 

Le 37 e R. T. A., avec 4 bataillons (Régiment de Tirailleurs 
Algériens). 

Le 12 e R. T. S., avec 3 bataillons (Régiment de Tirail¬ 
leurs Sénégalais). 


(1) Général Charpy, général commandant ; colonel Després, chef 
d’Etat-Major ; général Priou, commandant l’infanterie du C. O. C. 










14 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


A cette Infanterie était rattaché un Centre d’instruction 
Divisionnaire ; 

2° De l’Artillerie placée sous le Commandement d’un Co¬ 
lonel ou Lieutenant-Colonel Commandant l’Artillerie du 
Corps d’Occupation : un Détachement de Parc (Détache¬ 
ment n° 103) ; 

3° Une compagnie de chars de combat (303 e Cie de 
Chars) • 

4° Un Escadron de Spahis Marocains (3 e Escadron du 21 e 
Régiment de Spahis Marocains) ; 

Un Groupe d’Autos Mitrailleuses et canons (10 e Groupe 
d’A. M. C.) ; 

5° Des unités du Génie, sous le commandement d’un chef 
de bataillon commandant le Génie du Corps d’occupation 
(Une Cie de sapeurs-mineurs. — Une Compagnie de Parc du 
Génie) ; 

6° Un détachement télégraphique, composé de la 51 e Com¬ 
pagnie du 43 e bataillon du Génie avec section de Radio et 
Service colombophile ; 

7° Des unités d’Aéronautique : Une Escadrille (51 e Esca¬ 
drille du 5 e Régiment d’Aviation), Une Section de Photo- 
aérienne, Un Atelier — Un Service météorologique ; 

8° 4 Compagnies de T. E. M. ; 

9° Des éléments du Service de l’Intendance, avec un sous- 
Intendant chef du Service de l’Intendance du Corps d’Occu¬ 
pation, un sous-Intendant divisionnaire, un sous-Intendant 
à Salonique, une Section de marche de C. O. A ; 

10° Des éléments du Service de santé, avec un Directeur 
du Service de santé, un Médecin divisionnaire, des organes 
d’hospitalisation, une ambulance de colonne mobile et un 
Groupe de brancardiers (maintenu en réserve), le Service 
de santé des Corps de troupe, une Section de marche d’In- 
firmiers ; 

11° Des éléments du Service automobile ; 

12° Une Prévôté du Q. G. du Corps d’occupation, une 
Force publique de Constantinople, une Prévôté du contrôle 
interallié de la police turque ; 































































LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 


15 


13° Des éléments du Service vétérinaire avec un vété¬ 
rinaire major de 1° classe chef de service ; 

14° Des éléments de la Justice militaire : 3 Conseils de 
guerre, dont 2 à Constantinople et 1 à Salonique — 1 con¬ 
seil de révision ; 

15° Enfin des Services spéciaux rattachés au Corps d’occu¬ 
pation, tels que Mission de liaison ottomane, Mission de 
liaison Britannique, Centre d’Information, Bureaux de Comp¬ 
tabilité, Officiers détachés au Haut-Commissariat, au Ser¬ 
vice des Transports, Commission du Consortium de Salo¬ 
nique et de Constantinople. 

Les Unités du Corps d’Occupation étaient réparties de la 
façon suivante : 

1° Constantinople et ses abords immédiats étaient tenus 
par la plus grande partie d’entre elles. 


;aillons, dont 1 à Péra et 



(5 km. nord-ouest / L’escadron de Spahis, moins 1 peloton, 
de Makrikeuj). ( 

Daoud Pacha l 

(3 kilom. nord de < Le Groupe d’Àrtillerie de Campagne. 

Makrikeuy). ( 

2° Des Détachements d’importance variable stationnaient 
à Hademkeuy, Zoungouldak et Gallipoli. 


.) Hademkeuy \ \ C°“W> ie 
( 1 Peloton de 


d’infanterie. 

Spahis. 


a 


b) Zoungouldak : 2 Bataillons d’infanterie. 

c) Gallipoli : 1 Bataillon d’infanterie. 

3° Quelques Unités aberrantes avaient comme point 
d’attache Salonique et Sofia. 









16 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


S I Bataillon de Sénégalais. 

1 Détachement du Parc d'Artillerie et du Parc du Génie. 
b) Sofia : 1 Compagnie de Sénégalais. 

En somme, le dispositif des troupes du Corps d’Occupa- 
tion comportait un groupement et des détachements. Chacun 
d’eux avait un rôle bien déterminé. 

Le gros des troupes, stationné dans la région de Constan¬ 
tinople et de ses abords immédiats (Makrikeuy, San Stefano, 
Ramis, Daoud-Pacha), était chargé de l’occupation et de la 
protection de Constantinople. Il comprenait le Q. G. — 
l’L D. — 4 bataillons 1/2 d’infanterie, l’artillerie, les chars, 
l’escadron de spahis et les autos-mitrailleuses de cavalerie, 
l’aviation et la majorité des Services. 

Les 2 bataillons de Zoungouldak assuraient la garde des 
mines d’Héraclée, qui fournissaient de charbon le Corps 
d’occupation, la Marine et la Ville. 

Au bataillon de Gallipoli, étaient confiés l’occupation de 
la rive européenne du Détroit des Dardanelles, dont la rive 
asiatique était tenue par les Anglais, la garde des dépôts de 
munitions assez nombreux dans la Presqu’île, enfin le con¬ 
trôle de l’Administration grecque qu’il fallait empêcher de 
se livrer à des mesures vexatoires à l’égard des sujets Mu¬ 
sulmans ou à des agissements contraires aux règles de la 
neutralité. 

Le détachement d’Hademkeuy, composé seulement d’une 
compagnie et d’un peloton de spahis, mais dont l’effectif 
devait être augmenté par la suite, avait pour mission de 
garder les dépôts de munitions de la région, de contrôler les 
forces delà police ottomane, et de surveiller la nouvelle fron¬ 
tière entre le territoire turc et la zone d’occupation hellénique. 

Quant aux détachements de Salonique et de Sofia, ils 
étaient simplement employés aux opérations de liquidation 
en voie d’exécution dans ces villes, qui avaient été des bases 
importantes de l’Armée d’Orient. Celui de Sofia assurait 
en plus la réception et l’aiguillage des engagés volontaires, 
qui se destinaient à la légion. 

A peine constitué, le nouveau Corps d’occupation allait 











Rouies c&rrossableA 
























































































































































































LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 17 

avoir à assumer une tâche supplémentaire des plus rudes. 

Dans la première quinzaine de novembre, arrivait en quel¬ 
ques jours, dans des conditions tragiques, en rade de Cons- 
tantmople une flotte de plus de 125 navires transportant 
près de 135.000 réfugiés russes. Ces milliers d’êtres humains 
extenues affamés, au milieu desquels se trouvaient des 
femmes, des enfants, des vieillards, des malades, des con¬ 
tagieux, des blessés, avaient été embarqués en toute hâte 
au moment de l’abandon de la presqu’île de Crimée par 
armee Wrangel, sous la poussée des troupes bolchevistes. 
Il fallait leur venir en aide sans délai, leur donner à manger 
les abriter, recueillir et soigner leurs malades, tout autant 
e esognes que le Corps d’occupation entreprit aussitôt. En 
lisant plus loin les pages qui ont été consacrées à cette ques¬ 
tion des réfugiés, on se rendra compte des difficultés que 
le Commandement eut à surmonter, et de l’effort accompli 
à cette occasion par le Service de Santé. Environ 30 000 
de ces malheureux furent aiguillés vers les pays balkaniques 
ou ils reçurent 1 hospitalité. Mais la grosse masse resta à la 
charge du Corps d’occupation français. C’est seulement dans 
le courant de 1 année 1921, que la plupart des réfugiés purent 
être progressivement acheminés vers d’autres régions. 

Année 1921— a) Dispositif français. — En même temps 
qu ils poursuivaient cette lourde tâche, les Corps et Services 
eurent à s employer au règlement de la situation complexe 
qu ils tenaient de l’Armée d’Orient. Ils conduisirent les 
operations de liquidation en même temps que celles néces¬ 
sitées par la continuation des secours de toute nature qui 
furent consentis aux Réfugiés jusqu’à leur dispersion. Des 
réductions d effectifs, des suppressions d’Unités furent de 
la sorte réalisées au fur et à mesure de l’avancement de ces 
differentes opérations. La base de Salonique fut dissoute 
en février 1921. 

La situation politique permit en outre, en avril, la fusion 
en un seul des 2 bataillons de Zoungouldak. En juin l’Occu 
pation de cette région prit fin à la suite d’une entente in- 
Dejouany 


2 


13 LES ALLIÉS a CONSTANTINOPLE 

tervenue avec les kémalistea ; le bataillon qui en Était resté 

chargé fut envoyé au Levant. , TTnités 

Ainsi furent supprimés par étapes successives 1 
et T Services, non prévus dans l’organisation deinitive u 
Corps d’occupation, qui était réalisée vers la fin 492 , smva "_ 
le nouveau tableau d’effectifs fixé par le Ministre pour les 
Unités type Levant~Constantinople. Le Corps d occupation 

comptai. 12.776 Homme, et 614 oflioi», le 1» 

1931. ne comptai! pin, que 7.00»homme, et 360 othc.ers le 1 
Décembre 1921 (relève du 1 er échelon de la classe 192U) U)- 

Le Corps d’occupation comprenait alors 3 Régiments 
d’infanterie à 2 bataillons chacun, done 6 bataillons au 
lieu de 9 fin 1920, et un certain nombre d’unités et de ber- 
vices fixes. Sa composition,-ainsi que le stationnement des 
différentes Unités au i« janvier 1922 sont indiques dans 
le tableau suivant : 

ORDRE DE BATAILLE DU CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

Te CONSTANTINOPLE, A LA DATE DU 1« JANVIER 1922 

1° Commandement 

État-Major du Commandement du Corps d’occupation, de Constantinople 
(Stamboul) 

Etat-Maior comprenant 4 bureaux (dont 2 Officier, chargés delà liquidation 
et di contentieux et 1 Officier chargé de la topograph.e). 

2° TVqupss et Services 
Infanterie 

, „ T , . . . Makrikeuy- 

Etat-Major de l’Infanterie. 

f E.-M. du Régiment Y 

66- R. I. N qer Bataillon.f.. Stamboul. 

à 2 Bataillons J ^m. Bataillon. ’ 

/ E.-M. du Régiment.,. Maknkeuy. 

37 me R. A.T. I 1" Bataillon...; ' * ” 

{ 6 2 Compagnies k Hademkeuy. 

à 2 Ratai ons ^ Bataillon.| 2 Compagnies à San Sfceiancu 

/ Ea-M. du» Régiuxeixtv... Galhpolu 

«-«.T.»- «-*-»-..; 'SSL.. 

à 2 Bataillons f 2m , Bataillon (détache a Gallipoli).| Sed-uk Bahr. 

Compagnie de Chars de Combat.Makrikeuy. 

par mois pour les années 1921, 22 et 23 est indiqué ^ 
Tableaux du chapitre VI. 















le corps d’occupation FRANÇAIS 19 

Cavalerie 

om. -ri i i ^ à Makrikeuy. 

3- Escadron du 21- Régiment de Marche ( 1 Peloton à Hademkeuv 

de Spahis Marocains. ..il Peloton à Ortakeuy. 

( (Escorte du Général). 

10»® Groupe d Autos Mitrailleuses et Canons. Makrikeuy. 

Artillerie 

10"« Groupe du 271™ Régiment d’Artillerie de Campagne Ramis 
Détachement de Parc N°10du 271"» Régiment d’At tillerie ) 
de Campagne. > San Stefano. 

Génie 

Commandement et Chefferie. \ 

4 me Compagnie du 33"» Bataillon de Génie.'tj Stamboul. 

121™ Compagnie du 33">* Bataillon de Génie.. . ....... Tcheragan. 

Télégraphie 

Commandement. . 

, 51m “ Com pagnie du 43“= Bataillon de Génie’ ’pourvue / 

d’une Section de Radio. . / Stamboul. 

Service Colombophile ... ! 

Aéronautique 

Escadrille 51 du 35 mo Régiment déviation et Comman- 1 
dement de l’Aviation du C. O. F. C. l 

Un Service ^«orCogique ... !. ^ ! ! ! ! ! ^ ] ( San S(eW 

Une Section de Photo Aérienne. 

Un atelier ... 

Train des Équipages 
Commandement du train. 

Compagnie 21/35 du T. E. M. (Quartier Gén' duC.’o. C.) $ Stamboul. 
Compagnie 22/35 du T. E. M. (Compagnie de Transport). Stamboul. 

(Moins un détachement à Makrikeuy pour Dépôt de Remonte 
Mobile D. R. M.) 

Intendance 

Une Direction de l’Intendance. \ 

Une Sous-Intendance Divisionnaire. \l Stamboul. 

Un Détachement delà 33™ Section de Marche de C. O. A. . \ 

Service de Santé 

Un Médecin Principal de Ire Classe, Directeur du Service. Stamboul. 

I Hôpital fiie de Gul-Hane . Stamboul. 

Des organes d Hospitalisation J » » » Giflard_ p era . 

♦ f Infirmerie Ambulance Corroy Maltepé 

Un Service de Santé de Corps de troupe. 

Un Détachement de la 33»= Section de,Marche d’infirmiers Stamboul. 

























20 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Service Automobile 


Un Chef du Service Automobile.J 

C le de Transports Automobiles N° 26 du 135 m * Escadron } 
C i# du Parc Automobile N° 27 du 135 m * Escadron.. ... 1 

Stamboul. 

Service Vétérinaire 


Un Chef du Service Vétérinaire . 

Stamboul. 


Justice Militaire 


Deux Conseils de Guerre du C. 0. F. C. ) 

Un Conseil de Révision. S 

Stamboul. 


Trésor et Postes 

Uno Direction ..... I 

Un Bureau de comptabilité et de liquidation (529)./ Stamboul. 

Un Secteur Postal du G. 0. F. G. (502)...• 

Poste Civile de Constantinople (ancien Secteur 506) et Bureau Civil de 
Smyrne (ancien Secteur 528). 

Services Spéciaux du C. O. F. C. 

Base Militaire. 

Place de Constantinople. 

Officier de Liaison Ottomane (l'Officier du 2 me Bureau). 

Officier de la Liaison Britannique (1 Officier). 

Centre d’information. 

Bureaux de Comptabilité. 

En somme, à la date du 1 er Janvier 1922, le dispositif 
du Corps d’occupation comprenait : 


1° Le gros des forces 


A. Constantinople 


ou dans son 
voisinage 
immédiat 


( Q. G. et Services divers moins le Parc d’Artillerie. 
( Un Régiment d’infanterie. — Génie. 

( / E.-M. de l’Infanterie. 

...... >1 Bataillon d'infanterie. 

Maknkeuy... Gompagn . e de ^ 

V Majeure partie de la Cavalerie. 

>. L Un Demi-Bataillon d’infanterie. 

1 San Stefano. .<! Aviation. 

I i Parc d’Artillerie. 

1 Ramis.: Groupe d’Artillerie. 

Maltepé.: 1 Bataillon d’infanterie. 


A Hademkeuy | 

dans la Presqu’île ) 
de Gallipoli ) 


2° Deux Détachements 
2 Compagnies d’infanterie. 

1 Peloton de Spahis. 

1 Bataillon d’infanterie. 














21 


LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

Nous sommes bien loin, on le voit, de la dispersion des. 
troupes de l’Armée d’Orient et même du Corps d’Occupation 
à son origine. 

Il est à remarquer, que les Unités du Groupement de Cons¬ 
tantinople stationnaient toutes dans la partie de la ville si¬ 
tuée au S.-O. de la Corne d Or, à Stamboul. Dans le courant 
de l’année 1921, la ville avait été en effet, pour la facilité 
de sa défense en cas de troubles, divisée en 2 secteurs dis¬ 
tincts : le secteur de Stamboul, le plus rapproché de Makri- 
keuy où se trouvait déjà un contingent important de troupes 
Françaises, a été attribué au Corps d’occupation, celui situé 
au Nord-Est de la Corne d’Or étant dévolu aux Anglais. 
Ce resserrement de nos Unités avait pour résultat de les 
grouper, de faciliter les liaisons, le ravitaillement et l’exer¬ 
cice du Commandement. 

b) Dispositif des Alliés . — Les troupes alliées compren- 
naient à côté du Corps d’occupation Français, des contin¬ 
gents anglais, grecs et italiens. 

Au début de janvier 1921, les contingents anglais for¬ 
maient avec une Division grecque VArmée dite de la Mer 
Noire , qui était placée sous les ordres du général Harington. 
Cette armée comprenait la 28 e division britannique (géné¬ 
ral Marden), 2 Brigades à 3 bataillons, une Artillerie di¬ 
visionnaire de 4 batteries, dont une d’obusiers, et des élé¬ 
ments d’armée, soit un régiment de cavalerie (20 e hussards), 
une Compagnie du Génie, une compagnie de mitrailleuses et 
une de chars blindés, plus la Division grecque dite de Ma¬ 
gnésie , qui occupait la région d’Ismidt. Les contingents an¬ 
glais de cette armée de la mer Noire étaient stationnés : 
une Brigade (83 e ) sur la rive européenne du Bosphore, dans 
les alentours de Péra, avec 1 Bataillon détaché à Tchanak ; 
une brigade (84 e ) et les éléments d’armée sur la rive Asia¬ 
tique du Bosphore et de la Marmara, avec comme centre 
Scutari. 

Dès la fin de mars 1921, la Division hellénique cessait 
de faire partie de l’Armée de la mer Noire, qui ne comprenait 
plus dès lors qu’une division britannique avec ses éléments 







22 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

d’armée. Le stationnement des troupes anglaises ne subit, 
de ce fait, aucune modification. Il resta invariable d’ailleurs 
pendant de longs mois encore. Le 18 juillet 1921, lorsque 
le général Harington prit, avec la distinction que chacun 
sait, les fonctions de commandant en chef des Forces Alliées 
d’oceupation, l’armée de la mer Noire, ainsi réduite aux 
contingents britanniques, passa aux ordres du général Mar- 
den, changea de nom et fut appelée Corps britannique 
d'occupation. Son effectif moyen au milieu de l’année 1921 
oscillait entre 10.000 et 11.000 hommes. 

Quant aux unités d’occupation italiennes, elles ne com¬ 
prenaient pendant le premier semestre de l’année 1921 qu’un 
seul bataillon, le 2 e bataillon dû 303 e régiment, qui était 
cantonné à Galata. Dès le mois d’a*ût, ce bataillon fut ren¬ 
forcé d’un 2 e du même régiment, qui eut comme point d’atta¬ 
che Nichantach. L’effectif de chacun de ces 2 bataillons 
était de 500 hommes environ. 

Ainsi donc Constantinople et ses abords sur la côte d’Eu¬ 
rope ou sur la côte d’Asie, la frontière gréco-turque à Ha- 
demkeuy, les Détroits, furent tenus au cours de l’année 1921 
par moins de 20.000 soldats alliés. Le calme complet n’avait 
cessé de régner de ce côté-là. 

e) Evénements d'Anatolie. — En Anatolie, au contraire, 
des événements politiques et militaires importants s’étaient 
déroulés. 

L’armée française du Levant avait dû défendre contre 
les troupes Turques, pendant les derniers mois de l’année 
1920 et au cours des deux premiers mois de l’année 1921, 
l’occupation de la Cilicie. Cependant ce conflit était bien¬ 
tôt, grâce aux efforts de M. Franklin-Bouillon, heureuse¬ 
ment apaisé ; aux termes d’un accord signé à Londres, le 
11 Mars 1921, la Cilicie était rendue aux Turcs, et nous 
conservions nos droits sur le chemin de fer de Bagdad. Mais 
l’entente ne put se faire à Londres entre Grecs, Turcs de 
Constantinople et Turcs d’Angora, auxquels les Alliés avaient 
proposé un compromis. La Grèce ne tardait pas à décréter 
la mobilisation contre les Turcs. Son armée ouvrait les lios- 




LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 


23 


tilités en juin sur le territoire d’Anatolie ; après quelques 
revers, elle brisait la résistance des troupes kémalistes et 
s’emparait de Kutahia (19 juillet), d’Eski-Chéhir (21 juil¬ 
let), mais elle était arrêtée peu après sur le Sakaria et ra¬ 
menée en arrière par une vigoureuse contre-offensive vic¬ 
torieuse de l’armée de Kémal. L’hiver et la fatigue vinrent sus¬ 
pendre les opérations. Les adversaires restèrent en présence. 

Année 1922. — Pendant cette année 1922, les Alliés 
poursuivaient à Constantinople leur occupation dans le calme. 
La situation de leurs corps d’occupation restait ce qu’elle 
était en 1921. Une modification était apportée cependant, 
en Avril, à la composition du Corps d’Occupation Français, 
dont un des trois régiments d’infanterie, le 37 e régiment 
de Tirailleurs Algériens, était supprimé. Les deux régiments 
qui lui restaient, le 66 e R. I. et la 12 e Sénégalais, passaient 
de 2 à 3 bataillons. L’équilibre des effectifs était ainsi ré¬ 
tabli. L’effectif moyen fut légèrement inférieur au cours du- 
premier semestre de l’année 1922 au chiffre de 8.000 hommes 
de troupe, fixé par le Ministre. 

Au mois de juillet, le Gouvernément Grec, inquiet des 
conséquences fâcheuses, qu’avait pour la discipline l’inac¬ 
tion prolongée à laquelle était condamnée l’Armée d’Asie 
Mineure depuis la défaite du Sakaria, se résolut à tenter une 
diversion en Europe et l’enlèvement de Constantinople par 
surprise. Il prélevait à cet effet des troupes sur le front d’Ana¬ 
tolie, et les massait en Thrace Orientale devant les lignes de 
Tchataldja. 

Les Corps d’occupation Alliés recevaient l’ordre de s’oppo¬ 
ser à la violation de la zone neutre soumise à leur contrôle, 
et de couvrir Constantinople. Ainsi fut organisé, dès les 
derniers jours de Juillet, sous le Commandement du Général 
Charpy, le Secteur défensif de Thrace , à l’occupation duquel 
participèrent, à côté de nos troupes, des éléments Britan¬ 
niques et un détachement Italien. Le 5 août, ce Secteur 
était tenu suivant la ligne de couverture Strandja- Sinékli-' 
Kabadja-Tchataldja, par les Unités suivantes : 


24 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Troupes Françaises 


Troupes Anglaises 


Troupes Italiennes 


2 Régiments à deux Bataillons. 

1 Escadron de Spahis, 

1 Groupe d’Artillerie. 

Eléments divers (Chars, Autos, Mitrailleuses, Génie)* 

3 Bataillons d’infanterie. 

3 Escadrons. 

1 Groupe d’Artillerie. 

1 Compagnie d’infanterie. 

2 Sections de Mitrailleuses (ces unités étaient portées 
par la suite à 1 Bataillon). 


Le Corps d’occupation Français reçut vers le milieu d’août, 
en renfort de l’armée au Levant, un régiment d’infanterie 
à 3 Bataillons et 2 escadrons de chasseurs d’Afrique. Le nou¬ 
veau Régiment d’infanterie, le 415 e R. I., comprenait l’E.-M* 
et 2 bataillons de ce Régiment et 1 bataillon du 36 e régi¬ 
ment de tirailleurs tunisiens. Ces renforts portaient alors 
sdn effectif total à 9.890 hommes et 345 officiers. 

La situation sur le front allait se dénouer sans le moindre 
incident à la faveur de l’offensive déclanchée en Anatolie 
par les Kémalistes. Profitant de ce que les Grecs avaient, 
pour constituer les troupes d’attaque qui devaient marcher 
sur Constantinople, sensiblement affaibli leur front d’Asie, 
l’armée de Mustapha-Kémal, qui pendant les six premiers 
mois de l’année s’était renforcée, entraînée et largement 
approvisionnée, fonçait, le 24 août, sur Afioun-Kara-Hissar, 
et entreprenait alors la marche victorieuse qui la con¬ 
duisait à Smyrne, le 9 septembre. 

Dès le déclanchement de cette inquiétante offensive, le 
Commandement hellénique retirait en hâte, pour les ren¬ 
voyer à Smyrne, de nombreuses Unités du secteur de Thrace, 
que la plus grande partie des troupes alliées pouvaient, dès 
lors, quitter à leur tour. Les Anglais ramenèrent toutes les 
Unités, qu’ils y avaient, dans les zones neutres de la rive 
d’Asie qui pouvaient être menacées par l’avance kémaliste. 
Dans la première quinzaine de septembre, il ne restait plus 
à Hademkeuy-Tchataldja que les contingents français : 

2 escadrons de cavalerie, 4 bataillons d’infanterie (3 du 



LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 25 

415 e R. I. et 1 du 12 e R. T. S.), une batterie d’artillerie et 
des fractions de chars d’assaut et d’autos-mitrailleuses ca¬ 
nons. Dès le début d’octobre, il ne fut plus maintenu dans 
la région qu’un bataillon de Sénégalais et un escadron de 
chasseurs d’Afrique, qui n’avaient plus qu’un rôle de con- 
trôle et de police. 

La débâcle de l’armée grecque avait été suivie de l’éva¬ 
cuation rapide, par cette dernière, de l’Anatolie. Au cours 
de l’avance kémaliste sur Brousse et Moudania, deux com¬ 
pagnies du 66 e R. I. furent envoyées de Constantinople à 
Moudania, pour y protéger nos nationaux et les 15.000 réfu¬ 
giés, qui s étaient abattus sur la ville en vue de s’embarquer 
et d’échapper aux troupes turques. Parti le 9 septembre, ce 
détachement était de retour peu après à Constantinople, 
après avoir rempli avec tact sa mission délicate. 

L armée de Mustapha-Kémal avait reconquis l’Anatolie 
en 18 jours. Surexcitée par sa belle victoire, elle arriva aux 
confins de la zone neutre d’Ismidt et de Tchanak, au con¬ 
tact des troupes anglaises de la rive d’Asie, disposée à re¬ 
prendre la lutte en Thrace et à exploiter sa victoire jusqu’au 
bout. En présence de cette menace, qui pesait sur la ville de 
Constantinople et sur la paix même de l’Europe, les Alliés 
proposèrent à Mustapha-Kémal, qui sur l’insistance pressante 
de M. Franklin-Bouillon accepta, la réunion immédiate 
d une Conférence de la paix. Apres des pourparlers laborieux, 
la Convention de Moudania fut signée le 11 octobre 1922, 
grâce à la fermeté et au tact des généraux Harington, Charpy 
et Mombelli, plénipotentiaires militaires des Alliés. Aux 
termes de cette Convention, les régions tenues par les Alliés 
étaient respectées, la Thrace orientale jusqu’à la Maritza était 
rétrocédée aux Turcs qui étaient autorisés à y installer leur 
administration et leur gendarmerie, sitôt après le retrait des 
troupes grecques ; pendant la durée de ce retrait, la région se¬ 
rait occupée par des effectifs alliés chargés d’assurer dans 
l’ordre le passage de l’administration grecque à l’administra¬ 
tion turque. Après la restitution de la Thrace aux Kémalistes, 
la rive droite de la Maritza serait tenue par les troupes 





26 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


alliées, jusqu’à la signature du traité de paix devant régler 
-en Orient toutes les questions litigieuses. 

L’occupation de la Thrace commença le 18 octobre. La 
région était divisée, à cet effet, en trois zones : zone-sud 
(Rhodosto), confiée à la garde des Anglais : zone-est (Tchor- 
lov), affectée aux Italiens. La zone française, de beaucoup 
la plus importante, comprenait Andrinople, Kirk-Kilissé, 
Lulé-Bourgas. Dans chacun de ces centres stationna un 
bataillon du 66 e R, I. L’Etat-Major du régiment eut comme 
Quartier Général Andrinople, qui fut occupée, de plus par 
un escadron de chasseurs d’Afrique. 

Le pays put être ainsi livré aux autorités kémalistes en 
temps voulu et sans incident sérieux. Les 29 et 30 novembre, 
après 42 jours d’occupation, deux bataillons du 66 e R. I. 
rentraient à Constantinople. Le bataillon et l’escadron de 
chasseurs stationnés à Andrinople passaient à Kara-Agatch 
pour assurer la surveillance de la rive droite de la Maritza. 

Pendant ce temps, à Constantinople, une situation déli¬ 
cate était faite aux Alliés par les Kémalistes. Sitôt après la 
signature de la Convention de Moudania, en effet, le général 
Réfet-Pacha, nommé gouverneur de la Thrace orientale, 
était venu séjourner dans la ville en attendant d’aller se 
fixer à Andrinople ; il en profitait pour voir un grand nombre 
d’hommes politiques de l’entourage du Sultan. Il les gagnait 
sans aucune peine à la cause d’Angora. Bientôt, l’Assem¬ 
blée nationale, proclamant la déchéance du Sultanat, le 
désignait comme son représentant extraordinaire à Cons¬ 
tantinople. Le Sultan s’enfuyait à bord d’un navire qui le 
conduisait à Malte. L’Assemblée nationale élisait Grand 
Calife le prince héritier Abdul-Medjid, qui conservait seule¬ 
ment le pouvoir spirituel. Constantinople cessait d’être 
capitale et devenait simple vilayet. Avec l’appui des anciens 
fonctionnaires du Sultan, Réfet-Pacha y prenait en main le 
pouvoir abandonné par le Grand Vizir Tevfik Pacha et par 
ses ministres. En instaurant partout l’administration kéma- 
liste, il déclarait que l’armistice de Moudros n’ayant jamais 
été reconnu par Angora, ses clauses ne seraient pas appli- 







27 


LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

quées à Constantinople et que, de ce fait, les Alliés per¬ 
daient tout droit de contrôle sur l’exercice du pouvoir. La 
sécurité des troupes alliées serait cependant garantie, par¬ 
tout où elles se trouvaient, par la nouvelle administration, 
conformément aux stipulations de la Convention de Mou- 
dania. 

Année 1923. — La mise en pratique d’une telle politique 
sur un territoire encore soumis au contrôle des Puissances 
de P Entente, ne tardait pas à provoquer d’inquiétantes 
frictions. Les Autorités alliées, faisant preuve du plus grand 
esprit de conciliation, s’employèrent patiemment à trouver 
un terrain d’entente. Après de laborieuses négociations, un 
compromis fut arrêté sur les bases d’une coopération, sau¬ 
vegardant les susceptibilités du nouveau Gouvernement et 
les attributions des Alliés. Ce modus vivendi servit de base, 
jusqu’au dernier jour de l’occupation, aux rapports des 
Corps d’occupation et de l’Administration kémaliste. L’in¬ 
transigeance de cette dernière n’en entretint pas moins 
par la suite, et accentua fort dangereusement même, par 
moments, le malaise résultant de son ingérence dans les 
prérogatives des Alliés. Les Corps d’occupation, constam¬ 
ment sur le qui-vive, s’employèrent de leur mieux à pré¬ 
venir toute complication grave, par la préparation de me¬ 
sures qui sollicita leur attention pendant la dernière période 
de leur séjour. 

Le Corps d'occupation français conserva ses effectifs au 
complet (effectif global de 9.600 à 9.800 environ). Son sta¬ 
tionnement resta ce qu’il était en décembre 1922. 

Le Corps d*occupation britannique subit, au contraire, de 
profonds remaniements dans ses effectifs et dans sa répar¬ 
tition ; la gravité de la situation l’amena à renforcer consi¬ 
dérablement, dès la fin de septembre, ses effectifs qui étaient 
bientôt triplés. L’arrivée de contingents venus d’Angle¬ 
terre, d’Egypte et de Malte permit à nos Alliés d’organiser 
défensivement la région de Tchanak, qui n’avait été tenue 
jusqu’alors que par un bataillon. En raison du peu de pro- 






28 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


fondeur de ce secteur et de sa situation militaire peu favo¬ 
rable, ils installèrent une partie de leurs troupes (artillerie 
et aviation plus particulièrement) sur la rive européenne de 
la presqu’île de Gallipoli. Ils participèrent avec trois ba¬ 
taillons, en novembre 1922, à l’occupation de la Thrace 
avant sa restitution aux Turcs suivant le protocole de Mou- 
dania. Dès que ces bataillons qui avaient été prélevés sur 
les effectifs de Scutari et de Tchanak, eurent rejoint leur 
point d’attache, la répartition du Corps d’occupation 
britannique fut la suivante, et resta telle jusqu’au dé¬ 
part : 

À Constantinople : 1 brigade à 4 bataillons, 1 batterie de 
campagne, 3 escadrilles d’aviation. 

A Scutari : 1 brigade à 3 bataillons, 1 brigade d’artillerie 
à 3 bataillons, 1 escadron et 1 compagnie du génie. 

A Tchanak : 2 brigades d’infanterie comptant au total 
5 bataillons, 3 brigades d’artillerie de campagne et demi- 
lourde comprenant au total 12 batteries, 1 escadron de 
cavalerie et 3 compagnies du génie. 

Dans la presqu’île de Gallipoli : 1 bataillon d’infanterie, 
2 brigades d’artillerie lourde comptant au total 8 batteries, 
1 compagnie du génie et 1 escadrille d’aviation. 

Une base importante fut en outre organisée à Kilia avec 
dépôt de remonte, de matériel, de munitions, formations 
sanitaires, etc... 

Sur la Maritza, 1 bataillon d’infanterie. 

Au total, le Corps d’occupation anglais comptait 18 à 
19.000 hommes d’octobre 1922 à octobre 1923. 

Le détachement italien (un millier d’hommes) comprit jus¬ 
qu’à la fin 2 bataillons du 313 e R. I., dont l’un participa 
à l’occupation de la Ihrace (zone de Tchorlou) avant sa res¬ 
titution aux Turcs. Une compagnie seulement tint ensuite, 
sur la Maritza, le pont de Féridjik jusqu’à la signature du 
Traité de Paix. 

Le traité de Lausanne , qui marqua la fin de l’occupation, 
fut signé le 24 août 1923. Ses dispositions essentielles sont 
connues : les clauses du traité de Sèvres sont revisées com- 





29 


LE CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 

plètement ; — des restitutions importantes sont faites aux 
Turcs avec Smyrne, la Thrace, Kara-Agatch; — la liberté 
du passage à travers les Détroits est assurée à toutes les na¬ 
tions, les deux rives seront démilitarisées ; — aucune force 
armée ne doit stationner dans cette zone démilitarisée en 
dehors des forces de police et de gendarmerie ; — une garnison 
de 12.000 hommes est autorisée à Constantinople et dans 
ses environs immédiats ; — après le 31 décembre 1923, aucun 
navire de guerre étranger ne pourra stationner dans le Bos¬ 
phore, ni dans les Dardanelles ; — les Capitulations sont abro¬ 
gées ; — des clauses spéciales règlent les rapports écono¬ 
miques, judiciaires et financiers des Hautes Parties contrac¬ 
tantes, et la protection des minorités. 

La période de 40 jours à l’expiration de laquelle, aux 
termes du Traité, les Corps d’occupation devaient avoir 
terminé leurs opérations d’évacuation, commença le 25 août. 
Le premier navire emmenant des troupes françaises, quit¬ 
tait la rade de Constantinople le 8 septembre. A partir de 
cette date, les départs se succédèrent rapidement ; le 2 oc¬ 
tobre tout était terminé. L’enlèvement de nos Unités, 
du materiel et des animaux, a nécessité une vingtaine 
de navires, affrétés par l’Etat. Nous donnerons ailleurs 
quelques détails, sur la façon dont fut comprise et réalisée 
la liquidation du Service de Santé et de ses approvisionne¬ 
ments. 

Ainsi se termina cette période de tension qui marqua les 
derniers mois du séjour de nos troupes à Constantinople. 
Beaucoup d’entre nous, prisonniers de leurs vives sympa¬ 
thies envers la Nation turque, regretteront certes que des 
relations qui s’étaient précisées si amicales aient pu être 
troublées, ne fut-ce qu’un instant, par l’exaltation d’un trop 
vif sentiment de nationalisme. Enflammée par la brusque 
possession de sa pleine souveraineté, la Nouvelle Turquie 
n’a peut-être pas pesé, à leur valeur vraie, les sacrifices 
consentis à sa cause par sa vieille amie la France et l’aide 
que lui ont apportée des hommes qui s’appellent général 
Pellé, général Charpy, amiral Dumesnil, Franklin-Bouillon 









30 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

Claude Farrère. Elle reviendra, nous en sommes sûrs, à une 
compréhension plus juste des intérêts communs aux deux 
pays, à cette amitié ancienne, qui avait été sanctionnée par 
une politique séculaire et dont François I er et Soliman II 
avaient noué les premiers chaînons. 


















Constantinople et la Corne d‘Or, vus du cimetière d’Evoub. 








CHAPITRE II 


Le Cadre et le Milieu 


CONSTANTINOPLE ET LES DARDANELLES. LE CLIMAT. 

LA POPULATION TURQUE ET SON HYGIÈNE. 

LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ DE CONSTANTINOPLE. 

LE CADRE 

Constantinople et sa banlieue immédiate, Gallipoli, Seb- 
dul-Bahr et Kilid-Bahr dans les Détroits, Hademkeuy- 
Tchataldja, plus tard Àndrinople et la Maritza forent les 
points principaux de stationnement de nos troupes. C’est 
écrire la préface naturelle des chapitres à venir, que de 
donner ici une idée du cadre dans lequel ont vécu nos sol¬ 
dats, insistant seulement un peu plus sur la capitale et ses 
environs, où se trouvait le groupement le plus important 
du Corps d’occupation. 

Le voyageur qui navigue vers Constantinople, vient de 
quitter la mer Egée, laissant sur sa droite la Troade et snr 
la côte de l’Asie Mineure les tumuli d’Achille et de Pa- 
troele, l’embouchure du célèbre Si mois ; il entre dans 
les Dardanelles , l 1 H elles pont des Anciens, entre les deux 
vieux châteaux de Koum-Kalé sur la rive asiatique, et de 
Sebdul-Bahr sur la côte européenne. Sebdul-BaRr, où sta¬ 
tionna un détachement d’infanterie français pendant l’oc¬ 
cupation, est un pauvre hameau, aux maisons misérables, 
édifiées sur une falaise aride, près des batteries et des 
ouvrages d’artillerie turque, qui défendaient l’entrée des 



32 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Détroits. Des vestiges de boyaux et de tranchées sillonnent 
le sol aux alentours ; les tombes et les ossuaires rappellent 
les glorieux exploits de nos héros de 1915. Ceux qui viennent 
s’incliner devant ces mausolées renouvellent le geste, qu’il 
y a près de 20 siècles Alexandre le Grand fit en ces lieux, en 
sacrifiant sur la tombe de Protésilas, le premier soldat grec 
tué de la main d’un Troyen. 

Plus loin, sur la côte d’Europe, s’élève le village de Kilid - 
Bahr (Clef de la Mer), garnison de tirailleurs sénégalais pen¬ 
dant l’occupation, curieux avec son Château d’Europe et 
ses fortifications plus modernes. En face, sur la côte d’Asie, 
les châteaux des Dardanelles, et Tchanak , joli village, au 
cachet déjà oriental avec ses maisons polychromes, son 
aspect vivant et riant. Là était établie la station d’arraison¬ 
nement de la Commission interalliée maritime et des fron¬ 
tières ; les jeunes médecins des trois Corps d’occupation s’y 
sont succédés de deux en deux mois, pour y assurer la visite sa¬ 
nitaire des navires pénétrant dans les Dardanelles, le contrôle 
des patentes et l’exécution des décisions de la Commission. 

Un moment, les Détroits se rétrécissent pour n’avoir 
plus que 1.350 mètres de largeur : c’est vraisemblablement 
en cet endroit que Xerxès jeta le fameux pont sur lequel 
passa sa Grande Armée. Le canal s’élargit alors ; mais plus 
rien n’y rappelle la victoire de Lysandre à Ægos-Potamos 
et quelques maisons à peine remplacent sur la côte d’Asie 
l’antique Lampsaque , aux habitants libertins. En face de 
Lampsaque, s’élève Gallipoli , la première ville d’Europe qui, 
un siècle avant la prise de Constantinople, tomba aux mains 
des Turcs. C’est une grosse agglomération de 10.000 habi¬ 
tants environ, d’aspect misérable, aux maisons de bois, avec 
quelques vestiges de vieille architecture militaire. La ca¬ 
serne, située à la lisière nord de la ville fut utilisée par nos 
soldats. Gallipoli, après avoir hébergé en 1853-56 les 
troupes anglo-françaises, devint, pendant l’occupation, le 
Quartier Général du Colonel commandant les forces fran¬ 
çaises de la presqu’île de Gallipoli. 

Bientôt le bras de mer s’élargit pour devenir mer de Mar - 


n 







33 


LE CADRE ET LE MILIEU 


mara, l’ancienne Propontide ; la côte européenne en est 
aride et sèche, la rive asiatique, au contraire, profondément 
decoupee par les golfes d’Ismidt et de Moudania, offre un 
aspect fertile et riant ; dans le fond viennent mourir les 
derniers contreforts du massif de l’Ida. 

La mer de Marmara parcourue, les Iles des Princes lais¬ 
sées sur la droite, c’est le Bosphore de Thrace qui s’offre tout 
droit à la vue, et déjà dans le lointain se profile Constanti¬ 
nople dans sa beauté grandiose. Mais le navire suit de près 
la côte européenne, d’où émergent successivement deux 
grosses agglomérations : San Stéfano et Makrikeuy, aux 
portes même de la capitale. A San Stefano, dont le nom 

H 87 e 7 ™ par ? b1 !, deS SQUVenirS de Ia S uerre d *s Balkans 
(1877-78) et du Traité du 13 juillet 1878, étaient stationnés 

notre parc d’artillerie, notre aviation, des troupes d’infan¬ 
terie. C’est une petite ville de 2.000 habitants, sans grand 
caractère, mais dont la belle plage sablonneuse est “assez 
fréquentée pendant l’été. Makrikeuy est une ville plus im¬ 
portante, de 15.000 habitants ; elle est gentiment formée de 
villas gracieuses, aux peintures extérieures vives ; sa popu¬ 
lation se compose surtout de Turcs, de Grecs et d’Arméniens 
aisés. De vastes casernes (Saint-Arnaud) dominent la ville • 
elles abritèrent pendant l’occupation une partie de nos’ 
troupes d’infanterie. 


Mais déjà apparaît le corset fortifié de Stamboul mu¬ 
railles terrestres qui s’estompent dans le lointain, murailles 
maritimes à peu près disparues, avec le majestueux Château 
des Sep^ Tours, construit par Mahomet II le Conquérant, et 
qui fut à Constantinople ce que la Bastille fut à la France • 
combien de sultans détrônés par les Janissaires, d’ambas¬ 
sadeurs occidentaux indésirables, d’hommes politiques sus¬ 
pects, y trouvèrent la prison et la mort ! Puis ce sont les ves¬ 
tiges de la Ville Impériale : là, furent le Palais des anciens 
Empereurs chrétiens de Constantinople, le Palais d’Hor- 
misdas, ensanglanté par la perfide Théophano, puis la Ter¬ 
rasse de Gul-Hané (la Maison des Roses) où fut organisé 
dans l’ancien Val-de-Grâce turc, notre hôpital de base, enfin 
Déjouant 







34 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

voici la Pointe de Serai et, sur l’emplacement de 1 Acropole 
de l’antique Byzance, le Palais du Serai qui, jusqu à Mah¬ 
moud II, servit de résidence féerique aux sultans de Tur¬ 
quie. Les yeux contemplent, émerveillés, sous le ciel pro¬ 
fond, le dôme audacieux de Sainte-Sophie, les six minarets 
delà Mosquée Ahmed, la mosquée Validé Djami, les tours du 
Seraskierat et de Galata surplombant de leur masse les 
eaux dormeuses de la Corne d’Or. 

Laissant sur la rive asiatique Scutari, tournant court au 
Bosphore qui s’allonge devant lui jusqu’à la mer Noire, le 
voyageur, ému, pénètre dans la Corne d’Or. C est Constan¬ 
tinople. L’importance de la ville est exceptionnelle. Située 
à la jonction de l’Europe et de l’Asie, elle est, de ce fait, un 
centre commercial de très grande activité, un carrefour où 
ont abouti peuples d y Orient et peuples d’Occident, mais où 
dominent les Turcs, les Grecs, les Serbes, les Bulgares et les 
Russes. On y trouve toutes les races, on y parle toutes les 
langues (1), on y sert toutes les religions. Son port naturel 
permet aux gros bâtiments de guerre, comme aux plus 
lourds navires de commerce, de mouiller aux quais memes 
de la ville et de trouver un refuge sûr contre le danger exté¬ 
rieur de la tempête. 

La ville de Constantinople, riche de plus d’un million 
d’habitants, se compose, en réalité, de trois agglomérations 
Stamboul, Péra^Galata et Scutari, les deux premières sur la 
Tive européenne, la troisième sur la rive asiatique. Stam¬ 
boul au sud-ouest et Pera-Galata au nord-est sont séparées 
par la Corne d’Or, bras de mer de 11 kilomètres de longueur 
et de 450 mètres de largeur moyenne, aboutissant dans les 
terres à la vallée des Eaux Douces d Europe , dans laquelle 
viennent se jeter deux petits cours d’eau, l’Abi-Bey-Sou 
et le Kiathané-Sou, le Cydaris et le Barbyzès des anciens. 
Le Bosphore et la mer de Marmara large en ce point de 
1.500 mètres environ, séparent Scutari des deux cités euro¬ 
péennes. 


(i) Principalement le turc, le grec et le français. 





















































LE CADRE ET LE MILIEU 


35 


Scutari s’étend en amphithéâtre le long de la rive asia¬ 
tique escarpée, au pied et presque sur les flancs de l’impo¬ 
sant mont de Boulgourlou. C’est une ville de 70.000 habi¬ 
tants, presque tous Musulmans, très caractéristique et très 
pittoresque avec ses rues tortueuses et mal pavées, bordées de 
maisons en bois, et son cimetière turc, le plus vaste de 
l’Orient, si curieux et si impressionnant par la multitude de 
ses tombes essaimées sans ordre, mais non sans art, de 
ses mausolées à l’architecture délicate. Tout près, sur la 
côte, se dressent l’imposante Caserne de Selimié, la Faculté 
de Médecine d’Haïdar-Pacha, la gare tête de ligne du chemin 
de fer de Bagdad. 

En face de Scutari, sur des collines à faible altitude, et 
surplombant la Corne d’Or, s’élèvent entre le Bosphore et 
la Corne d’Or l’agglomération de Pera-Galata , entre la 
Corne d’Or et la mer de Marmara celle de Stamboul . Si les 
relations sont constantes et actives entre les trois villes, 
dont l’ensemble constitue la vieille capitale du Proche- 
Orient, elles le sont particulièrement entre Pera-Galata et 
Stamboul, dont deux ponts assurent la liaison : le vieux 
pont de bois du Fanar, original mais vermoulu, et le grand 
et beau pont de Karakeuy, jeté à l’entrée de la Corne d’Or, 
qui, par un mécanisme ingénieux, s’ouvre chaque jour pour 
permettre le passage des navires à destination ou en prove¬ 
nance de la Corne d’Or. 

Malgré cette quasi-juxtaposition des deux villes jumelles, 
rien n’est cependant plus différent que leur physionomie 
générale. Péra sur la hauteur et Galata le long des quais, 
c’est la ville européenne, c’est la ville des affaires, des com¬ 
merçants et des banques, des plaisirs aussi. Si ce n’était 
l’extraordinaire mélange des populations qui s’y coudoient, 
rien d’original ne la différencierait des villes d’Occident 
avec ses hôtels, ses cafés, ses jardins publics et ses magasins 
« à la franque ». Fera constitua pendant les deux dernières 
années de l’occupation le secteur anglais, mais nous y con¬ 
servâmes à notre usage l’hôpital Giffard, l’ancien hôpital 
français de Constantinople. Galata , c’est le faubourg mari- 






36 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

timè, aux petites ruelles obscures, humides, puantes, où 
grouille dans une bousculade continuelle une population 
cosmopolite dense et bruyante de gens sans aveu et de 
matelots en bordée ; des boutiques basses et primitives 
abritent des cafés, des estaminets louches, des maisons de 
débauche ; on y boit, on y mange, on y danse et l’on y aime 
aux sons fêlés des orgues de barbarie, des laternas et des 
boîtes à musique. Cet étrange quartier ne fut guère tenu, 
pendant l’occupation, que par la police interalliée et quel¬ 
ques soldats italiens. 

Stamboul (1), c’est Byzance ; sur cette petite pointe du 
Seraï, six siècles avant Jésus-Christ, les Mégariens jetaient 
les premières bases d’une ville qui devait devenir la Nou¬ 
velle Rome (2), la Capitale de l’Empire, qui devait connaître 
la prospérité la plus grande, la plus belle gloire, la fortune la 
plus enviée, la civilisation la plus raffinée, et aussi les 
drames les plus obscurs, les trahisons les plus lâches, les 
crimes les plus sanglants. Stamboul a conservé de magni¬ 
fiques souvenirs de sa splendeur byzantine : Sainte-Sophie 
est un joyau ; les pierres mêmes des anciens palais détruits, 
ont leur poésie et commandent le silence. Les Empereurs 
grecs ont laissé leurs traces. Aujourd’hui et depuis 1453, 
Stamboul est une ville ottomane : elle était même, jusqu’à 
ces toutes dernières années, restée très fermée aux étrangers 
qui la parcouraient en touristes, mais ne l’habitaient pas. 
Pierre Loti cependant, au siècle dernier, fut l’hôte de Stam¬ 
boul, et la petite maison de la rue Divan Yolou, qu’il occupa, 
porte une inscription qui rappelle la tendre affection et la 
reconnaissance fervente de la nation turque pour son grand 
ami. Pendant les deux dernières années de l’occupation, 
Stamboul fut le Quartier Général du Corps français : une 
grande partie de nos troupes, tous nos organes de direction 
s’y installèrent, les officiers s’y logèrent seuls ou avec leurs 


(1) De Istamboul (de eiç xtjv iroXiv). 

(2) C’est sous ce nom que, le 11 mai 330 (ap. J. C.), l’empereur Cons¬ 
tantin consacra sa capitale ; des fêtes merveilleuses furent données à cette 
occasion, qui durèrent plusieurs semaines. 



























LE CADRE ET LE MILIEU 


37 


familles, certains d’entre eux chez des Turcs mêmes. Il suffit 
de savoir avec quelle âpreté jalouse le Turc défendait alors à 
l’étranger, qui n’était pas de sa foi, l’accès de sa demeure, 
son haremlik surtout, et la fréquentation des siens, pour 
comprendre quel tact il a fallu aux uniformes français pour 
avoir raison, sans heurts, de traditions aussi lointaines. 

La ville de Stamboul qui a près de 8 kilomètres dans sa 
plus grande largeur s’étend, en forme de coin, entre la Corne 
d’Or au nord, la Marmara à l’est, sur un terrain inégal qui 
s’élève doucement à partir de la mer, au-dessus de laquelle 
il forme un relief de sept collines de faible altitude. Elle est 
limitée à l’ouest par des murailles de défense, chef-d’œuvre 
d’architecture militaire, qui bien que partiellement ruinées 
ne laissent pas, encore aujourd’hui, d’être fort impression¬ 
nantes ; elles jouèrent d’ailleurs un rôle important dans 
l’Histoire d’une Capitale, dont les richesses étaient convoi¬ 
tées par tant de peuples et dont elles constituèrent pendant 
des siècles la sauvegarde efficace ; elles n’ont cédé que de¬ 
vant l’assaut impétueux de Mahomet II, qui força la ville 
le 29 mai 1453, date fameuse qui ouvre l’ère de l’Histoire 
moderne. 

L’enceinte fortifiée, maritime et terrestre de Stam¬ 
boul mesure 15 kilomètres environ ; elle est coupée 
par plusieurs portes, dont deux surtout nous intéressent, 
parce qu’elles donnent passage aux routes conduisant à 
nos organisations militaires des environs de Constanti¬ 
nople : par la première, Yedi-Koulé-Kapou, on se rendait 
à Makrikeuy et à San Stefano, par la seconde, Top-Kapou, 
à rinfirmerie-ambulance Corroy, aux casernes d’infanterie 
de Maltépé et d’artillerie de Ramis, celle-ci délicieusement 
juchée au-dessus de la Corne d’Or et surplombant Eyoub, 
la ville sainte aux gracieux pigeons et au prodigieux cime¬ 
tière. Ce coin est plein de souvenirs : c’est à Maltépé que 
Mahomet II avait, en 1453, établi son Quartier Général et 
« mis en batterie » le fameux canon d’Orhan, père de notre 
-artillerie lourde. C’est à la porte même de Top-Capou que 
périt en héros, l’épée à la main, le dernier Empereur grec de 







38 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

Constantinople, Constantin Dracocès, le jour de la prise de 
sa capitale. Tout près, dans un vaste cimetière presque 
abandonné, aux tombes obliques et égrenées, mais si doux 
à parcourir, approchez-vous de cette tombe entretenue, 
joliment entourée, elle, d’une clôture métallique : deux 
saules pleurent sur Azyadé. 

Eclaircis par de vastes espaces libres, couverts de ruines, 
dus aux tremblements de terre et aux incendies gigan¬ 
tesques qui dévastèrent à plusieurs reprises Constantinople, 
les divers quartiers de Stamboul, surtout les quartiers 
excentriques, sont plutôt composés de maisons en bois au mi¬ 
lieu desquelles émergent de ci, de là, quelques beaux édifices 
en maçonnerie, de vieilles maisons byzantines ou d anciens 
palais transformés ; ces maisons sont presque toutes du 
type oriental avec leur forme originale, leurs balcons en 
relief (shanichir) d’où, à l’abri des grillages de bois, il est si 
commode aux curieuses « désenchantées », de voir sans être 
vues. Puis ce sont des mosquées splendides aux lignes élé¬ 
gantes, aux minarets élancés (1), les Turbès somptueux (2), 
les fontaines dorées à la délicate dentelle de marbre, les 
vestiges de la nouvelle Rome, l’Hippodrome, l’Obélisque 
de Théodose, la Colonne Serpentine, la Colonne Brûlée, qui 
attestent la vitalité de l’antique Empire byzantin et la 
magnificence de sa capitale. Les vignes-vierges, les fleurs 
et les jolies banderoles de verdure qui parent, à la mode 
turque, les joyeux cafés des rues, jettent une note fraîche 
sur les vieilles pierres endormies. La ville de Constantin et 
de Mahomet conserve encore aujourd’hui l’imprégnation 
profonde de Rome, d’Athènes et de Byzance ; les délicats 
sentiront l’enchantement de cette harmonie, mais les 
peintres et les poètes, seuls, sauront rendre l’infinie variété 
des couleurs, des teintes et des nuances, le pittoresque des 
paysages mobiles, la chaude émotion des soleils couchants, 
la mélancolique philosophie de la chanson du muezzin au- 


(1) Il y en a plus de 400 à Constantinople. 

(2) Tombeaux de princes ou de personnages de qualité. 

















































LE CADRE ET LE MILIEU 


39 


dessus des cyprès, le Bosphore empourpré ou violet, le cré¬ 
puscule descendant sur Stamboul, le profil des coupoles et 
des minarets se projetant le soir en ombres chinoises sur le 
fond orangé du ciel, et la Corne d Or frissonnante sous la 
brise de nuit, bruissant à travers sa forêt de voiles. 

LE MILIEU 

Quel contraste, au sortir de cette féerie, offre le milieu 
quand on le pénètre ! L’indigence de beaucoup d’habitations, 
l’aspect des rues pour la plupart étroites, tortueuses, sombres, 
l’insalubrité générale et l’absence d’hygiène, 1 insuffisance 
de la voirie, l’état de misère d’une grande partie de la popu¬ 
lation, ne manquent pas de frapper l’esprit, si joliment 
impressionné par le cadre extérieur. C est surtout en rela¬ 
tion avec l’état sanitaire d’une troupe, essentiellement 
fonction des conditions climatiques et hygiéniques du milieu 
dans lequel elle vit, qu’il convient pour nous, ici, d’envi¬ 
sager l’étude de ce milieu. 

Le Climat. — Le climat de la Turquie d’Europe participe 
à la fois du climat continental de la péninsule balkanique 
(hivers rudes et très froids, étés brûlants), et du climat mari¬ 
time (surtout méditerranéen) déterminé parle voisinage de la 
mer Egée, de la mer Marmara et de la mer Noire (hivers 
humides, étés chauds). Plus on s’éloigne de Constantinople 
et plus on remonte vers la Thrace et la Maritza, plus 1 in¬ 
fluence des conditions climatiques de la péninsule se fait 
sentir. On peut dire qu’à Constantinople et dans la région 
qui l’avoisine, à Gallipoli, tout autant de points qui 
nous intéressent plus particulièrement en raison de la répar¬ 
tition territoriale des éléments du Corps d occupation, 
l’hiver est en général maussade plutôt que rigoureux ; il 
est, en effet, dominé par la pluie, le vent, rarement par la 
neige. Le printemps est également humide et pluvieux. L été 
est chaud, même très chaud certaines années, mais avec des 







40 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


nuits fraîches. L’automne, la saison de beaucoup la plus 
agréable, est frais sans être froid, avec quelques orages. 

On le voit, ce climat ressemble fort à celui de beaucoup 
d’autres régions du sud de l’Europe ou tout au moins s’en 
rapproche beaucoup. Il a cependant ceci de particulier, 
c’est qu’il est sujet à de très grandes et très importantes 
variations, fort gênantes pour les habitants, et notamment 
pour ceux qui ne sont pas acclimatés. Ces variations portent 
sur la pression barométrique, sur la température, sur l’hu¬ 
midité. Ce sont là des questions qui ont été bien étudiées, 
ainsi que le régime des vents et des pluies, par le Service 
météorologique du Corps d’occupation, auquel nous devons 
quelques-unes de ces observations qui suivent. 

La moyenne générale annuelle de la pression baromé¬ 
trique est de 760 millimètres. La plus forte moyenne men¬ 
suelle s’observe en janvier, février (764 millimètres), la plus 
faible, en juin-juillet (759). Cette pression est soumise sou¬ 
vent à de brusques modifications d’un jour à l’autre et 
même d’une heure à l’autre dans la même journée. C’est ainsi 
qu’elle montait de 760 le 1 er décembre 1921 à 765 milli¬ 
mètres le 2 décembre. De même, elle passait de 756 milli¬ 
mètres le 17 février 1922 à 762 millimètres le 18. Les varia¬ 
tions horaires au cours d’une journée sont quelquefois de 
3 millimètres. Ainsi le 8 octobre 1921, la pression tombait 
entre onze heures et midi de 772 à 767 millimètres. 

La moyenne annuelle de la température est de 13°,7. 
Elle est suivant les saisons : 


Printempi. 11°,1 

Été... 22°,1 

Automne. . . 16°,6 

Hiver.•. 503 


Le maximum de la température est atteint tous les jours 
vers 12 h. 30, le minimum vers 2 h. 30 la nuit. Les mois de 
juin et de juillet sont les plus chauds, le mois de janvier est 
le plus froid. Comme la pression, la température est sujette 
à de très grandes variations d’un jour à l’autre et même 








LE CADRE ET LE MILIEU 


41 


d’une heure à l’autre dans la même journée. Le Service 
météorologique cite de nombreux exemples typiques de ces 
écarts ; le thermomètre, qui marquait 18° le 7 février 1922, 
descendait deux jours après à 5°. La température, qui était 
de 9° minimum dans la nuit du 13 au 14 juin 1921, montait 
jusqu’à 28° dans la journée du 14. Dans la nuit du 22 au 
23 juin, la température tombait en une heure de 6° (de 24° 
à 18°). La même année, le thermomètre marquait 0 le 
1 er novembre, 20° le 6 novembre et 15° le 25. 

Janvier, février, mars, novembre et décembre sont les 
mois les plus humides de l’année. Juillet est le mois le plus 
sec. C’est à la saison chaude, que les variations de l’humidité 
de l’air sont les plus fréquentes et les plus accentuées. Il est, 
en tout cas, un fait d’observation courante, c’est que, pen¬ 
dant l’été, les journées sont très chaudes et nécessitent le 
port de vêtements de toile, tandis que les nuits sont fraîches 
et humides et exigent les vêtements de drap, dès le soir venu. 

La quantité d’eau tombant chaque année est en moyenne 
de 704 millimètres répartis comme suit : Printemps : 128 mil¬ 
limètres. — Eté : 92 millimètres. — Automne : 245 milli¬ 
mètres. — Hiver : 338 millimètres. La moyenne annuelle 
des jours de pluie est de 103. Ces jours sont inégalement 
répartis ; cependant novembre, décembre et janvier sont 
les mois les plus pluvieux ; juillet et août les moins pluvieux. 
Les brumes et les brouillards sont également très fréquents. 
La brume étant due en effet à la condensation subite de 
l’humidité de l’atmosphère, survenant à la faveur d’un 
abaissement de température, ces conditions sont souvent 
réalisées à Constantinople, où les variations rapides de tem¬ 
pérature sont constantes, et où l’atmosphère est presque 
toujours chargée de l’humidité provenant de la mer. On a 
compté 121 journées de brouillard en 1921. La brume ne 
persiste cependant en général que le matin ; elle disparaît 
vers midi pour revenir le soir. En été, les journées sont 
chaudes et sèches ; mais la nuit, le Bosphore est presque 
toujours couvert d’une brume légère. 

La neige fait de rares apparitions 1 hiver a Constantinople* 









42 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Elle fond généralement très vite, ce qui augmente encore 
l’humidité de l’atmosphère. 

Les vents dominants sont ceux du nord et nord-est, qui sont 
des vents secs venus des grandes plaines de Russie, Après 
eux, les plus fréquents sont les vents du nord-ouest en pro¬ 
venance de Bulgarie, vents plutôt froids, puis les vents du 
Sud-Ouest, vents de la Marmara, partant vents de la pluie 
parce que chargés d’humidité, enfin les vents du Sud qui 
ont leur origine en Arabie et sont des vents chauds suffo¬ 
cants par moments. Les vents humides du Sud-ouest soufflent 
surtout au printemps et aussi à l’automne quoique avec 
beaucoup moins d’intensité. Les vents secs du N.-E. se font 
sentir pendant la saison d’été ; ils se manifestent encore à 
la saison des pluies en hiver ; mais ils sont alors souvent 
tempérés par les vents du Sud. C’est principalement en fé¬ 
vrier que les vents du nord-ouest, (Bulgarie) soufflent et 
rendent la pluie froide, glacée parfois. Quoi qu’il en soit de 
leur provenance et de leurs caractères, les vents sont pen¬ 
dant la plus grande partie de l’année à Constantinople assez 
désagréables. En dehors de la mauvaise saison pendant la¬ 
quelle ils apportent ou accompagnent la pluie, ils soulèvent 
les poussières qui, véhiculées à distance, pénètrent partout, 
fouettent le visage, irritent les yeux et les voies respiratoires, 
et jouent, à n’en pas douter, un rôle important dans la dissé¬ 
mination des affections contagieuses, de la conjonctivite 
granuleuse, de la diphtérie en particulier, et peut-être aussi 
de la dysenterie amibienne. 

Ce climat, que nous venons de caractériser de quelques 
traits, est assez agressif ; mais il bénéficie fort heureusement 
de l’influence bienfaisante des courants d’air du Bosphore, 
qui purifient sans cesse l’atmosphère menacée par les souil¬ 
lures du sol. Il est de la sorte, à tout prendre, aussi acceptable 
que celui d’autres contrées méridionales de l’Espagne ou de 
l’Italie, situées sous la même latitude. On s’y adapte assez 
facilement, en observant les précautions nécessaires pour 
se mettre à l’abri des changements brusques de tempéra¬ 
ture. 


































I 

J 


le cadre et le milieu 


42 


L’habitation (1). — Une des premières préoccupations es 
Chefs Français fut d’assurer à leurs hommes, dans leur zone 
de stationnement, une habitation acceptable. En Turquie, 
partout s’élèvent des maisons de bois : vues de 1 extérieur 
elles sont assez plaisantes ; mais ce n’est qu une façade, il 
suffit de pénétrer à l’intérieur, pour se rendre compte de la 
médiocrité du confort de la plupart d’entre elles. Sous in¬ 
fluence des changements d’un climat particulièrement mo¬ 
bile, de l’humidité, et en été de la chaleur, ces maisons se 
délabrent rapidement d’autant que leurs habitants de tem¬ 
pérament insouciant et placide, ne font rien pour les entre- 
tenir • le plâtre des murs s’effrite, s’écaille, les châssis des 
portes’ et des fenêtres se disjoignent. Ce sont des glacières 
en hiver, des étuves en été. Les parasites, puces et punaises, 

V pullulent, trouvant dans les fissures du bois des repaires 
inexpugnables et arrivent à échapper ainsi à l’action des 
agents chimiques les plus actifs, comme ceux employés pour 
la nitro-sulfuration. Les moustiques (peu d’anopheles) sont 
fort gênants de juin à octobre, les souris et les rats sont les 
hôtes habituels des maisons turques. Même parmi les mai¬ 
sons « chic »> du quartier « chic » de Stamboul, c est-a-dire 
le quartier Sainte-Sophie-Sublime-Porte, il y a en peu ou 
les habitants, doux philosophes, ne vivent en parfaite in¬ 
telligence avec toutes ces petites bêtes domestiques ; es 
Occidentaux délicats, que nous sommes, s’en accommodent 

beaucoup moins bien. , 

Les water-closets, le plus souvent en marbre, sont géné¬ 
ralement assez soignés ; ils sont bien « à la Turque », mais 

d’un modèle tellement réduit d’entrée, de canalisation d éva¬ 
cuation tellement étroite qu’ils sont constamment obstrues 
dès que nous nous en servons. Les Turcs, eux, n utilisent pas 
de papier pour leur toilette spéciale ; ainsi dans chaque V .- 
il y a un robinet d’eau courante pour leurs lavages intimes. 

' ,1, dZT-p^ 

vue principalement le pays P P , fortunée, qui habite de*. 

îs ■'AS».SS SW**- - pi. —- 








44 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Ce ne sont pas là mœurs de soldat Français ; et on a dû re¬ 
noncer à l’utilisation de ces W.-C.-baby pour nos hommes. 

Les maisons ne sont pas chauffées centralement et cepen¬ 
dant il y a des journées bien rudes en hiver ; les poêles à 
bois sont le mode de chauffage le plus communément em¬ 
ployé et encore... avec parcimonie ; beaucoup d’habitants 
se contentent, pour le chauffage de la pièce de la maison 
où ils se tiennent, de la combustion à l’air libre de charbon 
de bois, sur un réchaud spécial en cuivre dit « mangal » qui 
est en même temps un meuble. Il y en a d’ailleurs de fort 
jolis modèles, les anciens surtout, fort recherchés des ama¬ 
teurs de « turqueries ». Les Turcs se chauffent peu chez eux, 
mais ils y sont chaudement vêtus : des travées entières du 
Grand Bazar (1) sont occupées par des marchands de « vête¬ 
ments d’intérieur », tous doublés de fourrure. 

A Constantinople, l’électricité s’est substituée en beaucoup 
de points à l’éclairage par le pétrole et par l’huile ; les ins¬ 
tallations sont sommaires souvent, mais c’est un grand bien¬ 
fait pour la Capitale qui a eu à subir, du fait de son éclairage 
et de son chauffage primitifs, des incendies d’une ampleur 
inconnue dans nos régions, au cours desquels des quartiers 
entiers ont disparu pour jamais (tel le formidable incendie 
du 27 juillet 1911). 

Ces maisons, si inconfortables et si vulnérables au feu, 
ne furent qu’accidentellement utilisées par nos trompes. 
Celles-ci trouvèrent dans les villes, à Constantinople en par¬ 
ticulier, des bâtiments en maçonnerie, des casernes turques, 
voire des édifices publics, qu’elles occupèrent ; cependant 
certaines unités durent pendant notre séjour se contenter 


(1) Le Grand Bazar ou Buyuk-Tcharchi est un des coins les plus 
curieux de Stamboul ; il occupe un vaste quadrilatère de terrain de 
près de 2 kilomètres de pourtour entre le quartier de la Sublime-Porte 
et le Séraskierat. Dans le chaos inextricable de ses 92 rues étroites, 
presque toutes sous toit, une foule cosmopolite d’indigènes, d’étrangers 
et de voyageurs se presse autour de boutiques bigarrées, où l’on vend de 
tout, bijoux, vêtements, fourrures, étoffes délicates, tapis précieux, 
armes anciennes. Pour être différent des « Souks » de Tunis ou de ceux 
de Smyrne, le Grand Bazar de Stamboul n’en constitue pas moins une 
véritable attraction, pour qui ne craint pas les promiscuités douteuses. 






£E CADRE ET LE MILIEU ^ 

de simples baraques en bois. Avec 1 aide toujours bienveil¬ 
lante du Général commandant, si soucieux de la santé de 
ses soldats, le Service de santé du Corps d’occupation et le 
Service du Génie s’appliquèrent avec ténacité à améliorer 
tous ces casernements (même les casernes) qui laissaient 
fort à désirer au point de vue de l’hygiène. Les murs furent 
réparés, les toits restaurés ; partout on installa des W.-C- 
mieux adaptés que les W.-C. turcs aux habitudes des 
nôtres, et quand c’était impossible, des tinettes ou mieux 
des feuillées, des incinérateurs pour ordures, des salles 
de douche, des lavabos abrités, des réfectoires, des cuisines 
protégées. Une lutte acharnée fut entreprise contre les 
parasites. 

L a R ue . — L’indigence des habitations n’est pas la seule 
difficulté à laquelle il fallut faire face ; nos hommes furent 
aussi exposés aux conditions hygiéniques défectueuses des 
villes et des villages occupés. Toutes les localités de la Tur¬ 
quie sont sales et mal tenues ; à Constantinople même, où 
cependant d’incontestables progrès ont été réalisés, le ser¬ 
vice de la voirie est encore très sommaire. Les ordures qui 
sont jetées dans la rue, ou déposées dans des boîtes dans 
les grandes artères, sont enlevées au moyen de minuscules 
caissons, montés sur roues et traînés par des mûlets ; ces cais¬ 
sons sont tellement mal fermés que les ordures s’égrènent 
sur le sol le long de la route suivie. Quant aux toutes petites 
rues excentriques, ou dans certains villages, tout ce qu on 
y jette y pourrit, se déssèche et se décompose, offrant un 
milieu particulièrement favorable au développement des 
mouches, des phlébotomes, etc... ; une odeur caractéris¬ 
tique de pourriture remplit l’atmosphère, et pénètre tenace 
jusque dans les habitations. Beaucoup de rues, par ailleurs 
mal pavées ou dépavées, tortueuses, étroites, sont rapide¬ 
ment transformées en cloaques dès qu il pleut, faute d un 
système d’écoulement des eaux bien compris et aussi parce 
que les maisons n’ont souvent ni cheneaux, ni tuyaux de 
descente pour les eaux pluviales. 









46 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


L'Eloignement des matières usées. — i Même à Constan¬ 
tinople, le mode d'éloignement des matières usées est 
resté primitif. Le « tout à l’égoût », défectueux en maints 
endroits, fait trop souvent complètement défaut. Des 
fosses fixes ou puisards remplacent les égoûts ; leur vi¬ 
dange s’opère d’une manière primitive sans appareillage 
hygiénique ; quelquefois même, les matières fécales et les 
eaux ménagères sont déversées simplement dans les ter¬ 
rains vagues, si nombreux dans la capitale, ou même dans 
les rues. Les fosses fixes qui ne sont pas étanches, sont sou¬ 
vent placées à côté des puits d’alimentation en eau de boisson, 
d’où la contamination inévitable du sous-sol et de la 
nappe souterraine. Un tel état de choses entraîne de graves 
inconvénients pour la santé publique ; les maladies trans¬ 
missibles par l’eau telles que le choléra, la dysenterie, les 
fièvres typho-paratyphoïdiques trouvent là un terrain extrê¬ 
mement favorable à leur développement, comme le prouvent 
les épidémies terribles qui ont frappé Constantinople. Bien 
que, sous l’influence de la Commission sanitaire interalliée 
urbaine, la Préfecture de la ville ait fait construire quelques 
fours crématoires, les détritus recueillis par le service de la 
voirie sont pour la plupart apportés jusqu’à la Marmara ; 
de là des mahonnes spéciales vont les déverser dans la mer 
à faible distance du rivage, vers lequel les ramènent les vents 
et les courants marins, et l’on peut voir au pied même de 
cette divine Pointe du Serai et de son merveilleux Palais 
pourrir des épaves de toutes sortes, des cadavres d’animaux 
puants, ballotés par le flux et le reflux de la mer jusqu’au 
seuil des habitations. Le Service de santé dut intervenir à 
plusieurs reprises, pour protester et protéger contre ces 
odeurs pestilentielles nos organisations militaires, nom¬ 
breuses en ces points. 

L'Alimentation. — Une population extrêmement dense, 
que sont venus encore accroître depuis la Grande Guerre 
de nombreux émigrés de Thrace, de Russie, de Syrie ou de 
Turquie d’Asie, s’entasse trop nombreuse dans des quartiers 






LE CADRE ET LE MILIEU 


47 


trop étroits, assez insouciante du reste de la saleté qui l’en« 
vironne. La misère est grande parmi la population grouil¬ 
lante de ces quartiers malsains de Constantinople. Le pays 
a été ruiné par dix années de guerres malheureuses continues ; 
le sol est peu cultivé et ne produit presque rien ; l’état de 
guerre en Anatolie jusqu’en 1922 ferme pour la Turquie 
d’Europe le marché de blé de la Turquie d’ Asie. On comprend 
dans ces conditions, que la population turque ait ressenti 
vivement les conséquences de ces privations et de ces pertes, 
et qu’elle ait souffert durement ; que d’infirmes, d’estro¬ 
piés, de malades, d’indigents dans les rues de la capitale ! 

La qualité de l’alimentation des Turcs, en principe simple 
et médiocre, s’est aggravée avec les exigences de la vie chère. 
11 n’y a pas d’élevage en Turquie, la viande est coûteuse 
et mauvaise, aussi le Turc mange-t-il peu de viande ; le ké- 
bab (mouton) préparé de diverses façons est le plat de 
viande type du pays ; seuls les gens aisés se le permettent 
comme viande de choix, mais les pauvres gens se contentent 
de bas morceaux pendus à l’étal des boucheries populaires 
et exposés à toutes les souillures et contaminations des mou¬ 
ches. Le pilaf (riz cuisiné) est le plat national turc ; il 
forme avec le pain la base de l’alimentation de la population 
peu fortunée ; malgré les nombreux restaurants turcs, mé¬ 
diocrement achalandés de Stamboul, il n’est pas rare de 
voir, au coin des rues ou sur le devant de leur logis, des gens 
du peuple manger pour leur repas un morceau de pain ou 
une galette, et un brouet préparé sommairement avec du riz 
et des légumes. L’été, ils se montrent friands des crudités, 
fort en honneur en Orient, melons, pastèques, tomates, pi¬ 
ments, qui constituent souvent le meilleur du repas des pau¬ 
vres. Les Turcs mangent beaucoup de fruits, qui sont abon¬ 
dants et souvent exquis ; le raisin est particulièrement sa¬ 
voureux. Les friandises, sucreries, confitures, glaces avec 
crème fraîche sont fort recherchées ; le confiseur à la mode 
Hadji-Bekir, le « Boissier » de Stamboul, offre à ses clients 
de délicates pâtes à la rose ou à la pistache, des « Rahaat- 
Lokoum » réputés, mais il faut voir l’officine ! 










48 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

Le lait n’est consommé par la population turque à peu 
près que sous forme de kaimak (crème fraîche) ou de 
yohourt qui est à la fois un dessert délicieux et un excel¬ 
lent médicament de l’intestin ; il n’y a pour ainsi dire pa& 
de lait frais à Constantinople ; en 1922 il était tellement cher, 
que nos formations hospitalières elles-mêmes ont dû y re¬ 
noncer, et n’ont utilisé que le lait de conserve. L’Ottoman 
doit, en principe, ne boire que de l’eau, pourtant si dange¬ 
reuse comme nous le verrons ; beaucoup y sont contraints 
par la médiocrité de leur bourse ; le vin qui est cher et mau¬ 
vais (même dans les grands restaurants de Pera où il est 
hors de prix), est interdit par la religion musulmane comme 
boisson fermentée, mais il y a des accommodements même 
avec le Ciel musulman ! L’alcoolisme a touché le Peuple 
Turc, tout comme le reste du monde ; sans parler des au¬ 
tres alcools, le mastic cette affreuse eau-de-vie blanche,, 
aromatisée avec des grains d’anis ou de gomme-mastic, a fait 
bien des victimes. Nous nous sommes laissé dire que le Gou¬ 
vernement National d’Angora a déjà fort heureusement 
réagi contre ces abus, et qu’il s’efforce d’imposer à la capi¬ 
tale un régime « sec », plus hygiénique, c’est certain. 

Le Turc boit beaucoup de café, de ce café spécialement 
préparé que tout le monde connaît bien, où il y a « à boire et à 
manger » ; un fonctionnaire, un ami, un commerçant, qui 
reçoit un visiteur, lui offre inévitablement une tasse de café 
et cela à quelque heure de la journée que ce soit : c’est une 
forme de cette courtoisie turque, si répandue dans toutes 
les classes de la société, et à laquelle il convient de répondre 
de même manière, en acceptant. La cigarette accompagne 
généralement la tasse de café : on fume beaucoup en Tur¬ 
quie ; les tabacs sont de qualité fort inégale, et tous ne rap¬ 
pellent pas les blondes cigarettes, chères à nos élégantes. 
On fume partout et tout le monde fume, hommes et femmes, 
dans la rue comme dans les endroits publics, dans les tram¬ 
ways comme au théâtre, au restaurant comme au cinéma. 

La fraude des substances alimentaires s’opérait presque 
au grand jour, à Constantinople, au moment de notre dé- 







LE CADRE ET LE MILIEU 


49 


part. De véritables entreprises industrielles s’étaient mon¬ 
tées pour fabriquer, par exemple, du beurre au moyen de 
graisses de toute provenance ; le sucre, l’alcool, le vinaigre, 
l’huile, etc... étaient également fraudés. Les coupables étaient 
traduits devant les tribunaux ; mais ils profitaient des len¬ 
teurs de la procédure judiciaire, de l’absence de loi sur les ma¬ 
tières alimentaires et de sanctions sévères,pour ne pas craindre 
le magistrat ; il n’en sera peut-être pas toujours de même. 

Les abattoirs, en 1922, étaient encore la propriété des 
particuliers et leurs conditions hygiéniques étaient généra¬ 
lement défectueuses. La Préfecture de la Ville n’usait pas 
assez de ses droits de contrôle sur ces établissements, dont 
les plus importants sont situés au centre même de la ville. 
Les abattoirs municipaux, qui étaient à cette époque en cons¬ 
truction, doivent remplacer complètement les abattoirs privés. 

Les eaux potables. (1) — L’importance de l’étude hy¬ 
giénique des eaux d’alimentation dans une collectivité mi¬ 
litaire justifie le développement, qui a été donné à ce para¬ 
graphe ; nous nous étendrons principalement sur le système 
hydraulique complexe de la région de Constantinople, si 
plein d’intérêt et si peu connu encore, ainsi que sur la valeur 
de ses eaux ; nous nous bornerons à quelques considérations 
générales sur les eaux potables, consommées dans les autres 
zones de stationnement de nos troupes. 


A) SYSTÈME HYDRAULIQUE DE LA RÉGION 
DE CONSTANTINOPLE 

La ville de Constantinople étant située sur des hauteurs, 
son ravitaillement en eau potable a toujours été difficile 
et onéreux. Il fallut de tout temps aller chercher , loin dans 
les environs, l’eau qui lui était nécessaire et que le sous-sol 


(1) Nous nous sommes inspirés pour la rédaction de ce paragraphe de 
la très intéressante documentation, fort obligeamment mise à notre dispo¬ 
sition par M. Huret, directeur de la Compagnie française des eaux de 
Constantinople. 

Dejouany ^ 








50 les ALLIÉS a CONSTANTINOPLE 

ne pouvait par ailleurs lui fournir en raison de sa nature vol¬ 
canique, de sa composition géologique (calcaires et con¬ 
glomérats parsemés de failles) peu favorable à la formation 
de nappes souterraines. Or, la population a toujours fait 
une énorme consommation d’eau pour son alimentation, 
pour l’embellissement de la ville et pour les ablutions ou 
bains prescrits par la religion. Aussi des travaux considé¬ 
rables ont-ils été entrepris et développés à travers les siècles- 
pour aboutir au système hydraulique, fort embrouillé, qui 

dessert actuellement la région. 

Les canalisations ou les ouvrages les plus anciens de ce 
système sont dus aux Empereurs byzantins, qui firent col¬ 
lecter les eaux de ruissellement des hauteurs situées à l’ouest 
de la ville ou eelles des deux rivières aboutissant a 1 extré¬ 
mité de la Corne d’Or, le Kiat-Hané-Sou et l’Ali-Bey-Sou, 
pour les conduire dans leur capitale, réduite alors a 1 agglo¬ 
mération de Stamboul. De tous les travaux qu’ils édifièrent 
dans ce but, beaucoup sont encore utilisés de nos jours dans 
le système hydraulique de la forêt de Belgrade dont ils de- 
vinrent une “dépendance : tels sont l’aqueduc de Valens 
( Iv e siècle), qui s’élève en plein Stamboul, l’aqueduc de 
Justinien (vi e siècle), situé au Nord de la Corne d’Or, la 
grande Citerne de « Yeri-Batan » (1) ou « Cisterna Basihca » 
( iv e siècle) qui se trouve près de la Mosquée de Sainte-So¬ 
phie Tels sont également les canalisations ou aqueducs qui 
furent construits dans la région de Pyrgos, entre le vu® 
et le xv e siècle. D’autres ouvrages de l’époque byzantine 
ne subsistent actuellement qu’à l’état de souvenirs histo¬ 
riques. Il en est ainsi de nombreuses citernes qui étaient a 
l’origine, comme la Cisterna Basilic a d’immenses réservoirs, 


fl) Cette citerne est une des curiosités de Stamboul ; elle fut édifiée 
,u iv® siècle par Constantin et restaurée par Justinien ; eüe mesure 
Tl mètres sur 60 ; sa voûte splendide est supportée par plus de 300 co- 
onnes merveilleuses et supporte elle-même le quartier qui s'étend entre 
“ rue Kvan-Yolou et la Sublime-Porte. On y circule en barques sous 
es lampes à arc. pendant que, par des ouvertures ménagées dans la voûte, 
es habitants puisLt de l'eau à l'aide de seaux attaches a de longues, 
ordes. 



Bassin de Filtration 


































































































































LE CADRE ET LE MILIEU 


51 

aménagés au sommet des quartiers à desservir, et dans les¬ 
quels aboutissaient les eaux des différentes conduites et des 
aqueducs. Elles sont aujourd'hui très curieuses à visiter, en 
raison de leurs vastes dimensions et de leurs détails archi¬ 
tecturaux, mais elles sont desséchées et envahies par la vase. 
^ Au milieu du xv e siècle, en 1453, au moment où les Turcs 
s’emparèrent de Constantinople, le système hydraulique, 
édifié par les différents Empereurs païens ou chrétiens 
au cours des quinze siècles écoulés, comprenait d’un côté les 
canalisations amenant par l’Aquedue de Valens les eaux de 
ruissellement de la région ouest de la Capitale (réseau Cons¬ 
tantin-Valens), de l’autre les conduites en provenance de 
la vallée supérieure de l’Ali-Bey-Sou et du Kîat-Hané-Sou 
et reliées à la ville par le bassin de Pyrgos et l’aqueduc de 
Justinien (réseau Pyrgos-Justinien). La quantité d’eau ainsi 
recueillie était bien inférieure aux besoins de la population. 
De plus, seule l’agglomération de Stamboul en bénéficiait, 
les Empereurs byzantins ayant complètement négligé les 
vastes quartiers, qui s étaient progressivement élevés sur 
la rive septentrionale de la Corne d’Or, aux emplacements 
occupés aujourd’hui par Kassim-Pacha, Péra, Galata, Bé- 
chiktache, Top-Hané, Dolma Bagtché. 

Pour combler cette lacune, les Sultans édifièrent de nou¬ 
veaux ouvrages qui leur permirent d’obtenir un débit aug¬ 
menté, et d’alimenter en outre non-seulement les faubourgs, 
jusque-la délaissés, mais encore la série des villages échelonnés 
tout le long de la côte européenne du Bosphore. Ils utili¬ 
sèrent à cet effet, à l’intérieur même de la forêt de Belgrade 
située à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville, les 
eaux de pluie ou d’infiltration recueillies dans l’excavation 
des vallons avant qu’ils ne s’élargissent pour devenir val¬ 
lées ; de simples digues disposées en travers dans ces vallons 
et les barrant en deux endroits, permirent d’obtenir dans 
leur intervalle de vastes cuvettes. Ainsi furent réalisés de 
grands réservoirs naturels, appelés « bends », dont les parois 
furent renforcées à l’aide de travaux de maçonnerie. Le 
bend inférieur, celui d’où partent les canalisations, fut muni 




52 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

d’écluses encastrées dans une façade faite de la superposi¬ 
tion de splendides blocs de marbre, ornés d’inscriptions et 
de motifs artistiques. Au xvi e siècle, cinq bends supplé¬ 
mentaires furent créés ; au xvii e siècle, quatre nouveaux 
bends furent construits au Nord du village de Bagtchekeuy, 
chargés d’alimenter Péra, Galata et la rive Nord du Bos¬ 
phore. 

Ces bends du groupe de Belgrade furent facilement reliés, 
près de la forêt, au système Byzantin, au niveau du bassin 
de Pyrgos et de l’aqueduc de Justinien. L’artère unique, issue 
en cet endroit du groupement des canalisations byzantine 
et turque, fut fusionnée plus loin dans la région d’Eyoub 
avec le système d’adduction des eaux amenées des hauteurs 
ouest de la ville à destination de l’aqueduc de Valens. 
Ainsi fut constitué, de ce côté, un réseau unique, résultat de 
l’abouchement du système nouveau Ottoman au système 
Pyrgos-Justinien d’un côté, et au système Constantin-Valens 
de l’autre. 

La canalisation, issue des bends de Bagtchékeuy à des¬ 
tination des localités riveraines du Bosphore et de Constan¬ 
tinople, dut être construite en entier ; il n’existait pas en 
effet sur son parcours de travaux d’art ou de conduites. Les 
bends et les canalisations qui en dépendent sont encore uti¬ 
lisés de nos jours. Ils relèvent du système des eaux de l’Evkaf, 
dont nous parlerons dans la suite. Outre leur importance 
pratique, ils offrent un intérêt considérable à la fois par leur 
étendue et leur vaste développement, par les proportions 
qui leur ont été données, et par le cachet esthétique et dé¬ 
coratif de la plupart d’entre eux. 

Pour recueillir, avant leur distribution, les eaux amenées 
aux portes de la ville ou dans ses différents quartiers, les 
Turcs installèrent des réservoirs spéciaux, dits « taxims », qui 
supplantèrent progressivement les citernes que les Empe¬ 
reurs Byzantins avaient d’ailleurs commencé à abandonner. 
Les taxims sont de grands bassins de répartition aménagés 
sous terre. 

La ville de Constantinople resta alimentée, pendant de 







LE CADRE ET LE MILIEU 


53 


nombreux siècles et jusqu’il y a encore 30 ou 40 ans, par les 
seules eaux de sources ou de rivières captées dans le voisi¬ 
nage par les Byzantins, ou par les eaux de ruissellement re¬ 
cueillies à Belgrade par les Turcs, amenées les unes et les 
autres jusqu’aux taxims. En 1883, une Compagnie Fran¬ 
çaise qui fut appelée par la suite « Compagnie Française des 
eaux de Constantinople » entreprit, après autorisation impé¬ 
riale, des travaux de captation et de filtration des eaux du 
lac de Derkos, qui furent conduites au moyen de canalisa¬ 
tions spéciales jusqu’à Constantinople, dont l’alimentation 
en eau potable fut de la sorte considérablement augmentée. 
Trois ans plus tard, en 1888, l’agglomération de Scutari, sur 
la côte d’Asie, fut à son tour pourvue d’un système d’adduc¬ 
tion d’eau captée au moyen d’un bend. Plus récemment, les 
eaux de source qui émergent sur la côte d’Europe, à l’est du 
village de Pyrgos sur les bords de la rivière Kiat-Hané,ont 
été exploitées par la ville, et utilisées pour l’approvisionne¬ 
ment d’une certaine partie de Péra et de ses alentours. 

Il a été question, au cours de cet aperçu historique et sui¬ 
vant la tradition, de citernes dans lesquelles furent collec¬ 
tées pendant longtemps les eaux provenant des différentes 
canalisations. Il est essentiel de préciser ici que c’est là un 
terme impropre, puisque par définition, une citerne est un 
réservoir destiné à recueillir directement les eaux de pluie. 
Il existe bien à Constantinople des citernes vraies. On en 
trouve même beaucoup dans tous les quartiers. Les habitants 
les appellent communément et fort improprement puits . Il 
n’y a pas ou il y a très peu de puits véritables à Constanti¬ 
nople, le sol rocailleux delà ville ne fournissant aucune nappe 
d’eau. Les quelques rares puits qui existent ne produisent 
qu’un volume d’eau très faible de mauvaise qualité, d’un 
goût salé pour la plupart d’entre eux, à cause du voisinage 
de la mer sur trois côtés. 

Tel est, exposé à grands traits, le système hydraulique des 
eaux d’alimentation de Constantinople ; examinons mainte¬ 
nant comment est ordonné son réseau de canalisations, les¬ 
quelles sont réparties en quatre groupes : 


54 



LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

i° Les canalisations de l’Evkaf. 

2° Les canalisations de la Compagnie des Eaux de Cons¬ 
tantinople. 

3° Les canalisations des sources de Kiat-Hané. 

4° Les canalisations delà Compagnie des Eaux de Scutari- 
Kadi-keuy. 

1° Les canalisations de l’Evkaf. — L’Evkaf ou Mi¬ 
nistère des fondations pieuses, était chargé de gérer les édi¬ 
fices religieux et les biens cédés à l’Etat par donations ; il 
était distinct du Ministère du Culte Ottoman, du « Cheik- 
ul-Islamat ». Nous ignorons s’il a été maintenu sous cette 
forme par le régime nouveau ; son nom est en tout cas à 
retenir en ce qui concerne la question des eaux potables. 
C’est de lui, que relèvent les canalisations les plus anciennes 
de Constantinople et qui comprennent : 

a) le système des bends de la forêt de Belgrade, les aque¬ 
ducs, les conduites d’adduction et de distribution qui en 
dépendent. 

b) Les canalisations tributaires de l’aneien réseau Constan¬ 
tin-'Valons, amenant les eaux de ruissellement provenant des 
hauteurs ouest de la ville. 

c ) Le groupement des canalisations des eaux de source 
de la région Ouest et Sud-Ouest de la ville, groupement dit 
des sources d’Halkaly. 

a) Bends. — Le système des canalisations émanées de 
la forêt de Belgrade se décompose, avons-nous dit, en deux 
branches distinctes correspondant aux deux groupes de 
bends. Elles suivent chacune pour aboutir à la ville un trajet 
distinct, séparées l’une de l’autre par le Kiat-Hané-Sou. 
L’une issue de Bagtchékeuy, dite branche orientale , est des¬ 
tinée à la ville européenne (Réservoir du Taxim), Péra no¬ 
tamment, à ses faubourgs et aux villages riverains du Bos¬ 
phore. Elle parcourt un terrain à peine accidenté; aussi est- 
elle à peu près en entier composée de conduits souterrains 
en maçonnerie. A sa sortie de Bagtchékeuy cependant, elle 
franchit la vallée encaissée du Buyukdéré-Sou au moyen de 











LE CADRE ET LE MILIEU 


55 



l’aqueduc de Mahmoud, ouvrage d’art dominant le paysage 
de sa masse imposante. 

La branche issue de Belgrade, dite branche occidentale. 
parcourt un terrain très accidenté ; elle décrit un grand 
nombre de détours, franchissant les rivières, les ravins, les 
dépressions à l’aide de 17 aqueducs. Les deux rameaux qui 
la constituent à sa sortie des bends passent en deux points 
différents sur un affluent du Kiat-Hané-Sou (aqueducs du 
Sultan Suleïman et de Kavouk-Kémer) ; ils se réunissent, 
dans le bassin de Pyrgos, en une seule artère qui franchit 
PÀli-Bey-Sou par l’aqueduc de Justinien et arrive dans le 
voisinage d’Eyoub, où elle opère sa jonction avec l’ancien 
système Constantin-Yalens. 

b) Système Constantin- Valens. — Ce réseau groupe les 
eaux de ruissellement captées à l’ouest de la ville et celles 
d’un ruisseau qui débouche dans la Mer entre Stamboul et 
Makrikeuy. La branche unique résultant de la jonction des 
canalisations de la branche occidentale de Belgrade et du 
réseau de Constantin-Valens pénètre par la porte d’Egn- 
Kapou dans Stamboul qu’elle traverse dans toute sa lon¬ 
gueur du Nord-Est au Sud-Est, donnant naissance à 
une infinité de ramifications secondaires, à destination des 
très nombreuses fontaines de la ville. Elle est sur tout son 
parcours en maçonnerie. Les canalisations de distribution 
de Stamboul sont en poterie, en fonte ou en plomb. 

c) Canalisations de Halkaly. — On désigne sous ce nom 
les canalisations, qui servent à conduire à Stamboul les eaux 
de ruissellement et celles d’une infinité de sources de faible 
débit, captées à l’ouest et au sud-ouest de la capitale. Ces 
eaux, rassemblées dans des réservoirs situés en dehors des 
fortifications, alimentent Stamboul par 17 canalisations, 
dont chacune aboutit en principe à une mosquée, à l’usage 
de laquelle elle a été construite a 1 origine. Les conduites ont 
pris d’ailleurs le nom des mosquées qu’elles approvisionnent 
(Fatih, Bayazid, Suleïmanié, Sultan Ahmed, Nouri-Osmanié, 
etc...*). Mais des fontaines, des bains, des établissements pu¬ 
blics, des écoles ayant été par la suite branchés en différents. 



56 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


points sur elles en dérivation, il en résulte un réseau d une 
complexité inextricable. Les canalisations principales sont 
en poterie ou en maçonnerie. Des tronçons de construc¬ 
tion récente sont en fonte. Le débit journalier des sources 
d’Halkaly ne dépasse pas 2.000 mètres cubes. 

2° Les eaux de Derkos. — Le lac de Derkos, exploite 
pour l’alimentation de la ville et des faubourgs par la-Com¬ 
pagnie Générale des Eaux, est situe a 47 kilométrés de Cons¬ 
tantinople, au voisinage de la Mer Noire ; il est alimenté 
par les eaux de pluie et par celles de la rivière Stranga. Après 
aspiration et décantation à 1 origine, 1 eau est envoyée dans 
quatre bassins de filtrage et refoulée ensuite à travers des 
tuyaux en fonte jusqu’à un bassin de charge souterrain, 
situé sur une crête voisine du lac à une altitude de 114 mè¬ 
tres. De ce bassin, elle descend par simple gravitation dans 
une conduite d’amenée en maçonnerie voûtée et cimentée, 
comprenant sur son parcours des siphons en fonte pour la 
traversée des vallées ; elle arrive, à l’entrée de Péra, au ré¬ 
servoir de Férikeuy, dont la capacité est de 7.800 mètres 
cubes. 

Un embranchement se détache de la canalisation au ni¬ 
veau du village de Kiat-Hané, contourne la Corne d Or pour 
aboutir au réservoir d’Edirmé-Kapou (capacité: 2.300 m s ), 
d’où partent les ramifications destinées à Stamboul. 

Le réservoir de Férikeuy alimente Pera, Galata et aussi, 
par l’intermédiaire de trois réservoirs secondaires, les vil¬ 
lages de la rive européenne du Bosphore jusqu’à Boyadji- 
keuy, au-delà de Bébek. L’usine élévatoire de Férikeuy sert 
à approvisionner un château d’eau situé dans la partie 
haute de la ville, à Chichli, d’où partent les conduits des¬ 
tinés aux quartiers élevés et aux étages supérieurs des mai¬ 
sons de Péra, ainsi qu’à l’agglomération importante d’Yldiz, 
où résidait le Calife. 

Le débit de cette canalisation est de 1.800 mètres cubes 
par 24 heures, mais il peut être de 40.000 mètres cubes. 

3° Canalisation des eaux de sources de Kiat-Hané. — 
Eaux d’Hamidieh. — Cette canalisation, qui appartient 








LE CADRE ET LE MILIEU 


57 


à la ville et à divers cercles municipaux, a été construite 
assez récemment. Elle est ainsi plus perfectionnée que les 
autres canalisations. Elle amène à Constantinople les eaux 
de plus de 60 petites sources captées à l’est du village de 
Pyrgos, sur les deux bords de la rivière de Kiat-Hané-Sou. 
L’eau circule dans une conduite en fonte, qui aboutit à un 
réservoir près du village de Kiat-Hané ; elle est envoyée de 
là sous pression par une usine élévatoire à Yldiz, Béchik- 
tache, Ortakeuy, Dolma-Bagtché, Nichantache, Pancaldi. 

Les eaux de Kiat-Hané sont très appréciées pour leur 
limpidité. Les conditions dans lesquelles elle sont captées 
et distribuées offrent en outre des garanties, appréciables ; 
malheureusement, elles sont peu abondantes en raison du 
faible débit des sources d’où elles proviennent. 

4° Canalisation des eaux de Scutari-Kadikeuy. — 
Ce réseau alimente Scutari d’Asie et les villages échelonnés 
tout le long de la côte et du Bosphore, de Kandili à Eren- 
keuy sur la Marmara ; il groupe les eaux captées dans un 
bend de deux millions de mètres cubes, situé à Gueuk-Souyou, 
qui après filtration dans trois grands bassins sont refoulées, 
à l’aide d’une machine élévatoire, jusqu’à un réservoir de 
distribution de 6.000 mètres cubes, aménagé à Scutari, 

B) LA VALEUR DES EAUX D’ALIMENTATION 
A CONSTANTINOPLE 

Quelle est la valeur d’eaux d’alimentation, de prove¬ 
nance si variée, amenées et réparties dans des canalisations 
multiples, enchevêtrées, et dont la plupart très anciennes 
sont en fâcheux état ? Un tel système est, on s’en doute 
bien, passible de sérieuses critiques. La diversité des 
organes administratifs, dont il relève, rend fort difficile 
la surveillance de son fonctionnement ; le ministère de 
l’Evkaf, la Préfecture de la ville, de nombreuses Compa¬ 
gnies, le ministère du Commerce et de l’Agriculture assurent 
en toute indépendance, dans leur domaine propre, le contrôle 
des canalisations qu’ils ont à gérer, sans que leurs interven- 








58 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

tions respectives soient le moins du monde coordonnées par 
un Bureau centralisateur, dont l’action serait cependant 
bien utile. Ces graves inconvénients sont aggravés encore 
par ceux qui résultent des tares, qui vicient la captation ou 
la distribution ou même les deux à la fois. Ces tares, nous 
les relevons à peu près partout. Pour les mieux exposer, 
nous distinguerons les eaux, non plus suivant les réseaux 
dont elles relèvent, mais suivant leur provenance, source, 
puits, ruissellement, lac. Aussi bien certains réseaux sont 
alimentés simultanément d’eaux d’origine différente, tel 
celui de l’Evkaf, qui comprend les eaux de lac de la forêt 
de Belgrade et celles de source ou de ruissellement, captées à 
l’ouest de la ville. 

Eaux de pluie. — Il suffit d’avoir vu comment sont ins¬ 
tallées la plupart de ces citernes dans lesquelles la popula¬ 
tion recueille et conserve les eaux de pluie, l’insouciance avec 
laquelle on veille sur leur propreté, les impuretés et les 
saletés qui souillent leurs abords immédiats, l’insuffisance 
de la protection de leur ouverture au niveau du sol, pour se 
rendre compte qu’on est en droit de tenir pour fortement 
suspectes les eaux qu’elles renferment. La quantité de ces 
eaux est, en outre, surtout au cours de certains étés pendant 
lesquels les pluies sont rares, peu considérable et ne saurait 
être considérée comme une réserve bien appréciable pour 
les besoins des agglomérations. 

Eaux de puits. — En raison de la nature rocailleuse du 
sous-sol, les puits sont, nous le savons, rares à Constanti¬ 
nople et dans les localités voisines de la mer. Il faut s’éloigner 
du rivage pour en trouver. Mais l’eau qu’ils fournissent est 
d’un faible débit et, de plus, dans la grande majorité des 
cas, impropre à la consommation sans purification préa¬ 
lable, en raison des souillures qui proviennent des infiltra¬ 
tions dues au voisinage des latrines, des fumiers, des ordures, 
ou de sa contamination par les eaux usagées que les habi¬ 
tants jettent négligemment sur le sol, autour des puits. 



LE CADRE ET LE MILIEU 


59 


i i 


Eaux de source. — Ces eaux sont, à cause de leur fraî¬ 
cheur et de leur limpidité, les plus agréables et d’ailleurs les 
plus recherchées. Malheureusement, elles ont un faible débit 
et, exception faite pour les eaux d’Hamidieh, elles n’offrent 
au point de vue de leur qualité aucune garantie sérieuse. Le 
périmètre de protection est en effet inconnu pour la plupart 
des sources exploitées, qui sont, par suite, exposées à des 
risques permanents de contamination. L’eau qu’elles four¬ 
nissent est couramment recueillie sans aucune précaution 
dans des tonneaux, et livrée au détail à travers la ville 
moyennant rétribution ; si elle n’a pas été souillée à l’ori¬ 
gine, elle l’est au cours des manipulations que lui font subir 
des marchands, de propreté plus que douteuse. 

Eaux de ruissellement. —Elles proviennent des bends 
de la forêt de Belgrade ou de ceux de la région de Scutari- 
Kadikeuy ; elles alimentent en grande partie la région de 
Constantinople et les localités de la rive asiatique. De graves 
réserves ont été faites de tout temps à leur sujet. Les bends 
dans lesquels elles sont collectées sont exposés eux-mêmes, 
ainsi que leurs alentours, à toutes les causes de souillures 
du sol, matières fécales et urines humaines ou animales, 
cadavres d’animaux, végétaux pourris, etc... Les eaux de la 
forêt de Belgrade ne sont soumises à aucune filtration ; elles 
subissent seulement un simple dégrossissage. De plus, elles 
doivent au délabrement de leur système d’adduction d’être 
considérées comme étant de qualité fort incertaine, sinon 
dangereuses. Ce système est composé de vieux aqueducs, 
fissurés, lézardés, dans lesquels sont ménagées, de loin en 
loin, pour permettre l’entrée des employés chargés de l’en¬ 
tretien ou d’un travail technique, des ouvertures fermées 
sommairement à l’aide de couvercles en tôle placés au ras 
du sol, et exposées à toutes les souillures. Il n’est pas rare 
enfin que de simples particuliers ouvrent, à coups de pioche, 
les canalisations qui se trouvent à bonne portée, près de 
leur habitation ou dans leurs jardins, et puisent ainsi direc¬ 
tement à leur guise l’eau qui leur est nécessaire. On ne sau- 





60 



LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

rait s’étonner, on le conçoit, que certaines analyses aient 
révélé, dans l’eau des bends de Belgrade, une flore bacté¬ 
rienne inquiétante (120.000 aérobies et 100 colibacilles par 
cm 1 ). 

Les eaux de Scutari-Kadikeuy sont, à l’inverse des précé¬ 
dentes, amenées dans des canalisations en fer ou en plomb 
et moins sujettes, de ce fait, à la contamination. Leur qua¬ 
lité risque malheureusement d’être fréquemment compro¬ 
mise, à leur origine, par d’autres facteurs en rapport avec le 
voisinage de moulins, de parcs à moutons, de fermes et de 
deux villages situés à proximité des ruisseaux d’où elles 
proviennent. Elles sont bien amenées dans trois bassins ser¬ 
vant de filtres à sable submergés ; mais leur filtration y est 
opérée dans des conditions défectueuses et ne les débarrasse 
que très imparfaitement de leurs impuretés, ainsi que l’a 
montré le laboratoire. 

Eaux de lac. — Les eaux du lac de Derkos, autour duquel 
n’existe aucun périmètre de protection, sont passibles des 
mêmes reproches. Les eaux sont amenées dès leur sortie 
du lac dans quatre grands filtres à sable submergés. Les 
analyses ont démontré fréquemment qu’elles contenaient 
des colibacilles à raison de un à dix par centimètre 
cube, avant comme après la filtration, et que, parallèle¬ 
ment, le nombre des aérobies, qui était de 800 par centi¬ 
mètre cube à la sortie du lac, passait à 30.000 après la sortie 
du filtre. Ces chiffres sont assez éloquents par eux-mêmes ; 
ils prouvent que les filtres sont détériorés, non entretenus, 
mal nettoyés et c’est très regrettable, car les canalisa¬ 
tions de distribution, qui amènent l’eau jusque dans les 
maisons, sont toutes en fonte et donneraient une sécurité 
suffisante. 

En résumé, quelle que soit leur provenance, quel que soit 
le réseau dont elles relèvent, les eaux de la région de Cons¬ 
tantinople sont, à l’exception cependant des eaux de source 
d’Hamidieh qui sont captées et distribuées dans des condi- 




LE CADRE ET LE MILIEU 


61 


tions répondant aux exigences essentielles de l’hygiène, de 
qualité douteuse. C’est certainement à ces eaux d’Hamidieh 
qu’il est fait allusion dans les guides, où il est signalé aux 
excursionnistes que les eaux de Constantinople sont d’une 
parfaite inocuité. Nous savons maintenant à quoi nous en 
tenir à ce sujet. Les très nombreuses analyses qui ont été 
effectuées en série un peu partout, pendant le séjour de nos 
troupes, par le Laboratoire de Bactériologie du Corps d’oc¬ 
cupation, ont été absolument concordantes. La présence 
intermittente de colibacilles, dont le nombre augmente 
parfois dans de fortes proportions à la période des pluies, 
témoigne, au même titre que le trouble que présente de 
temps en temps l’eau à sa sortie des fontaines, de contami¬ 
nations superficielles flagrantes ou d’infiltrations souter¬ 
raines, qui se font à l’origine ou sur le trajet de canalisations 
en mauvais état. 

Les boissons rafraîchissantes (limonades, citronnades), 
fabriquées avec les différentes eaux de la région et vendues à 
chaque pas dans la rue, pendant la saison chaude, sont 
également, pour la plupart, comme les eaux servant à les 
fabriquer, sinon dangereuses, tout au moins suspectes. 
Certaines, qui furent soumises à l’analyse par notre Labo¬ 
ratoire de Bactériologie, contenaient jusqu’à 2.000 coli¬ 
bacilles par litre. Leur vente et leur consommation furent 
naturellement interdites dans les cantonnements de nos 
troupes. 


C) LES EAUX POTABLES 

EN DEHORS DE LA RÉGION DE CONSTANTINOPLE 

Aucune des localités, qui furent occupées par nous en Tur¬ 
quie d’Europe en dehors de Constantinople, ne dispose d’un 
système de captation et d’adduction qui mérite, comme celui 
de la Capitale, de retenir particulièrement l’attention. Dans 
les villages existent des puits en rapport avec la nappe sou¬ 
terraine et des citernes dans lesquelles sont recueillies les 
eaux de pluie. Les citernes prédominent dans les régions 



62 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

voisines de la mer (San Stéfano, par exemple). Dans les 
agglomérations, où les citernes et les puits ne pourraient 
fournir un débit suffisant pour les besoins de la population,, 
a été aménagé un système de réservoirs et de canalisations, 
au moyen duquel ont été collectées les eaux de ruisselle¬ 
ment et de source du voisinage. Il en est ainsi, par exemple, 
à Andrinople et à Tchataldja. Toutes ces eaux sont justi¬ 
ciables des critiques que nous avons retenues pour celles 
de la région de Constantinople. Les analyses les ont révélées 
de qualité très variable, bonnes parfois, mauvaises assez, 
souvent, suspectes la plupart du temps. Leur consommation 
sans purification préalable est donc à interdire. 

L’Hygiène et la protection de l’enfance. — Le Ministère de 
l’Instruction publique a sous ses ordres un corps d’ins¬ 
pecteurs Sanitaires, chargés d’exercer une surveillance 
médicale sur les Etablissements Scolaires. Cependant un 
grand nombre de ces établissements fonctionnent dans 
des conditions hygiéniques médiocres. Les locaux sont le 
souvent de simples maisons d’habitation incomplète¬ 
ment aménagées, et les crédits, alloués dans ee but 
au Ministère de l’Instruction publique, sont tellement 
faibles qu’ils excluent toute possibilité de réformes impor¬ 
tantes. Les soins et les exercices corporels des élèves sont 
assez minutieusement surveillés : dans plusieurs établisse¬ 
ments scolaires on a institué le livret sanitaire individuel. 

Malgré les efforts tentés, il reste beaucoup à faire dans 
le domaine de l’Hygiène et de la protection de l’enfance. 
Les différents orphelinats dirigés soit par l’Etat, soit par 
les communautés locales, hébergent près de 5.000 orphe¬ 
lins ; la « Société privée » de protection des enfants offre, 
de son côté, abri et soins de toutes sortes à une centaine 
d’enfants abandonnés. Et c’est à peu près tout. 

L’Hygiène corporelle. —Fidèles:aux principes admirables 
du Coran, les Musulmans de Turquie, sauf dans les classes 
indigentes, ont conservé un souci particulier de la pro- 





LE CADRE ET LE MILIEU 


6& 


prêté de leur corps. Mais la pauvreté en empêche 
beaucoup de fréquenter comme ils le désireraient les bains, 
les Thermes, sî répandus partout en Turquie et à Cons¬ 
tantinople en particulier ; ce sont des bains de vapeur,, 
fort intelligemment compris et où de forts gaillards, bien 
musclés, se chargent du massage complémentaire. Il y a 
des Thermes spéciaux pour les femmes ; dans les Thermes, 
mixtes, des jours leur sont réservés. Ces dispositions ne- 
sont pas surprenantes ; malgré l’indépendance qui lui a été 
concédée de plus en plus large, la femme turque était 
encore en 1923 fort surveillée dans la rue et les endroits- 
publics, où elle était défendue par la collectivité contre les 
entreprises éventuelles d’un étranger, et contre la pro¬ 
miscuité des hommes en général. Leur tenue dehors est 
toujours correcte, même les nuits de Ramadan à 
Stamboul, où cependant bien des libertés sont per¬ 
mises. Ce n’est pas à dire que quelques aventures amou¬ 
reuses n’aient pas charmé quelques solitudes ; mais il 
convient d’être discret. 


Nous ne pouvons faire mieux, pour terminer ce long cha¬ 
pitre d’hygiène publique, que de publier ici, sans les com¬ 
menter, des tableaux de morbidité et de mortalité pour la 
ville de Constantinople (1). Ils ont été établis à l’aide de 
documents, que nous a fournis avec la plus grande amabilité, 
en 1922, V Administration ottomane de la Santé publique. 


(1) C’est—â—dire Stamboul — Pera-Galata — Scutari’— Kadikeuy — 
le Bosphore de Roumeli-Kavak et Beicos à Bostandjik. 




64 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


mortalité Générale 

Pendant les années 1915, 1916, 


CAUSES DE MORTALITÉ 


Choléra Asiatique. 

Peste.. 

Typhus exanthématique. 

Fièvre Typhoïde. 

Variole. 

Diphtérie. 

Méningite cérébro-spinale épidémique 

Dysenterie bacillaire... 

Scarlatine .. • • .. 

Rage. 

Morve ..* 

Septicémie puerpérale. 

Tuberculoses.. 

Grippe. 

Rougeole. 

Coqueluche. 

Maladies infectieuses non spécifiées 

Paludisme. 

Tumeurs malignes.- 

Encéphalite léthargique. 

Maladies du système nerveux. 

Maladies de l’appareil circulatoire . .. 
Maladies de l’appareil respiratoire .. . 
Maladies de l’appareil digestif. 


Maladies des reins et des voies urinaires . 

Gastro-entérites infantiles. 

Maladies constitutionnelles. 

Maladies chirurgicales. 


Avortements et Morti-natalité .... 
Anomalies et faiblesse congénitales 

Sénilité .. . 

Suicide... 

Mort violente. 

Maladies diverses. 


Totaux. 


1915 

1916 

» 

145 

» 

» 

15 

224 

203 

157 

» 

14 

44 

44 

12 

12 

76 

14 

22 

15 

» 

1 

1 

1 

13 

22 

3.018 

2.447 

65 

54 

243 

18 

19 

32 

45 

102 

77 

73 

415 

291 

» 

» 

1.305 

1.392 

2.662 

2.792 

2.692 

2.550 

1.426 

1.641 

e. 119 

156 

697 

828 

.. » 

» 

.. » 

» 

» 

» 

ne 29 

1 

ent 117 

10 


209 

515 

777 

1.027 

1.563 

88 

19 

... - 216 

132 

3.329 

2.742 

18.490 

18.478 































































le cadre et le milieu 


65 


DE CONSTANTINOPLE 

1917, 1918, 1919, 1920 et 1921 


1917 

1918 

1919 

1920 

' SU-lig.j 

1921 

5 

3 

2 

» 

1 

» 

» 

24 

24 

6 jj 

787 

901 

331 

48 

8 

86 

159 

94 

144 

99 

6 

209 

188 

6 

19 

66 

66 

48 

40 

15 

7 

8 

4 

10 

10 

84 

37 

36 

129 

67 

9 

10 

1 

8 

2 

» 

» 

» 

» 

# 

» 

» 

2 

» 

» 

10 

18 

27 

36 

21 

2.513 

3.515 

2.546 

2.731 

2.652 

33 

443 

287 

431 

126 1 

26 

13 

43 

49 

92 J 

28 

33 

18 

14 

14 ! 

46 

55 

45 

60 

79 1 

116 

144 

115 

80 

51 1 

286 

287 

241 

294 

291 1 

D 

» 

» 

21 

9 1 

1.104 

1.590 

817 

1.510 

1.498 I 

3.237 

4,017 

2.407 

2.777 

2.189 J 

2.626 

7.916 

3.173 

3.565 

2.932 J 

2.530 

1.343 

996 

906 

872 

156 

132 

153 

158 

133 

1.229 

1.548 

901 

775 

640 

» 

» 

» 

1.046 

1.079 I 

» 

» 

» 

127 

371 

» 

» 

» 

70 

166 

1 

» 

41 

12 

17 

13 

11 

6 

25 

24 

165 

192 

315 

540 

551 

789 

930 

995 

1.494 

1.141 

1.714 

2.458 

1.002 

975 

887 

17 

36 

39 

30 

23 

192 

152 

336 

317 

220 

3.028 

7.390 

2.688 

703 

277 

20,859 

33.616 

=*"■1 ■*! Tiravït " i ' 

17.921 

19.155 

16.58 J 


Dejouany 


5 


















































































LE CADRE ET LE MILIEU 


67 


MORTALITÉ PAR RAPPORT A LA POPULATION 


ANNÉES 

POPULATION 

OTTOMANE 

(i) 

NOMBRE 

t>E CAS 

de mort 

MORTALITÉ 

POUR Ï.OOO 

habitants 

1915. 

942.872 

18.490 

19,61 

1916. 

955.766 

18.478 

19,33 

1917 . .. 

975.297 

20.859 

21,38 

1918. 

983.368 

33.616 

34,18 fj 

I 1919 . 

990.459 

17.921 

18,09 

1920 . 

1.003.643 

19.155 

19,08 I 

I 1921 . 

1.016.414 

16.581 

16,31 I 

I (1) Pour avoir le chiffre total de la population, il faudrait y ajouter les étrangers 1 

qui ne sont pas de nationalité ottomane, soit 129.927 pour Tannée 1921. 1 



































CHAPITRE III 


La Santé Publique Ottomane. — Les Commissions sanitaires 
Interalliées et l’épidémiologie du (Proche-Orient. 


La Turquie possède (1) deux sortes d’Organisation sani¬ 
taire publique : l’Organisation municipale ou communale et 
l’Organisation d’Etat. 

L’Organisation municipale a dans ses attributions : les 
soins gratuits à donner à la classe indigente de la population, 
l’assistance aux femmes en couches, la délivrance des permis 
d’inhumer, la surveillance de l’hygiène des établissements 
publics, le contrôle des substances alimentaires et des bois¬ 
sons, la vaccination et la revaccination jennerienne gra¬ 
tuites, qui sont, conformément à la loi, obligatoires pour tous. 
Dans ce but, l’administration sanitaire municipale dispose 
de médecins municipaux (40 environ), de sages-femmes et 
de vaccinateurs ; elle est dirigée par un bureau central. 
Elle entretient à Stamboul deux hôpitaux : l’hôpital de 
Djerrah Pacha (250 lits pour maladies générales d’hommes) 
et l’hôpital de Hasseki (300 lits pour maladies générales de 
femmes) et trois établissements de désinfection (Stamboul, 
Péra, Scutari) ; ces établissements de désinfection sont assez 
complètement outillés : chacun d’eux est doté de deux 
grandes étuves système Geneste-Herscher, une chambre à 
formol, des pulvérisateurs, des voitures pour le transport 


(1) Du moins possédait en 1922. 









LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


69 


des effets ou objets désinfectés ou à désinfecter. Un Labora¬ 
toire, annexé au Service sanitaire municipal, est chargé de 
procéder à l’analyse des substances alimentaires suspectes. 

L’Organisation d’Etat se groupe autour d’un Ministère dit 
Ministère de l’Hygiène, non autonome, dont le titulaire 
était encore, en 1922, le ministre de l’Intérieur. 

Le Ministère de l’Hygiène comprend deux Directions 
générales : la Direction générale du Service de la santé pu - 
blique et la Direction générale de V Administration sanitaire 
des frontières . 

A) La Direction générale de la santé publique n’est deve¬ 
nue gouvernementale que depuis une loi promulguée en 1916. 
D’après cette loi, la Direction générale de la santé publique, 
dont l’autorité, sous réserve du contrôle interallié pendant 
l’occupation, s’étend à tout le territoire ottoman, a dans ses 
attributions tout ce qui touche à la surveillance de l’hygiène 
et la sauvegarde de la santé publique, donc à la lutte contre 
les maladies infectieuses, les maladies épidémiques, les affec¬ 
tions vénériennes ; elle a aussi à connaître des questions 
intéressant l’exercice de la médecine, de la pharmacie et de 
toute autre branche de la science médicale. 

Elle a à sa tête un Directeur général, assisté d’un sous- 
directeur et elle comprend quatre sections : 

1° Section d’hygiène publique (hygiène, maladies infec¬ 
tieuses et maladies vénériennes) ; 

2° Section de la Statistique sanitaire ; 

3° Section de pharmacie ; 

4° Section de contrôle (inspecteur sanitaire chargé de 
surveiller et de contrôler l’application des mesures d’hy¬ 
giène, inspection des pharmacies et drogueries). 

En dehors du Conseil d’administration qui ne s’occupe 
que d’affaires administratives, une Commission technique, 
dite Conseil supérieur de santé , se réunit au moins une fois 
par mois, sous la présidence du ministre, ou à son défaut, 
du Directeur général ; le Comité comprend 32 membres, 



70 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

dont 12 élus parmi les médecins les plus distingués de 
Constantinople, les chefs de section de la Direction générale, 
le directeur général de l’Administration des frontières, les 
chefs du Service de santé militaire et naval, le doyen de la 
Faculté de médecine, le directeur de l’Institut Pasteur, le 
directeur du Service sanitaire municipal de Constantinople, 
un délégué pour chacun des Ministères de l’Intérieur, des 
Travaux publics, de l’Instruction publique, de la Justice, 
du Commerce, de l’Agriculture. Ce Conseil supérieur de 
santé étudie en dernier ressort toute question ayant trait à 
l’hygiène publique, défère aux tribunaux les contrevenants 
aux°lois sur l’exercice de la médecine et de la pharmacie, 
élabore les projets de lois ou de règlements sanitaires. Sa 
mission est des plus importantes. 

A la Direction générale de la santé publique sont ratta¬ 
chés l’Institut Pasteur de Constantinople, 1 Institut chi¬ 
mique, l’Institut vaccinogène, l’Institut anti-rabique, le 
Musée d’hygiène. L 'Institut Pasteur, à Stamboul, joue un 
rôle de premier plan dan's la lutte contre les maladies infec¬ 
tieuses : il est un organe d’études et, plus encore, un vaste 
laboratoire pour la préparation des sérums et vaccins théra¬ 
peutiques. Les Français Ch. Nicolle, Remlinger et Simon 
ont été, tour à tour, directeur de cet Institut, qui a actuelle¬ 
ment à sa tête M. Refik bey, le distingué professeur de bac¬ 
tériologie à la Faculté de Médecine. 

L’Institut vaccinogène, assez médiocrement outillé à Demir- 
Capou, est chargé uniquement de préparer le vaccin jen¬ 
nerien : il en produit jusqu’à 5 millions de doses par année. 

C’est Y Institut anti-rabique, installé en bordure des Jar¬ 
dins du Serai, qui a la charge du traitement contre la 
rage. Bien qu’en 1910 la plupart des chiens errants de 
Constantinople aient été transportés dans l’île d’Oxia, il 
en reste encore beaucoup dans la capitale qui vont à 1 aven¬ 
ture, gîtant dans les décombres des maisons incendiées, se 
nourrissant d’ordures ménagères et qui deviennent un 
danger public, quand ils sont touchés par la rage. Au cours 
de l’épidémie de 1922, plus de 900 personnes se présentèrent 




LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


71 


à 1* Institut dans l’espace de deux mois ; 500 d entre elles 
furent inoculées aussitôt ; toutes furent traitées avec succès, 
à l’exception de trois malades qui, à leur arrivée à l’Institut, 
présentaient déjà des prodromes de la redoutable affection. 

L’Institut de Chimie procède à l’analyse des produits ali¬ 
mentaires, des drogues et des spécialités pharmaceutiques, » 
des eaux minérales, soupçonnées d’être fraudées ou non 
conformes à leur composition officiellement admise. 

Le Musée d’hygiène, rue Divan Yolou, de fondation ré¬ 
cente, a été créé dans un but de vulgarisation des méthodes 
employées dans la lutte contre les maladies épidémiques, 
la tuberculose, les maladies vénériennes, l’alcoolisme. Il est 
très fréquenté ; sera-t-il permis à des Français d’émettre le 
vœu que l’on s’efforce d’y substituer aux productions alle¬ 
mandes, peut-être un peu nombreuses, des œuvres fran¬ 
çaises ? Le Musée y gagnerait en clarté et en élégance. 

Le budget de la Direction générale de la Santé Publique 
entretient à Stamboul quatre des hôpitaux de Constanti¬ 
nople : l’hôpital Hamidieh (250 lits pour enfants), l’hôpital 
Halidji-Oglou (1) (400 lits pour maladies vénériennes), l’hô¬ 
pital de Toptachi (400 lits pour aliénés) et celui de Zeineb- 
Kiamil (60 lits pour maladies mentales). 

Un service important, de caractère provisoire, est aussi 
rattaché à la Direction générale : c’est le service des épidé¬ 
mies, créé pendant la guerre sous la pression des dangers 
courus, et conservé après l’Armistice en raison de son indis¬ 
cutable utilité. Il est dirigé par une Commission dite des 
Epidémies , composée du Directeur de 1 hygiène publique, 
de l’Inspecteur général du Service de santé, d’un bactério¬ 
logue spécialisé ; elle dispose pour l’exécution de ses pres¬ 
criptions de deux médecins-inspecteurs, de vingt médecins 
de district et de plusieurs vaccinateurs. Les bains publics 
et les établissements de désinfection municipaux sont uti¬ 
lisés en vue d’assurer la douche et l’épouillage à un grand 


(1) Voir le chapitre VI sur la Morbidité vénérienne. 




72 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


nombre de personnes, et toutes désinfections nécessaires 
(locaux et objets) ; les vaccinateurs sont dotés du matériel 
et des vaccins nécessaires pour la variole, les fièvres typho- 
paratyphoïdes, la peste et le choléra. 

Le budget annuel du Service de la Santé publique s’inscri¬ 
vait en 1922 au budget général pour un total de 227.722 livres 
turques (Ltq. = 8 francs en moyenne en 1922), dont 
145.488 livres turques pour le seul service des hôpitaux, 
12.150 livres turques pour l’Institut Pasteur, 4.780 livres 
turques pour l’Institut anti-rabique, 20.000 livres turques 
pour le Service des épidémies, enfin 24.964 livres turques 
pour l’Administration centrale. 

B) L’Administration sanitaire des frontières a pour mis¬ 
sion : 

1° D’empêcher l’importation en Turquie par voie de 
terre, et principalement par voie de mer, des maladies infec¬ 
tieuses, en particulier des maladies dites pestilentielles 
(peste, choléra et fièvre jaune) ; 

2° D’empêcher la transmission de ces mêmes maladies 
de la Turquie aux pays étrangers, notamment aux ports 
de la Méditerranée et de l’Europe occidentale. 

L’Administration sanitaire des frontières a, en somme, à 
assurer (sous réserve du contrôle interallié pendant l’occupa¬ 
tion) l’application de toutes les mesures de Police sanitaire 
maritime . La Convention sanitaire interalliée qui, pendant 
l’occupation, a servi de base à l’application de ces mesures, 
était la Convention de 1903 ; la Convention de Paris de 1912 
avait bien été signée par les plénipotentiaires ottomans, 
mais n’avait pas été ratifiée par la Turquie. 

Pour accomplir sa tâche, l’Administration sanitaire des 
frontières dispose d’une Direction générale et d’organes 
d’exécution (Offices sanitaires, lazarets, etc...). La Direc¬ 
tion générale a à sa tête un directeur général, secondé d’un 
inspecteur du Service sanitaire, lui-même doublé d’un 
adjoint. Cet inspecteur sanitaire est le chef du Service 
technique. L’Administration centrale comprend, en outre, 





LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 73 

divers services ou bureaux et un Laboratoire de bactério¬ 
logie, dont nous redirons un mot. 

Les Offices sanitaires sont chargés d’assurer ou de 
prescrire l’application des mesures de police sanitaire : déli¬ 
vrance et contrôle des patentes de santé, « arraisonnement » 
des navires ; mesures prophylactiques imposées par la Con¬ 
vention interalliée ou par les Autorités ottomanes qualifiées 
(ou, pendant l’Occupation, interalliées); application des 
taxes prévues ou imposition d’amendes encourues pour 
infractions aux règlements, etc... L’Administration sanitaire 
des frontières disposait, jusqu’en septembre 1923, de trois 
Offices sanitaires principaux : celui de Tchanak, à l’entrée 
des Détroits, pour les navires en provenance de la Médi¬ 
terranée et de l’Archipel, celui de Galata à Constantinople 
et celui de Kavak à l’entrée du Bosphore, pour les navires en 
provenance de la mer Noire ; un Office de minime impor¬ 
tance était organisé à Yeni-Capou (Stamboul) pour l’arrai¬ 
sonnement des petits voiliers, se livrant au cabotage de la 
Marmara et de la mer Noire. Chacun des Offices princi¬ 
paux est dirigé par un médecin de l’Administration, secondé 
d’un percepteur-comptable et de quelques commis d’écri¬ 
tures ; un canot à moteur permet au médecin de se rendre à 
bord pour procéder à ses opérations de contrôle sanitaire. 
C’est l’Office de Kavak qui a joué le rôle le plus important 
de barrage, en raison des épidémies qui dévastaient la 
Russie méridionale et même certains pays riverains de la 
mer Noire, et le peu de confiance qu’on pouvait accorder 
aux renseignements portés par les Autorités soviétiques sur 
les patentes de santé. 

Les Lazarets ont pour mission, dans certaines condi¬ 
tions imposées par les règlements et les autorités sanitaires, 
d’abriter les suspects, de traiter et d’isoler les malades, de 
procéder aux prélèvements bactériologiques, à toutes opé¬ 
rations de vaccination ou de désinfection et de dératisation 
des navires, jugées indispensables. Ils sont gérés par un 
médecin-directeur, assisté ou non d’un médecin adjoint, de 
désinfecteurs, de mécaniciens-étuvistes, de gardes sani- 





74 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

taires Deux lazarets ont fonctionné pendant l’occupation : 
celui de Monastir-Aghzy, situé à Anatoli-Kavak sur la rive 
asiatique du Bosphore, et .celui de Touzla sur le golfe d Is- 
midt. Celui de Monastir-Aghzy a été le plus actif : il possédé 
un outillage complet de désinfection, trois étuves, dont 
deux à vapeur et une au formol, une grande salle d isolement 
aménagée pour prélèvement des selles des passagers, un 
hôpital de 30 lits en trois pavillons séparés pour les malades 
généraux ou les contagieux (cholériques, pestiférés, etc...)* 
et quatre pavillons de 150 lits chacun pour l’isolement des 
passagers. L’installation est suffisante, mais la baie sur 
laquelle est situé ce lazaret est fortement exposée aux vents 
du nord ; les navires s’y abritent difficilement et le débar¬ 
quement des passagers est souvent impossible. Seules, des 
questions d’argent ont empêché de réaliser le vœu, souvent 
exprimé par l’Administration sanitaire ottomane et par les 
Conseils interalliés, de transporter ce lazaret plus bas vers 
Beycos. On sera un jour ou l’autre obligé d’en arriver là. 
Le lazaret de Touzla est une station sanitaire moderne. 
L’édifice est nouveau et bâti comme un plan bien étudié. Il 
est moins important, comme capacité et comme moyens 
d’action, que celui de Monastir-Aghzy bien que possédant 
un laboratoire, trois grandes étuves à vapeur, une chambre 
à formol et une lessiveuse à vapeur. Il a moins servi que 
celui de Kavak, parce que les navires suspects ou contamines 
venaient presque généralement du bassin de la mer Noire. 

A titre de renseignement, les lazarets de Monastir-Aghzy 
et de Touzla ont pratiqué du 1 er octobre 1921 au 25 sep-, 
tembre 1923 : 

25.797 Vaccinations anticholériqucs. 

Du 1 er octobre 1,922 au 15 septembre 1923 : 

2.506 Vaccinations antipesteuses. 

28.327 » antivarioliques. 

443 » antityphoïdiques. 

Un Laboratoire de bactériologie, bien aménagé, fonc- 






LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


75. 


tionnait encore en 1923, au siège central de l’Administration 
sanitaire des frontières, sous l’active direction de M. le pro¬ 
fesseur G. Delamare, de la Faculté de Médecine de Constan¬ 
tinople. Il poursuivait et exécutait toutes recherches bactérie* 
logiques ; mais il a surtout rendu d’excellents services dans 
l’étude prophylactique de la peste (autopsies des rats cap¬ 
turés sur les navires — recherche du bacille de Yersin), 
dans le dépistage des cholériques ou des porteurs sains de 
vibrions parmi les voyageurs émigrés ou les équipages, 
provenant de ports infectés de choléra. Ce laboratoire, du 
1 er octobre 1921 au 1 er octobre 1922, n’a pas pratiqué 
moins de 11.179 examens de selles suspectes, sans compter ses 
examens pour la recherche de bacilles pesteux et les exa¬ 
mens de sang pour le diagnostic du typhus exanthématique 
ou de la fièvre récurrente. (Recherche du Spirille d Ober- 
meier, de la réaction de Weil-Félix). 

Telle est, exposée dans ses grandes lignes, l’Organisation 
Sanitaire ottomane. Pendant toute l’Occupation, aussi bien 
l’Administration de la santé publique que, l’Administra¬ 
tion sanitaire des frontières, ont continué à fonctionner avec 
leur personnel national, mais sous le contrôle et d’après les 
directives des Alliés, et il faut le dire, en toute affectueuse 
collaboration. 

Deux Commissions interalliées furent instituées pour exer¬ 
cer ce haut contrôle : l’une, dite Commission samtaii’e mteral- 
liée urbaine , avait pour mission d’ordonner les travaux de 
l’administration Sanitaire d’Hygiène, l’autre, dite Commis¬ 
sion sanitaire interalliée maritime et des frontières , avait dans 
ses attributions la décision dans toutes les questions de Po¬ 
lice sanitaire, traitées par 1 Administration sanitaire des 
frontières. La première était présidée par le Directeur du 
Service de santé du Corps d’occupation britannique, la 
seconde par le Directeur du Service de santé du Corps d’occu¬ 
pation français. De ce chef, le Service de santé militaire des 
Puissances alliées a, pendant l’Occupation, joué un rôle de 
premier plan dans l’organisation et le fonctionnement des 
Services de la Santé publique ottomane. 






76 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


La Commission sanitaire interalliée urbaine comprenait, 
outre son président britannique, les conseillers sanitaires 
techniques civils des Hauts-Commissariats, des représen¬ 
tants des armées et des marines alliées, un représentant de 
la direction générale de la Santé ottomane. Cette Commis¬ 
sion, puissamment aidée par des chefs de service Turcs de 
grand mérite, (1) a eu véritablement en mains, pendant 
trois années, la conduite de l’hygiène publique, le contrôle 
des mesures prophylactiques à prendre à l’intérieur du vilayet 
de Constantinople par la Direction générale de la Santé, les 
Services municipaux, les Services de lutte contre les mala¬ 
dies contagieuses. Sa tâche a été très lourde mais fructueuse, 
en raison de l’aide morale et surtout matérielle apportée 
par les Alliés, à un moment de crise pour la Nation turque et 
pour la population de Constantinople en particulier. 

C’est à son action, c’est certain, que l’on doit d’avoir vu 
s’éteindre rapidement des foyers épidémiques (choléra, peste, 
variole) qui auraient pu devenir, s’ils n’avaient été combattus 
à temps et avec rigueur, le point de départ de véritables ca¬ 
tastrophes. N’oublions pas les épidémies de peste de 1803 et 
de 1813 qui dévastèrent la Capitale (260.000 victimes), ni 
celles qui, de 1814 à 1816, partirent de Constantinople pour 
ravager le littoral oriental de l’Adriatique et les îles Ionien¬ 
nes. Constantinople a longtemps été un centre d’endémie cho¬ 
lérique ; elle a payé un lourd tribut à toutes les épidémies 
de choléra qui au cours du xix e siècle ont si durement frappé 
l’Europe ; la variole, la fièvre typhoïde et le typhus exan¬ 
thématique y régnent en permanence. On comprend que, 
dans ces conditions, le rôle joué par un organe directeur de 
la Santé Publique ait été particulièrement important, sur¬ 
tout à une époque où pour des raisons d’ordre politique, la 
capitale de la Turquie, toujours le carrefour des échanges 
du Proche-Orient, a vu affluer dans ses murs des émigrés 


(1) Nous citerons ici les D r Djeved—Bey et Arifi—Pacha, anciens direc¬ 
teurs généraux de la santé publique, le D r Galib-Ata, directeur de 1 Hy-* 
giène, enfin le D r Zekki-Bey, directeur général adjoint qui fut le très 
distingué délégué ottoman à la Conférence de Varsovie de 1922; 






LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


77 


malades et misérables de la Russie méridionale, de la Géor¬ 
gie, de l’Anatolie, de la Cilicie et de la Syrie. A titre docu¬ 
mentaire, le tableau suivant indique le nombre de vaccina¬ 
tions qu’ont pratiquées à Constantinople la Commision sa¬ 
nitaire urbaine et la Direction générale delà Santé publique 
du 1 er octobre 1921 au 1 er octobre 1922, malgré les 
difficultés matérielles de toutes sortes rencontrées par elles, 
et la résistance qu’une population inculte opposait souvent 
à l’application des règles de l’hygiène moderne. 


Vaccinations pratiquées dans la Ville de Constantinople 
du 1 er Octobre 1921 au 1 er Octobre 1922 


MOIS 

PESTE 

choléra 

VARIOLE 

FIÈVRE 

TTPHOÏDB 

Octobre 1921. 

21.468 

1.252 

7.397 

2.554 

Novembre » . 

3.852 

0 

9.179 

1.961 

Décembre » ...... 

760 

0 

6.142 

3.530 

Janvier 1922. 

1.006 

0 

23.262 

4.175 

Février » . 

0 

0 

45.810 

1.739 

Mars » . 

0 

0 

40.920 

868 

Avril » . 

2.390 

0 

35.083 

991 

, Mai . 

882 

0 

24.725 

2.899 

Juin » . 

681 

1 

11.225 

1.805 

Juillet » . 

0 

1.697 

10.758 

9.845 

Août » . 

1.883 

1.547 

7.211 

16.551 

Septembre » ...... 

12.664 

21 

14.994 

26.568 

Totaux .... 

45.586 

4.518 

236.706 

73.486 


Si la Commission sanitaire interalliée urbaine a eu le 
mérite d’arrêter le développement à Constantinople d’épi¬ 
démies graves ,la Commission Interalliée maritime et des fron¬ 
tières a eu le lourd privilège d’être chargée d’empêcher 
l’importation dans la capitale et dans les Détroits et leur 
diffusion en Europe des maladies infectieuses et des mala¬ 
dies pestilentielles, qui la menaçaient de toutes parts. Elle 






























<7g LES ALLIÉS a CONSTANTINOPLE 

fut puissamment secondée dans sa tâche par l’Administra¬ 
tion sanitaire ottomane des frontières, dirigée par des fonc¬ 
tionnaires intelligents, désireux de collaborer utilement avec 
les Alliés, et auxquels il est juste ici de rendre hommage (1). 
Le Service de santé militaire français prit une part prépon¬ 
dérante aux travaux de cette Commission, qui était pré¬ 
sidée par le Directeur du Service de santé du Corps d occu¬ 
pation français, et comprenait les conseillers sanitaires tech¬ 
niques des Hauts-Commissariats de France, de Grande- 
Bretagne et d’Italie, des représentants des armées et des 
marines alliées et d’un Représentant (l’Inspecteur général 
en principe) de la Direction générale du Service sanitaire 
ottoman des frontières ; pendant de longs mois, un repré¬ 
sentant grec et un représentant russe participèrent aux de- 

libérations (2). .. 

Cette Commission, qui succédait pour ainsi dire au Con- 
-seil supérieur de santé ottoman, fonctionna à Constantinople 
•du 24 mars 1919 au 27 Août 1923, date de la ratification 
du traité de Lausanne par le Gouvernement d’Angora. Sié¬ 
geant, pendant plus de quatre années, chaque semaine et 
quelquefois deux fois par semaine, toujours sur la breche, 
défendant la cause de tous contre les intrigues ou les inté- 


(1) Nous citerons les D r » Said-Bey, ancien directeur général, Fuad- 
Bey et Rifaat-Bey, inspecteurs généraux de l’Administration samtair 

Elle fut présidée successivement par M. le médecin-inspecteur 
Fourni al, M. le médecin-inspecteur Clouard, M. le médecin principal de 
ire c ] ass e Dejouany et, en dernier lieu, par M. 1^e medecm principal de 
ire classe Vidal. Dans le courant de l’année 1922, elle comprenait le* 

membres suivants : . . T t * r 

Prof. G. Delamare, conseiller sanitaire technique du Haut-Lomîmesa- 

riat de ta République française. , _ . . . -, 

D 1 Clemow, conseiller sanitaire technique du Haut-Commissariat e 

la Grande-Bretagne. # , , . 

D r Hobson, représentant l’Armee britannique. 

D r Smith, représentant la Marine britannique. . 

D r Senni, conseiller sanitaire technique du Haut-Commissariat d 

Royaume d’Italie. . . .. 

D* Pabis, représentant l’Armée et la Marine italiennes. 

D r Antoniades, représentant le Royaume de Grèce 

D r Rifaat-Bey, inspecteur général de l’Administration sanitaire de* 

frontières. 








LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


79 


Têts particuliers, n’ayant en vue que la sauvegarde du pays, 
forte de cette mission qui lui commandait d’être pour l’Eu¬ 
rope occidentale le barrage sanitaire protecteur, la Commis¬ 
sion interalliée maritime et des frontières a accompli, 
dans l’union la plus parfaite, une belle œuvre qui 
mérite d’être connue. (1) Son histoire, que nous voulons 


(1) Les chiffres suivants, qui indiquent le nombre, la nationalité et le 
le tonnage des navires ayant touché Constantinople pendant une année, 
témoignent de l’activité que la Commission interalliée maritime des fron¬ 
tières et l’Administration ottomane des frontières ont dû déployer pour 
assurer leur tâche. 


Mouvement de la navigation à Constantinople 
du 15 Septembre 1921 au 15 Septembre 1922 


NATIONALITÉS 

NOMBRE 

DH 

Navire* 

TONNAGE 

Anglais . 

822 

1.053.376 

Italiens . 

880 

968.905 

Hellènes .. . 

2.703 

638.5-88 | 

Français. 

1.224 

598.331 

Américains. 

133 

303.275 

Hollandais. 

111 

160.820 

Roumains... 

158 

157.767 

Ottomans.*. 

4.971 

117.250 

Bulgares. .. 

119 

82.709 

Russes . .... 

314 

39.320 

Belges . 

25 

37.074 

Norvégiens . 

37 

31.962 

Suédois .. 

35 

25.018 

Serbes . 

72 

18.682 

Allemands . ... 

6 

9.596 

Diverses . 

106 

141.240 

Total . 

11.716 

4.383.913 

A titre d’indication ; pendant cette période, 564 navires (au total 1.055.757 

tonnes) ont traversé les détroits 

en transit. 






























80 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

esquisser à grands traits, se confond, en effet, avec celle des 
épisodes qui ont caractérisé de 1919 à 1923 l'épidémiologie 
du Proche-Orient ; dans cet exposé, nous nous inspirerons 
souvent du tableau saisissant que M. le médecin principal 
Vidal a tracé de ces événements, d’après les comptes-rendus 
de la Commission Interalliée maritime et des frontières, 
dans le discours remarqué qu’il prononça le jour où cette 
Commission, dissoute, se réunissait pour la dernière fois. 

Année 1919- — Au moment où la Commission s’est cons¬ 
tituée, le typhus exanthématique règne à Constantinople, 
en Russie Méridionale et dans le bassin oriental de la Mé- 
diterranée ; les services de Police sanitaire ottomans, un peu 
désorganisés par quatre années de guerre, doivent se re¬ 
prendre. Les six premiers mois de l’année sont consacrés 
à cette tâche et à l’organisation de la lutte contre le typhus : 
mise en service des Offices sanitaires d’arraisonnement de 
Kavak (Haut-Bosphore), de Tchanak (Dardanelles) et de 
Galata (Constantinople), c’est-à-dire de la barrière sani¬ 
taire, imposée à tous les navires quels qu’ils soient, même à 
ceux qui régulièrement y échappaient encore ; aménagement 
des Lazarets de Touzla et de Monastir-Aghzy, en vue d’assu¬ 
rer l’épouillage des voyageurs, émigrés pour la plupart, la 
désinfection des navires, des vêtements et des objets trans- 
portés. 

En été et en automne, le choléra éclate et se développe 
rapidement en Russie méridionale ; les évènements poli¬ 
tiques qui se déroulent dans ce pays, où les Armées Rouges 
refoulent Denikine, l’avènement en Anatolie d’un fort parti 
militaire (Mustapha Kemal, chef), qui décide de s’opposer 
par la force aux conditions subies par le Gouvernement 
Turc officiel, les maladies épidémiques qui régnent un peu 
partout dans ces régions (1) expliquent l’importance que 


(1) D’après le rapport du Medical Relief Expédition il y aurait eu en 
Russie de 1918 à 1922, 10 millions de cas de typhus exanthématique 
officiellement reconnus, et vraisemblablement trois fois plus de cas réels 
et probablement 15 à 20 millions de cas dejièvre récurrente. Quant au 






LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 81 

1 émigration prend alors parmi toutes ces populations mal¬ 
heureuses et traquées, émigration qui a pour objectif prin¬ 
cipal Constantinople, et qui pendant plusieurs années ne 
devait pas se ralentir, tout en affectant des formes et des 
modalités diverses. 

Aussi la Commission, en dehors des mesures sanitaires 
habituelles, impose la vaccination anticholérique aux pas¬ 
sagers et aux équipages des navires, provenant des régions 
contaminées ou suspectes, la désinfection des navires et 
des objets transportés et même éventuellement une pé¬ 
riode de quarantaine. Les bateaux arrivant à Constantinople 
doivent se présenter obligatoirement à l’Office sanitaire 
de Galata ; ceux, qui transportent en Grèce des émigrés en 
provenance du Bassin de la mer Noire, sont contraints de 
franchir les Détroits en contumace. 

En octobre, on signale à Constantinople un petit foyer 
de peste ; grâce aux mesures prises (vaccination, dératisa¬ 
tion, arrêt des émigrations, etc...) le foyer reste localisé 
et se limite à 25 cas. Il est probable que cette affection a été 
importée par des rats pesteux d’Egypte, de Syrie, de Smyrne 
ou de Salonique, où régnait alors la peste et où d’ailleurs elle 
règne d une façon à peu près endémique. La Commission 
doit (et ce ne sera pas pour la dernière fois) tenir tête aux 
Compagnies de navigation, aux intérêts desquelles se heurte 
inévitablement toute mesure rigoureuse de Police sanitaire ; 
elle impose cependant son point de vue, l’appuie d’une échelle 
de sanctions sévères, et consacre à leur règlement ses der¬ 
niers travaux de l’année 1919. 

Année 1920- — Le médecin principal Randon et le mé¬ 
decin-major Juvin, qui ont été envoyés en mission en Russie 
méridionale, rendent compte que le typhus exanthéma¬ 
tique fait des ravages effrayants dans toutes les classes de la 


choléra, il commença au printemps de 1918 à Astrakan et se propagea 
vers l’Ouest. Pendant la sévère épidémie de l’Ukraine, en 1921, on releva 
officiellement 183.000 cas de cette affection (Seyparth Ztschr i Klin 
Med., 1924, vol. 100). 

Dejouany g 






82 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

société. Tous ceux qui ont quelque argent cherchent à fuir 
les épidémies et l’Armée Rouge, qui talonne les derniers 
défenseurs de l’Ancien Régime. Les émigrés ne se contentent 
plus d’essayer de gagner en grand nombre Constantinople, 
ils cherchent à se déverser sur les pays balkaniques et même 
par l’Autriche sur l’Europe occidentale ;« Paris est avisé du 
danger ». (Vidal). Des mesures draconiennes sont prises 
contre les navires, dont certains, le Bulgaria par exemple, 
transportent des typhiques en pleine évolution ; on ouvre 
un troisième lazaret à Sevri-Bournou, on en projette un 
quatrième à Sinope, on impose des quarantaines, on isole 
dans les lazarets les malades et les suspects ; enfin on de¬ 
mande, devant l’afflux toujours croissant des arrivages, un 
camp d’isolement et de mise en observation, où 1 épouillage 
et les désinfections nécessaires seraient opérés ; on propose 
même, peut-être sans grand espoir de succès, de demander 
aux Autorités soviétiques d’exiger que les émigrés soient 
épouillés, avant leur départ en Russie. 

Au printemps 1920, le typhus est en décroissance, mais 
le choléra apparaît en Russie méridionale et dans 1 armée 
Wrangel, principalement en Crimée et à Sébastopol, où il 
s’étend rapidement, pour marquer une détente appréciable 
en été. Des mesures rapides lui barrent une fois encore la 
route de la Capitale. Mais, avec le mois de Juillet, la peste 
est à. nouveau signalée dans ses foyers habituels du bassin 
de la Méditerranée orientale et aussi à Batoum, où l’affection 
paraît vouloir revêtir un caractère plus sévère. A Constanti¬ 
nople, 13 cas sont relevés à Selimié dans un camp de prison¬ 
niers de guerre, mais le foyer épidémique reste circonscrit. 

L’année s’achève, en novembre 1920, sur la foudroyante 
et formidable émigration de l’Armée Wrangel jetée à la mei 
par les Armées Rouges, entraînant à sa suite tous ceux qui, 
réfugiés en Crimée sous sa protection, fuient avec elle les re¬ 
présailles cruelles. Le Service de Santé militaire français 
joue, à cette heure critique, un rôle de premier plan, tant pm 
son action dans les conseils de la Commission interalliée 
maritime et des frontières, que par la tâche qu il accom- 






LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


83 


plit en recueillant et en hospitalisant des milliers de ces mal¬ 
heureux, Un chapitre spécial est consacré, dans ce travail, 
à l’exposé de ce problème d’organisation sanitaire et à l’étude 
des maladies épidémiques (choléra, peste, typhus, fièvres 
typhoïdes, etc...), auxquelles les groupements d’émigrés 
russes, dans les camps principalement, payèrent, fin 1920 
et en 1921, un lourd tribut. 

Année 1921. — L’exode Wrangel n’eut pas sur la morbidité 
de la population de Constantinople et des Détroits et sur 
celle des Troupes alliées l’influence fâcheuse qu’on pouvait 
craindre, étant données les conditions hygiéniques déplorables 
dans lesquelles cette émigration en masse s’était effectuée. 
Aussi les premiers mois de 1921 ne se signalent-ils, en dehors 
des groupements russes, par aucune manifestation épidémique 
sérieuse. Le lazaret de Sevri-Bournou est supprimé, ainsi 
que l’arraisonnement à Haidar-Pacha. En mai, de nombreux 
réfugiés de Géorgie arrivent de Constantinople ; leur si¬ 
tuation sanitaire est suspecte. « L’Àmerican Relief)) installe 
pour eux. dans les environs de Monastir-Aghzy, un camp 
d’isolement. Par ailleurs, la bataille se développant en Ana¬ 
tolie, de nombreux habitants quittent l’Asie Mineure tou¬ 
jours à destination de Constantinople ; ce sont des Grecs 
ou des Ottomans qui souvent sont transportés par cabotage, 
en évitant tout contrôle sanitaire ; certains d’entre eux ont 
été signalés comme atteints de typhus. L’attention des au¬ 
torités turques intéressées est appelée par la Commission 
sur cette émigration clandestine « perlée », fort dangereuse ; 
paquets par paquets, 50.000 émigrés se sont ainsi essaimés 
dans la capitale ; on les regroupe dans des camps, soumis à 
une surveillance étroite. 

En juin, le choléra éclate à nouveau dans la Russie mé¬ 
ridionale et dans le Caucase ; en raison de l’imprécision des 
renseignements sanitaires fournis par les Autorités sovié¬ 
tiques, on avait déjà par prudence, depuis plusieurs mois, 
exigé une patente de santé de tous les navires provenant 
des ports de la Mer Noire, en rapport d’affaires avec Cons- 



g4 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

tantinople. On devint plus rigoureux et la Commission pres¬ 
crit, à l’arraisonnement de Kavak, non-seulement la vaccina¬ 
tion anticholérique des passagers et équipages des navires, 
arrivant dans le Haut-Bosphore, mais encore le prélèvement 
des selles pour la recherche des porteurs de vibrions. Les 
équipages résistent à la vaccination ; on emploie la persua¬ 
sion et grâce à l’intelligente médiation de M. Fonzi, prési¬ 
dent de la Chambre maritime de Constantinople, on arrive 
â faire comprendre aux équipages et aux Compagnies de 
Navigation qu’il y a intérêt pour tous à se soumettre ; on 
acceptera d’ailleurs des certificats de vaccination, ayant 
moins d’un an de date et délivrés par des Autorités compé¬ 
tentes et offrant des garanties. Au surplus, les équipages 
sont prévenus, qu’en cas de refus le fait serait consigne sur 
la patente par le médecin arraisonneur, et qu’ils se ver¬ 
raient empêchés de débarquer à Constantinople. Certains 
bâtiments passant de nuit les Dardanelles, à destination 
de la Méditerranée, ne sont pas arraisonnés ; la Commission 
consciente de la gravité de son rôle, qui est aussi de défendre 
les Ports de la Méditerranée contre toute contamination 
venant de Constantinople, juge dangereux que ces navires 
échappent au contrôle sanitaire de Tchanak. Malgré l’oppo¬ 
sition inévitable des Compagnies maritimes, la Commission 
résiste et obtient satisfaction. 

A part quelques cas de peste, signales à Batoum, les der¬ 
niers mois de 1921 ne sont marqués par aucun épisode épi¬ 
démiologique important. Une surveillance sévère continue 
à s’exercer sur les navires, en provenance du bassin de la 
Mer Noire toujours suspecte, et en particulier des ports de 
la Russie méridionale, l’administration soviétique se mon¬ 
trant plus discrète que jamais sur l’etat sanitaire réel du 
pays. De nombreuses vaccinations sont pratiquées dans les 
Lazarets, contre la peste, la variole et le choléra. 

Année 1922. — Les mouvements d’émigration à desti¬ 
nation de Constantinople continuent, aussi actifs, pen¬ 
dant toute l’année 1922 que pendant les années précédentes 







LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


85 


comportant toujours les mêmes dangers et entraînant tou¬ 
jours, en riposte immédiate, des mesures de défense et de 
protection. La Commission ne chôme pas. Pendant les pre¬ 
miers mois de Pannée, ce sont d’abord des émigrés de Cilicie, 
que le Haut-Commissariat de Syrie dirige sur Constanti¬ 
nople ; ils ont la variole ; on les vaccine, on les isole ; on de¬ 
mande au Gouvernement Syrien, et on obtient de lui que 
cette vaccination soit imposée à tout émigré avant l’embar¬ 
quement. Bientôt après, on annonce des mouvements de 
réfugiés israélites et de réfugiés grecs, venant de Russie, dont 
la situation sanitaire reste trouble et suspecté ; les premiers 
ont comme destination finale la Palestine, les seconds la 
Grèce, mais tous ont de bonnes raisons pour s’arrêter à Cons¬ 
tantinople, où ils risquent de constituer un grave danger 
pour la capitale. Des difficultés de tout ordre surgissent dès 
qu’on propose de leur interdire l’entrée de la ville. Des né¬ 
gociations sont engagées avec le Comité Sioniste de Constan¬ 
tinople pour isoler les Israélites dans un camp, où ils atten¬ 
dront l’heure de regagner la Palestine ; il fallut trois mois 
de conversations avec tous, pour enfin obtenir pour eux 
les médiocres casernements de Roumeli-Kavak. Àh ! tout 
est lent en Orient ! 

Quant aux réfugiés grecs, leur émigration prend en été 
1922, en Juillet et en Août principalement, une extension 
inquiétante ; la situation menace de devenir tout à fait 
grave, le choléra faisant rage en Russie méridionale et 
dans les ports de la Mer Noire où ils sont embarqués (Odessa, 
Sébastopol, Novorossik, Batoum, etc...). Dès le mois de 
Juin, des mesures avaient été déjà prises contre les navires 
en provenance de ces localités (Désinfection et évacuation 
des eaux potables du bord, des eaux de cale — vaccination 
anticholérique des passagers et des équipages, non porteurs 
d’un certificat de vaccination datant de moins d’un an et 
délivré par une Autorité compétente offrant toute garantie 
d’authenticité). Bientôt ces mesures doivent être renforcées ; 
les passagers sans passeport sont retenus au Lazaret de 
Monastir-Aghzy jusqu’à ce que le Laboratoire, ayant exa- 












86 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

miné leurs selles, ait confirmé qu’ils n’étaient pas porteurs 
de vibrions. Les passagers munis de passeport, quelle que 
soit leur classe, sont soumis en ville à une surveillance mé¬ 
dicale de 5 jours ; le passeport leur est retiré et ne leur est 
rendu que le 6 e jour, quand on s’est assuré que le titulaire 
du passeport est resté bien portant. Quelques semaines plus 
tard, ces mesures sont encore aggravées, dans ce sens qu’elles 
ne seront plus seulement applicables aux provenances des 
ports déjà infectés par le choléra( Odessa, Sébastopol, etc...), 
mais à tous les navires indemnes provenant de la mer Noire, 
étant entendu que ces mesures seront prises automatique¬ 
ment envers les navires suspects ou infectés, si le médecin 
arraisonneur de Kavak le juge opportun, après contrôle des 
livres du bord et de la patente de santé. 

Fin juillet, on annonce le départ prochain, de Russie mé¬ 
ridionale et des ports anatoliens de la mer Noire, de 12.000 
réfugiés grecs à destination de la Grèce ; mais la Grèce fait 
connaître officiellement qu’elle neles recevra pas. On nepeut 
cependant songer, sans courir de très gros risques,' à accepter 
à Constantinople, même momentanément, des passagers 
provenant de navires qui arrivent suspects ou contaminés. 
Par ailleurs, cette émigration se fait dans des conditions ma¬ 
térielles honteuses ; des armateurs indignes, préoccupés 
seulement de gains élevés, parquent ces malheureux sur 
les navires, comme des bêtes de boucherie. Le Thémis arrive 
de Novorossik à l’office de Kavak au commencement de 
septembre 1922 ; il est équipé pour 400 passagers, il en 
porte 4.585 et son équipage ne comporte que 28 hommes pour 
une telle masse ; il y a à bord 62 décès pour choléra et typhus. 
Le navire est aux portes mêmes de Constantinople ; d’autres 
navires suivent. 

La Commission interalliée maritime et des frontièrés fait 
un effort désespéré ; elle prescrit d’abord l’application in¬ 
tégrale des mesures sanitaires déjà imposées (3.000 passa¬ 
gers du Thémis sont vaccinés contre, le choléra par le La¬ 
zaret). Puis elle adresse aux Hauts-Commissariats la propo¬ 
sition draconienne de refuser l’entrée du Bosphore à tout 









LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


87 


navire transportant de Russie des émigrés ou des masses 
analogues ; elle prescrit en même temps d’imposer aux na¬ 
vires, en provenance des ports contaminés de la Mer Noire, 
une quarantaine de 5 jours pleins, soit à bord, soit à terre, 
suivant les possibilités, à partir du jour de l’arrivée à Kavak, 
si le navire est indemne ; si le navire n’est pas indemne, 
ou bien si on découvre à bord des porteurs de vibrions cho¬ 
lériques, cette quarantaine sera prolongée de cinq jours à 
partir de la date de l’isolement du dernier cas de choléra 
ou du dernier porteur de vibrions, et ainsi de suite. Les na¬ 
vires n’obtiennent la libre pratique qu’après l’exécution de 
ces mesures quarantenaires, qui dès Septembre sont impo¬ 
sées même aux passagers de classe, transportes avec les 
émigrés sur des navires d’émigrés ou de masses analogues. 

Ces mesures d’ordre technique sont complétées par des me¬ 
sures administratives à l’adresse des armateurs qui, comme 
ceux du Thémis y seraient enclins à s aifranchir de leurs obli¬ 
gations morales • des propositions dans ce but sont adressées 
aux Hauts-Commissariats de Grande-Bretagne, d Italie et 
de France, seuls qucdifiés pour les prescrire. Une conférence 
générale a lieu à Thérapia en présence des Hauts-Commis¬ 
saires, entre leurs conseillers techniques sanitaires et les 
représentants militaires et civils des Puissances Alliées* le 
Directeur du Service de Santé du Corps d’Occupation Fran¬ 
çais y expose la gravité de la situation, le point de vue de la 
Commission au nom de laquelle il parle, la nécessité de ne 
pas se laisser circonvenir par des intérêts particuliers peu 
recommandables et de prendre toutes mesures, mêmes les 
plus graves, en vue de protéger le vilayet de Constantinople 
et les Troupes alliées contre une épidémie éventuelle de 
choléra, en faisant cesser l’émigration sous cette forme, si 
elle devait se prolonger avec cette intensité. Un compromis 
acceptable pour tous est adopté, la Grèce se montrant moins 
intransigeante. Bien que la Commission n’ait pas obtenu 
tout ce qu’elle demandait, elle obtient assez pour espérer 
ainsi écarter tour danger immédiat. Au surplus, fort à pro¬ 
pos, pendant le dernier trimestre, une détente se produit ; 







88 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


l’importance du mouvement des navires à émigrants se 
ralentit, et la situation sanitaire des ports de la Mer Noire, 
suivant une observation constante, s’améliore très sensible¬ 
ment à l’approche de l’hiver. 

Année 1923. — Cette année 1923 est caractérisée par 
l’exode massive des émigrants grecs d’Anatolie qui, après 
s’être considérablement ralentie en octobre et en novembre 
1922, reprend vers la fin de 1922, pour devenir inquiétante 
pendant le premier semestre 1923, en raison du typhus 
exanthématique, de la variole et du choléra qui font nombre 
de victimes dans leurs rangs. 

La Commission interalliée maritime et des frontières 
s’efforce de prendre toutes dispositions que commande la 
gravité de la situation : sans modifier les mesures déjà im¬ 
posées aux provenances des ports contaminés de la Russie 
méridionale (Odessa, Sébastopol, Novorossisk), elle prescrit 
que les navires provenant des ports anatoliens de la mer 
Noire, transportant des émigrés, traverseront les Détroits 
sous surveillance sanitaire ; s’ils ont à transborder, cette 
opération devra s’effectuer sans retard à Kavak ; les émi¬ 
grés se trouvant à bord, ne pourront ni débarquer, ni com¬ 
muniquer avec la terre, et devront y séjourner jusqu’à 
l’accomplissement de cette mesure ; les passagers ordinaires, 
voyageant à bord de tels navires et autorisés à débarquer à 
Constantinople, seront conduits en ville au moyen d’embar¬ 
cations fournies par les Agences de navigation qui ont affrété 
les navires à bord desquels ils auront voyagé, et ce après 
avoir été débarqués au Lazaret de Kavak, où ils seront sou¬ 
mis à l’épouillage, à la vaccination anticholérique et où les 
désinfections nécessaires seront pratiquées. Aux provenances 
des ports contaminés de la Grèce (Le Pirée, Corfou, Salo- 
nique) sera imposée la visite médicale et, si c’est nécessaire, 
la désinfection et l’épouillage. 

Au milieu de l’année 1923, Constantinople est obligée 
de se défendre contre le choléra, le typhus et la variole qui 
l’enserrent, comme une proie désirée. En mai 1923, les me- 








LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 89 

sures précédentes sont appliquées aux navires provenant 
des ports de la Marmara, puis elles sont aggravées de dis¬ 
positions nouvelles : quelle que soit leur provenance, tous 
les navires à émigrés débarqueront ces derniers et les hommes 
d’équipage dans un des lazarets de Touzla ou de Monastir- 
Aghzy, en vue d’y subir l’épouillage et la vaccination an¬ 
ticholérique, et d’y pratiquer les désinfections prescrites. 
Les navires seront désinsectisés, si c’est possible ; sinon ils 
seront désinfectés chimiquement. Après l’application de ces 
mesures, les navires de cette catégorie seront consignés à 
la surveillance des Autorités Policières, lors de leur arrivée 
dans le port de Constantinople. En juin, juillet et août 
1923, la Commission interalliée complète encore ses déci¬ 
sions, de façon à ne laisser aucune porte ouverte à la fraude ; 
elle règle la question des navires provenant des ports con¬ 
taminés de Russie et qui, relâchant dans des ports indemnes 
de la Mer Noire, ne se présentent que 21 jours au moins 
après leur départ de Russie ; elle prescrit que les navires, 
provenant de la Mer Noire et de la Méditerranée et ayant 
accompli les opérations sanitaires aux Offices de Kavak 
et de Tchanak, devront à leur arrivée à Constantinople se 
rendre à l’office sanitaire de Galata, pour y subir l’arrai¬ 
sonnement et y recevoir la libre pratique ; la même forma¬ 
lité est imposée aux navires provenant de la Marmara, qui 
se présenteront à l’Office de Galata ou à celui de Yéni-Ka- 
pou. 

L’effort accompli, au cours de cette année 1923, par la 
Commission fut considérable ; les services qu’elle rendit 
méritent d’être relevés, en dépit des difficultés que lui créa^ 
dans l’ordre politique, après la victoire kémaliste, la nou¬ 
velle organisation administrative ottomane du vilayet de 
Constantinople. Son autorité, c’est certain, avait souffert 
de l’emprise turque sur les rouages des Organisations Sa¬ 
nitaires et ce fut fâcheux, car malgré elle, dans l’hiver 1923, 
25.000 réfugiés grecs d’Anatolie se trouvèrent disséminés dans 
des camps, à l’intérieur de la Capitale et aux environs de 
la Ville. Les conditions hygiéniques de leur existence sont 







90 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


lamentables ; la mortalité est effrayante dans leurs rangs, 
500 à 600 décès par semaine. Aussi, devant cette situation 
angoissante pour la santé de Constantinople et celle des 
Troupes Alliées, les Hauts-Commissaires de Grande-Bre¬ 
tagne, d’Italie et de France décident de constituer une Com¬ 
mission spéciale , dite des Réfugiés grecs , chargée de prendre 
en mains, sous la présidence de M. le médecin principal Vidal, 
Directeur du Service de Santé français, l’organisation 
du secours à apporter et de la défense sanitaire à constituer. 
Au labeur de cette Commission, qui fut riche en résultats 
féconds, participent la Croix Rouge grecque, le Croissant 
Rouge (professeur Akil-Mouktar Bey), le « Near East Re¬ 
lief » qui avait déjà pris en charge le ravitaillement des ré¬ 
fugiés Grecs, enfin les Corps d’occupation alliés et plus par¬ 
ticulièrement le Corps Français, dont le Service de santé 
s’efforce d’apporter une aide utile en mettant du matériel 
d’hospitalisation, de couchage, de désinfection, etc... à la 
disposition de la Commission pour l’aménagement des Camps 
installés en dehors de Constantinople à Selimié et à San 
Stefano. 

Des résultats encourageants suivirent ce premier effort 
concerté, mais les ressources matérielles et pécuniaires man¬ 
quaient. En avril 1923, la Société des Nations intervint, 
et, sous l’impulsion de son très distingué délégué M. Childs, 
elle accomplit, avec ses moyens puissants, une œuvre ma¬ 
gnifique. La situation changea bientôt de face et le camp de 
San Stéfano devint un camp modèle. Ce camp qui, en Avril 
1923, au moment où M. Childs en prit la direction, conte¬ 
nait 2.000 réfugiés, en compta 7.000 en juillet. « Et pour¬ 
tant malgré cette augmentation progressive du nombre des 
« habitants, le fonctionnement des camps se fit toujours 
« d’une façon parfaite, sans à coup ; et l’état sanitaire ne 
«cessa pas de s’améliorer. Le typhus et la variole avaient 
« presque complètement disparu à la fin du mois de Mai et 
« pendant les mois suivants la fièvre typhoïde y a été inconnue, 
« grâce aux vaccinations antityphoïdiques pratiquées dès 
« le début de l’été ; la dysenterie ne s’y est manifestée que 







LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE 


9i 


« par quelques cas, grâce aux mesures d’hygiène rigoureuses 
« prises pour en prévenir la dissémination ..... 

i • .. 

« Aussi le bien-être et la santé sont-ils revenus très vite 
« parmi les réfugiés, ainsi que l’indiquent d’une façon sai- 
« sissante les chiffres suivants : alors qu’au mois d’avril avec 
« 2.000 émigrés il y avait 80 à 85 décès par semaine, un 
« mois après avec 4.000 réfugiés le nombre hebdomadaire 
« de décès était de 20 à 25 par semaine et fin juillet pour 
« 7.000 réfugiés le nombre de décès par semaine n’était plus 
« que de 5 à 8 par semaine ; certains mouraient d’ailleurs 
« pour la plupart de misère physiologique irrémédiable (1). » 
C’est là une leçon de choses profitable à tous et qui montre 
ce que peut faire l’Hygiène bien comprise, maniée par des 
hommes instruits et décidés. 

Cette Commission, dite des Réfugiés grecs, tint sa der¬ 
nière séance le 24 août 1923 ; trois jours après la Commis¬ 
sion interalliée maritime et des frontières clôturait à son 
tour ses travaux. Le Traité de Lausanne faisait passer entre 
les mains nationales tout le poids de l’Organisation sani¬ 
taire du pays (2) ; le rôle des Alliés était terminé. 

Si l’on veut bien rapprocher les indications données dans 
un chapitre précédent sur l’hygiène, la mortalité et la 
morbidité de Constantinople, de l’exposé que nous venons 
de faire de l’organisation bonne, robuste et bien comprise 
de la Santé publique ottomane, on sera peut-être surpris 
que les résultats obtenus par elle n’aient pas été pratique¬ 
ment meilleurs, malgré la valeur des hommes qui sont 
à sa tête. C’est que ces hommes se heurtaient, dans 
l’accomplissement de leur programme, à de multiples diffi- 


(1) Médecin principal Vidal. Rapport à M. le délégué de la République 
française à la Société des Nations (Section d’Hygiène) à Genève (août 
1923). 

(2) Aux termes de la déclaration signee le 24 juillet 1923 a Lausanne 
par les Plénipotentiaires turcs, l'Administration sanitaire des frontières 
s’adjoindra, pour une durée de cinq années, trois médecins spécialistes 
européens comme conseillers techniques. Ces médecins seront des fonc¬ 
tionnaires turcs et dépendront du Ministre de la Santé. 











92 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


cultés : insouciance hygiénique des habitants, gêne maté¬ 
rielle d’un pays appauvri par dix années consécutives de 
guerre, et surtout inapplication des règlements sanitaires, 
par carence des autorités chargées de les imposer. Une per¬ 
sonnalité ottomane, fort avertie en la matière, nous disait 
en 1922 à peu près ceci : « Pour remédier au mal existant, il 
faut d’abord libérer de sa tutelle le Ministère de l’Hygiène, 
qui dépend du Ministère de l’Intérieur, lui donner un chef 
indépendant et compétent. Puis, et c’est là le désideratum 
le plus important à formuler, il faut faire que les lois et les 
règlements promulgués pour la protection delà Santé pu¬ 
blique ne restent pas lettre morte ; tant que les règlements 
sanitaires ne seront pas rigoureusement observés, l’organi¬ 
sation même la plus perfectionnée restera quasi impuis¬ 
sante. Les délits sanitaires doivent être poursuivis, en sui¬ 
vant une procédure plus simple et surtout plus rapide qu’elle 
ne l’est actuellement ; les sanctions doivent être rigoureuses. 
Le Ministère de l’Evkaf (Ministère des fondations pieuses), 
qui a sous son autorité en grande partie l’alimentation en 
eau potable de la Capitale, l’Administration de tous les ci¬ 
metières musulmans, de certains hôpitaux et de plusieurs 
écoles, doit céder ces institutions, intimement liées à la Santé 
publique, à un Département ministériel, plus entendu, mieux 
armé en personnel et en matériel techniques, je veux dire 
le Ministère de l’hygiène, libéré. $> 

Il appartient à la jeune République Ottomane, avide de 
réformes, de réaliser ce beau programme d’hygiène publique, 
si indispensable à la santé de Constantinople : elle ne manque 
pour cela ni d’administrateurs résolus, ni d’hygiénistes de 
talent. 







CHAPITRE IV 


Le Service de Santé du Corps d’occupation français 


SES MOYENS. SON FONCTIONNEMENT 

L’organisation du Service de santé, les moyens dont il 
disposait et les modalités de son fonctionnement avaient 
été adaptés aurôle d’occupation qui, dans le cadre que nous 
connaissons bien maintenant, incombait à ce Corps d’armée, 
fort de 9 à 10.000 hommes, répartis en 2 groupements 
principaux ; celui de Constantinople, Makrikeuy, Sas Stefano, 
Hademkeuy, Tchataldja et celui de Gallipoli, Kilid-Bar, 


Sebd-Ul-Bahr. 


I. LES MOYENS 


1° Le personnel. — La Direction du Service de santé du 


Corps d’occupation a été assurée d’abord par un Médecin- 


Inspecteur, puis par un Médecin principal de l re classe 


ayant les attributions, prévues par le Règlement sur le Ser¬ 
vice de santé en campagne, de directeur du Service de santé 
d’un Corps d’armée opérant isolément ; un médecin-major 
et un officier d’Administration (deux au début) lui étaient 
adjoints. 

Le Directeur avait sous ses ordres immédiats un médecin 
principal, remplissant les fonctions de médecin divisionnaire ; 
cet officier supérieur était médecin-chef de la Place de Cons¬ 
tantinople et du Centre Hospitalier, chefferie étendue aux- 



94 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


formations de la banlieue de la Capitale (Makrikeuy, Mal- 
tépé, Ramis, San Stefano) ; il était également chargé de 
transmettre aux Médecins-chefs des Hôpitaux et des Corps 
de troupe du Corps d’occupation, éventuellement avec ses 
prescriptions personnelles, tous documents, notes ou ins¬ 
tructions provenant du Commandement ou de la Direction 
technique ; de même, il centralisait pour les transmettre 
au Directeur, avec ses observations et ses propositions, 
les situations périodiques et les rapports des hôpitaux et 
des Corps de troupe, ainsi que toutes les questions qu’il ju¬ 
geait opportun de soumettre à la décision du Directeur. 

Le personnel officier du Corps d’occupation comprenait 
20 à 25 médecins, dont 4 ou 5 de l’Armée coloniale, deux 
pharmaciens (réduits à la fin à un seul), chargés de la phar¬ 
macie de l’hôpital de base et de la gestion de la Réserve de 
médicaments, enfin d’un nombre variable d’officiers d’ad¬ 
ministration, 8 au début, 5 seulement au cours de la der¬ 
nière année du séjour. 

Le personnel infirmier, groupé en une Section de Marche et 
administré par elle, appartenait à la 33° section d’infirmiers^ 
dont il constituait le « Détachement du Corps d’occupation 
français » sous le commandement d’un officier d’administra¬ 
tion de 2 e classe. Son effectif théorique était fixé à 180 ; 
mais il atteignit rarement ce chiffre ; en moyenne il fut de 
10 sous-officiers, 15 caporaux et 135 hommes, soit au total 
160 à l’effectif. 

Cette question du personnel subalterne fut, pendant la 
durée de l’occupation, un objet de préoccupations constantes 
pour les chefs. Le Service de santé disposa rarement du 
nombre d’infirmiers, qui lui aurait été nécessaire. Pour des 
raisons diverses, économies à réaliser, difficultés éprouvées 
par la Métropole pour faire face à tous les besoins en per¬ 
sonnel non-seulement sur son territoire, mais dans les pays 
rhénans, au Maroc, à l’Armée du Levant... etc, défections 
survenues avec l’embarquement dans les détachements dé¬ 
signés pour le Corps d’occupation (maladies, inaptitudes, 
mutations diverses), les renforts arrivaient fort diminués. 







95 


LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 

par rapport au chiffre annoncé. Encore débarquaient-ils 
plusieurs semaines après que les hommes libérables, qu ils 
étaient destinés à remplacer, avait été renvoyés dans leurs 
foyers, où ils avaient à jouir de leur permission normale de 
détente avant d’être libérés. C’était là une complication 
supplémentaire, dont les effets se faisaient durement sentir 

dans les formations, qui étaient mises delà sorte pendant un 
temps assez long après chaque rapatriement de contingent, 
dans l’impossibilité de réaliser la soudure. La maladie avait 
tôt fait d’augmenter les vides parmi les nouveaux anivés. 

La médiocre qualité des renforts ne faisait qu’aggraver 
les difficultés résultant de cette situation. Le niveau intel¬ 
lectuel de beaucoup d’hommes envoyés comme infirmiers 
laissait fort à désirer; il se trouvait parmi eux des illettrés ; 
beaucoup d’autres avaient une instruction trop rudimen¬ 
taire, pour pouvoir s’employer aussi utilement qu il 1 aurait 
fallu dans les services auxquels ils étaient affectés ; eussent- 
ils été capables d’ailleurs de développer leurs connaissances 
professionnelles, qu’il eût été impossible de les soumettre 
à une préparation spéciale, en raison de la brièveté du séjour 
qu’ils effectuaient au Corps d’Occupation, séjour qui va¬ 
riait entre 8 et 10 mois. Les sujets moins frustes, plus ou¬ 
verts ou à instruction moyenne, suffisaient à peine à occuper 
tous les postes de secrétaires, comptables, infirmiers de 
visite, téléphonistes, plantons, ravitailleurs, dépensiers, etc... 
Il faut noter enfin que les renforts comptaient toujours une 
trentaine d’infirmiers Arabes, qui étaient juste aptes à 
faire des manutentionnaires. Le commandement s em¬ 
ploya de son mieux à combler les lacunes provenant delà 
pénurie de personnel, en mettant à la disposition du Service 
de Santé des hommes prélevés dans les Corps de troupe. Il 
s’agissait là plutôt d’un appoint de bras, d’hommes de corvée, 
et non d’infirmiers véritables capables de se rendre utiles à 
des malades. Par ailleurs, il fut procédé, dans les limites des 
disponibilités budgétaires, à l’embauchage de quelques in¬ 
firmières recrutées dans la ville, principalement dans 
la colonie émigrée russe, et qui venues renforcer nos 





96 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


infirmières des hôpitaux militaires, au dévouement des¬ 
quelles il est juste de rendre ici un hommage mérité. Il 
n’en est pas moins vrai que nos formations sanitaires éprou¬ 
vaient, à l’occasion des périodes d’activité, des embarras 
autrement sérieux que dans la Métropole, où des difficultés 
soulevées par des problèmes de ce genre peuvent, le plus sou¬ 
vent, être atténuées à l’aide de ressources, qu’il est malaisé 
de se procurer en pays étranger. 

Toutes ces difficultés n’ont pas été, nous le savons bien, 
particulières au Corps d’Occupation de Constantinople ; le 
Service de Santé les a éprouvées partout à l’époque dont nous 
parlons. Si nous les signalons ici avec quelques détails, c’est 
qu’il se dégage toujours de faits semblables un enseignement 
utile à tous, et dont nous devons tous faire notre profit. 

2° Les Formations sanitaires. — De toutes les formations 

qui existaient à la fin de 1920, époque à laquelle l’Armée 
d’Orient, regroupée et remaniée, devint « Corps d’occupa¬ 
tion de Constantinople », deux seulement furent conservées 
à l’usage des troupes françaises : l’hôpital de Gul-Hané et 
l’hôpital Giffard, dont les ressources, dans le courant de 
1922, s’accrurent de moyens nouveaux, par suite de la créa¬ 
tion à Maltépé de l’infirmerie-ambulance Corroy. Nous ne 
parlerons pas ici naturellement des hôpitaux de circons¬ 
tance, qui durent à ce même moment et pendant plusieurs 
mois être ouverts pour recevoir les réfugiés russes de l’Armée 
Wrangel ; nous aurons l’occasion d’y revenir longuement dans 
le chapitre consacré à l’exode russe. 

a) Hôpital de Gul-Hané . — (La Maison des Roses). C’était 
un ancien orphelinat, dans lequel était installée, avant la 
guerre, depuis 1875, l’Ecole d’application du Service de 
santé militaire turc. Il avait été mis à la disposition du 
Service de santé français, en janvier 1919, au moment où 
l’armée d’Orient avait fixé son Quartier Général à Constan¬ 
tinople. Pendant la guerre, il avait été occupé par les Alle¬ 
mands. Situé dans un des quartiers les plus pittoresques de 
Stamboul, en bordure de la mer et de la voie ferrée suivie 









LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D’OCCUPATION 97 


par TOrient-Express, il comprend 3 corps de bâtiments dans 
lesquels étaient organisés 352 lits, se répartissant de la façon 
suivante : 


Service de médecine générale. 68 

» des contagieux. 40 

» des paludéens et dysentériques. 50 

» de chirurgie. 160 

» des officiers. 34 


La grande terrass.e, qui borde le bâtiment le plus rapproché 
de la mer, était un lieu de repos recherché de nos convales¬ 
cents, qui pouvaient y contempler, sous la douce caresse de 
la brise marine, un panorama unique au monde, embrassant 
l’entrée du Bosphore, la mer de Marmara, les îles des Princes, 
la rive d’Asie avec Scutari et Haïdar-Pacha. 

D’incessants travaux, poursuivis dans ce vieil hôpital par 
le Service de santé français, permirent d’améliorer l’amé¬ 
nagement de tous les services ; on réalisa, en particulier 
dans les salles réservées au Service de chirurgie, et grâce 
aux efforts des médecins-majors Clavelin et Mouchet, une 
installation qui répondait à toutes les exigences de la chirur¬ 
gie moderne, et passait à juste titre pour la plus parfaite de 
Constantinople. A ce service était annexé le service de Ra¬ 
diologie et d’Electrologie du Corps d’Occupation, Le labo¬ 
ratoire de Bactériologie était également installé dans l’Hô¬ 
pital, dans les locaux de l’ancien Laboratoire de l’École 
d’application du Service de santé militaire turc ; il était fort 
bien outillé et fonctionna avec activité sous l’impulsion 
des médecins-majors Pauron et Robert. 

Un service dentaire, assuré par un dentiste civil conven¬ 
tionné, aidé d’un mécanicien militaire fourni par la Section 
d’infirmiers, fonctionnait enfin dans des locaux annexés 
à l’Hôpital. Les militaires, justiciables de soins dentaires 
ou de prothèse et appartenant à des garnisons éloignées du 
Centre Hospitalier, étaient mis en route par les soins de leurs 
Corps sur Constantinople, pris en subsistance dans les Unités 
stationnées à côté de l’Hôpital pendant la période de leur 

7 


Dejouany 




















98 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


traitementet renvoyés ensuite à leur Unité d’origine. Les 
mouvements de garnison à garnison étaient soigneusement 
réglementés et surveillés ; ils avaient lieu périodiquement 
à des dates fixées à l’avance. 

b) Hôpital Giffard. — L’hôpital Giffard est depuis 1896, 
date de sa construction, un hôpital français dépendant du 
Ministère des Affaires Etrangères, destiné aux membres de 
la Colonie française de la capitale et aux marins de passage. 
De nombreux blessés turcs y furent soignés pendant les guerres 
balkaniques. Pendant la Grande Guerre, il fut réquisitionné 
pour les besoins de l’armée turque. Le Service de santé fran¬ 
çais s’ÿ installa après l’Armistice, et l’utilisa pour les besoins 
de nos troupes de terre et de mer. C’est un Hôpital confor¬ 
table, très coquettement construit, avec façade sur la grande 
rue de Péra. Il comprend, en plus des salles de médecine, une 
installation chirurgicale complète avec salle de radiogra¬ 
phie. Dans le plan d’organisation générale, cette installation 
chirurgicale fut mise en « sommeil » ; la formation fut ré¬ 
servée aux malades non contagieux des unités militaires et 
des marins, stationnés dans les quartiers européens de Cons¬ 
tantinople ; des chambres très confortables y furent amé¬ 
nagées pour les officiers et, par autorisation spéciale du 
Général Commandant, pour les femmes de militaires (offi¬ 
ciers et sous-officiers) qui y venaient faire leurs couches ; 
au personnel de l’établissement composé de quatre sœurs 
de Saint-Vincent de Paul, furent adjoints une vingtaine 
d’infirmiers militaires et 1 sage-femme. La direction de la 
formation fut confiée à un médecin-major de l re classe, et 
la gestion à un officier d’administration du Service de santé. 
Après le départ du Corps d’occupation, M.le médecin-major 
Mouchet, professeur à la Faculté de médecine de Constan¬ 
tinople, y a installé un dispensaire bien achalandé et fort 
actif ; il y poursuit avec bonheur son œuvre, qui est de 
faire aimer notTe Pays à l’Étranger. 

Depuis l’incendie qui l’avait privé de ses locaux, le Consu¬ 
lat général de France avait installé ses bureaux dans un pa¬ 
villon de l’hôpital, dont la capacité se trouvait ainsi réduite 









LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 99 

ii 80 lits. A plusieurs reprises, le Consulat réclama la cession 
entière de la formation. Le Service de Santé eut chaque fois 
à défendre avec énergie son droit aux locaux qui lui étaient 
restés affectés, notamment au quartier des officiers et des 
femmes de militaires qu’il ne pouvait loger, faute de cham¬ 
bres convenables, dans les vieux bâtiments de Gul-Hane. 
Par ailleurs, l’hôpital Giffard constituait une réserve pré¬ 
cieuse, en prévision de besoins éventuels à satisfaire (opé¬ 
rations militaires, épisodes épidémiologiques). 

c) Infirmerie-Ambulance Corroy. — Cette formation fut 
créée en Mai 1922, sous des baraquements contigus à la ca¬ 
serne de Maltépé, dans la banlieue immédiate de Constan¬ 
tinople, à 2 kilomètres des murailles (Porte-Top-Kapou). 
Ces baraquements avaient servi de dépendances à l’hôpital 
de contagieux, qui avait fonctionne dans la caserne en 1920 
et une partie de 1921. Lors de la suppression de cet hôpital, 
ils constituèrent une infirmerie de garnison pour les troupes 
d’infanterie venues occuper la caserne Maltépé, et les Uni¬ 
tés d’artillerie casernées au quartier tout proche de Ramis. 
Ces baraquements furent remis en état, complétés, ordonnés, 
en vue de les utiliser comme infirmerie-ambulance ; le nom 
de « Corroy » fut donné à cette formation sanitaire en sou¬ 
venir du médecin-major Corroy, mort en janvier 1921 de 
typhus exanthématique, contracte au chevet de ses malades 
à l’hôpital de Sélimié. Elle ouvrit ses portes le 20 mai 1922, 
avec 80 lits dont le nombre fut porté par la suite à 110. Elle 
continua à recevoir les petits malades des garnisons de Ramis 
et Maltépé ; mais un service spécial y fut ouvert bientôt, dans 
lequel furent réunis les malades du Corps d Occupation^ 
atteints d’affections cutanées et vénériennes. Un médecin, 
major, secondé d’un sous-officier faisant fonction de Gestion¬ 
naire et de 14 infirmiers, fut chargé de sa direction. 

Cette formation fonctionna jusqu’à la dissolution du Corps 
d’Occupation et rendit, comme on le verra, les plus précieux 
services. 

d) Infirmeries Régimentaires. — Chaque unité ou chaque 
groupement d’unités disposait d’une petite infirmerie régi- 









100 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


mentaire ; pendant longtemps elles ne furent que des postes^ 
de secours de quelques lits ; plus tard, ainsi qu’il sera dit 
plus loin, elles furent développées comme capacité, et grou¬ 
pées en vue de constituer des organes de traitement véri¬ 
tables. 

e) Réserve de médicaments et Réserve de matériel sanitaire. 

L approvisionnement en médicaments, objets de panse¬ 
ment et matériel des formations sanitaires et des Infirme¬ 
ries Régimentaires du Corps d’Occupation était assuré par 
la Réserve de médicaments et par la Réserve de matériel 
sanitaire, installées dans des baraquements situés à proxi¬ 
mité de 1 Hôpital de Gul-Hane. Ce sont ces deux réserves 
qui furent chargées de liquider, dès 1921, les stocks de mé¬ 
dicaments et de matériel provenant des deux armées dé¬ 
rivées de l’Armée d’Orient, l’Armée de Hongrie et l’Armée 
du Danube. Les matériels ou médicaments, qui existaient 
en excédent des besoins présumés d’une année pour l’effectif 
du Corps d’Occupation, furent suivant les directives du 
Ministre expédiées soit à la Métropole, soit au Levant. 
C’est ainsi que la Réserve de médicaments adressa : 

1® A la Pharmacie Centrale d approvisionnement de Mar¬ 
seille, à la Pharmacie Centrale de l’Armée, à la Station-Ma¬ 
gasin de St-Cyr, 335 caisses d’un tonnage total de 23 tonnes 
environ et d’une valeur de plus de 2 millions de francs. 

2<> A l’Armée du Levant, 429 caisses, soit 31 tonnes d’une 
valeur de plus d’un million. 

La Réserve de matériel expédia de son côté : en France, 
28 tonnes de matériel d’une valeur de 290.000 francs, à 
l’armée du Levant 4 tonnes d’une valeur de 80.000 francs. 

Nous avons tenu à citer ces chiffres qui donnent une idée 
du travail considérable de liquidation auquel, pendant de 
longs mois, se consacrèrent la Réserve de médicaments et 
la Réserve de matériel sanitaire du Corps d’Occupation. 

Ces Réserves furent constamment et très exactement 
approvisionnées par la Métropole. Il n’y a eu à ce point de 
vue aucun heurt ; seuls quelques vaccins durent être em¬ 
pruntés à l’Institut Pasteur de Constantinople, au moment 











101 


le service de santé du corps d’occupation 


où il y eut de très nombreuses vaccinations à pratiquer chez 
les Russes de Wrangel, mais ce ne fut que passager. 


3° Le Budget. — Les ressources budgétaires, mises à la 
disposition du Directeur du Service de Santé du Corps d’Occu- 
cupation Français se sont traduites pour les années 1921, 
1922 et 1923 par les chiffres suivants (chapitre E-22, para¬ 
graphe 10) : 



1921 

1922 

1923 

Pprunnnftl Civil 

642.900 

150.000 

150.000 

Frais de traitement de malades 

1.018.000 

963.300 

963.000 

Matériel, médicaments, panse- 

198.000 

225.000 

225.000 

Location d’immeubles et répa- 

90.000 

40.000 

40.000 

Total. 

1.948.000 

1.378.300 

1.378.300 I 



- '1 


Ces ressources, maniées avec sagesse et économie, ont 
suffi, et au-delà, à tous les besoins : elles n’ont même pas 
été utilisées intégralement en 1921 et 1922 tout au moins ; 
il y a lieu d’ajouter que les projets de budget, établis par le 
Directeur du Service de Santé du C. O. F. C. pour 1922 et 
1923 ne comportaient qu’une somme totale de 1.197.000 
francs pour 1922 et de 1.220.950 pour 1923. Le paragraphe 
« Frais de traitement » est celui qui prévoit le crédit le plus 
élevé en raison de sa nature spéciale d’abord, en second lieu 
parce’ que les militaires du C. O. F. C., traités dans les hôpi¬ 
taux militaires de France, d’Algérie ou de Tunisie, Vêtaient 
à charge de remboursement par le budget du C. O. F. C. ; il 
y avait même là une quasi impossibilité pour le Directeur 
de « suivre son budget » car, n’étant pas mis au courant des dé¬ 
penses engagées pour ses militaires hospitalisés hors du Corps 
d’occupation, il ne pouvait établir une balance convenable 
-entre son doit et son avoir. Pour le budget de 1923, le crédit 









































102 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

demandé avait été basé sur une moyenne d’hospitalisés pré-' 
sents de 300 environ, et sur le chiffre de 7 francs comme prix 
moyen de la journée d’hôpital. 


II. FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL 

Le Service de Santé du Corps d’Occupation a fonctionné, 
a ord et pendant de longs mois, suivant les dispositions 
du Règïemen 1 ; sur i e Service en campagne de 1910 ; mais la 
stabilisation prolongée de nos troupes, ou du moins d’une 
partie d’entre elles, justifia l’application des dispositions 
u Service de Santé à l’intérieur au fonctionnement du ser¬ 
vice dans les garnisons et dans nos formations sanitaires. 
Pour les périodes d’activité militaire on adopta, suivant les 
circonstances, une organisation « atypique », mais souple 
et conforme aux besoins du moment. 

Quelques points, relatifs au fonctionnement général du 
service, méritent de retenir l’attention. 

La Direction. — L’action directoriale a été très centra¬ 
lisée. Est-ce un bien, est-ce un maP? Tout dépend, c’est cer¬ 
tain, du caractère du chef, de sa conception du commande¬ 
ment, de ses méthodes de travail et, il faut le dire, de sa vi¬ 
gueur intellectuelle et physique. Quand elle peut être réali¬ 
sée, il y a profit pour tous ; l’impulsion qui vient d’en haut 
est alors réelle et effective ; la réalisation du programme, que 
tout chef doit s’imposer en prenant des fonctions nouvelles, 
est poursuivie dans le détail par celui-là même qui l’a établi’ 
d après ses directives et ses conseils, sous son contrôle in¬ 
cessant ; il y a un travail en commun, dont la valeur n’échap¬ 
pe pas même aux plus petits. Chacun dans sa sphère d’ac¬ 
tion personnelle sait où il va, jusqu’où il a le droit d’aller, 
assuré en toutes circonstances de trouver à sa tête le Chef 
ienveillant, mais décidé, conscient de ses responsabilités 
et les acceptant avec courage. Il en résulte une action asso¬ 
ciée, menée par tous d’après un plan commun vers un but 










„ SERVICE OE SANTÉ .C CORPS ^OCCUPATION 


m 


commun. Les résultats obtenus ne sauraient etre douteux. 

Zis l’autorité du Chef d’un grand service, comme le 
nôtre ne saurait s’exercer efficacement, sous cette forme, 

, f „: t eû plein accord avec le Commandement, 
que si ce chef agit eu pieiu , n nput-être 

auquel il reste inévitablement subordonne. On peut e 
i l la légère d’une certaine « autonomie complété a du 

P ai e ^ • •. . i„ Kqoa des revendications du 

Service de Santé, qui serait a la base des reve 

Corps et comme l'article premier de sa charte^ DM - 

connaître profondément l’essence meme et le fonctionne 

me», de 1. machine m.litaire, si complet pour »***»* 

mi pareil objectif. Dans tout organisme militaire, a que q 

échelon qu'on l'étudie,il ya un Chef militaire qui, ^ 

l’ensemble ,» qui, seul et pour «ou, a ^ 

. . • doit avoir l’autorité suprême. Quelle raison 

rtpour. 

JrîCnisme m,H,aire, don, ils font 

Pa Mals qui dit subordination militaire, ne dit P as forc ®' 
ment tutelle humiliante et stérile, ne dit pas abandon de 
toute dignité, de toute autorité, grand 

technicité joue un si gran r ^ ^ ^ ^ collaborateur 
service, comme le not , P voudra, 

Î ioi'^clm.. Cette colla- 

tympaThie, le Commandement 

P- r— ^ Jcti—t de, 

TeJe'cs »r T, programme qu'il s'es, tracé, s " 
"«Ttmé: 3 Z hommes est 




104 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

si grande, c est aller au devant de dures désillusions (1). Pour 
le Commandement comme pour le chef de service, l’entente 
est indispensable : l’autorité technique et la situation morale 
d un Directeur de Grand Service ne se trouveront pas di¬ 
minuées, au contraire, par une collaboration étroite qui, 
connue de tous, donnera plus de poids à ses instructions et 
plus de valeur à sa personne. 


., L I î° SP * t ® h ® atlon ' ~ Une des premières préoccupations 
un Chef de Service de Santé, en pays d’occupation, est né- 
cessairement de s’assurer une capacité hospitalière, suscep- 
tible de repondre aux besoins normaux et aux besoins éven¬ 
tuels, s, difficiles à prévoir. A ce point de vue, la situation 
était assez indécise au Corps d’Occupation de Constanti¬ 
nople, au lendemain de l’effort consenti en faveur des Ré- 
fugiés Russe 8 de l’Armée Wrangel. A ce moment le C. O 
P. C d un effectif de plus de 8.000 hommes (effectif porté 
ans ia suite à 10.000), ne disposait que d’infirmeries peu 
eveloppees et de 450 lits d’hôpital, dont 360 à Gul-Hané 
et 80 à Giffard ; 250 malades et blessés y étaient en traite¬ 
ment Le « volant d’hospitalisation ,, de 200 lits était faible et 
insuffisant dans une région très vulnérable au point de vue 
epidemmlogique, à l’avenir toujours incertain ; il paraissait 
donc indispensable de prévoir l’extension de cette hospita- 
îsation. Dans ce but des propositions furent adressées au 
Commandement, qui les accepta d’ailleurs sans difficulté 
et aida à les faire aboutir. Le programme, une fois établi 


'iTTr P ro , visoire sur Emploi tactique des grande, 
tammenTau courr a. i “.’ 11 - eSt donc indispensable qu’il soit cons- 

ju^ror P Ses a a a vTf 






105 


V7 




LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 

fut poursuivi pendant de longs mois jusqu’à réalisation 
complète ; il consista essentiellement à : 

1° Utiliser au mieux les Hôpitaux de Gul-Hané et de Gif- 

fard. 

2° Décongestionner ces Hôpitaux de base : 

a) en créant dans certains groupements de troupes des 
Infirmeries de garnison à capacité élevée, de façon à y re¬ 
tenir une partie notable des malades et blessés évacues 
jusqu’alors sur Constantinople et qui n’avaient pas besoin 
d’une hospitalisation urgente ; cette mesure permettait en 
outre de rendre au plus tôt à leurs unités les malades traités 
sur place, auprès d’elles. 

b) en équipant plus complètement les Infirmeries des 
troupes éloignées (Presqu’île de Gallipoli). 

c) en augmentant, suivant les besoins, la capacité des au¬ 
tres Infirmeries Régimentaires. 

30 Prévoir l’installation, dans la banlieue immédiate de la 
Capitale, d’une Formation sanitaire nouvelle (la future In¬ 
firmerie-Ambulance Corroy), à organiser dans des baraque¬ 
ments annexés à la Caserne Maltépé et qui, occupés autre¬ 
fois par le Service de Santé, lui avaient été laissés sur sa de- 
mande pressante. 

a) Le premier effort s’adressait donc à l’amélioration du 
service médical des Corps de troupe. Tous les Corps et Ser¬ 
vices furent répartis en secteurs, dont le service fut assuré 
par un ou deux médecins , suivant l’étendue territoriale 
et l’importance des unités à desservir. Chaque secteur fut 
pourvu d’une Infirmerie gérée par la principale des unîtes 
occupantes. Au début, ces infirmeries n’avaient été que de 
grands Postes de Secours ; par la suite, au moment où s affir¬ 
mait la stabilité du Corps d’Occupation, on transforma 
ces Postes de Secours, un peu sommaires, en véritables In¬ 
firmeries, confortablement aménagées, et pouvant admettre, 
coucher et soigner les malades, dont l’hospitalisation ne 

s’imposait pas. . , , 

Les garnisons de Makrikeuy, de San Stefano, de Maltepe, 
d’Hademkeuy et celles plus éloignées de Gallipoli, de Km 






106 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Bahr, furent ainsi dotées d’infirmeries à grande capacité; 
celle de Makrikeuy ne comptait pas moins de 80 lits. Les 
infirmeries des secteurs de Constantinople même comptaient 
une trentaine de lits. Ces infirmeries furent largement appro¬ 
visionnées de matériel de couchage, de matériel sanitaire, de 
médicaments et de matières de pansement, et l’alimentation 
spéciale y fut assurée par entente directe entre le médecin, 
chargé du service médical de l’infirmerie, et les Comman¬ 
dants d’unités. Les organisations réalisées de la sorte, à 
la faveur de la stabilisation progressive du Corps d’Occupa- 
tion, finirent par être très semblables à celles prévues dans la 
Métropole par le Règlement sur le Service de Santé à l’In¬ 
térieur, pour le service médical des corps de troupe. 

b) Des dispositions d’ordre intérieur permirent d’accroître 
sensiblement la capacité hospitalière des deux hôpitaux de 
base de Gul-Hané et de Giffard, peu extensibles d’ailleurs. 
Mais la lutte fut chaude pour pouvoir conserver ces hôpi¬ 
taux malgré l’évidence éclatante de leur «indispensabilité », 
et l’impossibilité de se procurer à Constantinople des 
ressources hospitalières correspondantes. A plusieurs re¬ 
prises, en 1921 et surtout en 1922, une offensive bruyante 
fut menée par les Turcs d’une part, par le Consulat de 
France de l’autre, pour nous arracher nos deux hôpi¬ 
taux, les Turcs pour réinstaller à Gul-Hané leurs cliniques 
émigrées à Haïdar-Pacha, les Français pour étendre leurs 
bureaux. La riposte fut vigoureuse et condensée dans 
deux rapports copieux et documentés ; fort heureusement 
des Chefs clairvoyants, tant à Constantinople qu’à Paris, 
comprirent la gravité d’une mesure qui priverait, sans com¬ 
pensation, le Corps d’Occupation, déjà très gêné au point de 
vue hospitalisation, de Formations indispensables au fonc¬ 
tionnement du Service de Santé ; l’une et l’autre offensive 
aboutirent à un échec, et nous pûmes continuer à utiliser 
et à perfectionner jusqu’au bout nos organisations hospi¬ 
talières essentielles. 

c) La création, au printemps de 1922, de l’Infirmerie-Am¬ 
bulance Corroy permettait de constituer, en cas d’épidémies 






107 


LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 

massives (le choléra par exemple, toujours à craindre) ou 
d’événements militaires, une réserve précieuse impatiemment 
attendue et susceptible d’extension rapide, par empiète¬ 
ment éventuel (c’était la pensée secrète du Directeur du 
Service de Santé) sur les 1.000 lits possibles du casernement 
limitrophe de Maltépé. Les événements démontrèrent par 
la suite combien cette conception avait été sage. Dans le 
courant de l’hiver 1922-23 des épidémies graves de grippe, 
de rougeole et d’oreillons, éprouvèrent durement nos troupes 
et, comme on le verra dans le chapitre suivant, embouteil¬ 
lèrent rapidement les hôpitaux de Gul-Hané et de Gilford. 

Il ne fut possible alors de faire face à toutes les obligations 
imposées par une situation sérieuse, que grâce à l’utilisation 
de toutes les ressources propres de l’Infirmerie-Ambulance, 
augmentées de celles de la caserne de Maltépé, que le 
Commandement mit de suite à la disposition du Service de 

Santé. ^ 5 

Le Service médical de nos hôpitaux fut réglé d une façon 

générale comme il l’est dans nos hôpitaux de la Métropole , 
point n’est besoin d’y insister. Il y a lieu seulement de si¬ 
gnaler ici, en marge de l’Hospitalisation, deux organisations 
un peu spéciales du Corps d’Occupation, dont il convient de 
dire un mot : la Commission de Rapatriement et la Com¬ 
mission de Réforme. 

La Commission de Rapatriement était composée du Mé¬ 
decin Principal, Médecin-Chef du Centre Hospitalier de Cons¬ 
tantinople, et des Médecins-Chefs des Hôpitaux Giffard et 
Gul-Hané ; un médecin de la marine lui était adjoint. Elle 
se réunissait tous les trente ou quarante jours, un peu avant 
l’arrivée en rade d’un des deux navires-hôpitaux de l’Etat, 
le « Tourville » et le « Vinh-Long », spécialement, amé¬ 
nagés pour le rapatriement des militaires et marins du Le¬ 
vant et du Corps d’Occupation. Elle arrêtait et soumettait 
à l’approbation du Général Commandant la liste des mili¬ 
taires et des marins inaptes aux T. O. E., ou justiciables d’une 
admission dans une formation sanitaire de la Métropole ou 
de l’Afrique du Nord, d’un congé de convalescence, d une 




108 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


décision militaire, etc... Chaque évacué était porteur d’une 
pochette contenant tout son dossier médical mis à jour, et 
destiné au Médecin-Traitant de la Formation destinataire. 
En quittant Constantinople, le navire-hôpital se rendait à 
Beyrouth où il prenait les évacués de l’Armée du Levant ; 
de là il touchait à Bizerte, où étaient laissés les militaires 
appartenant à des unités Nord-Africaines, et débarquait à 
Toulon, terme de son voyage, les marins et les hommes comp¬ 
tant à des Unités Métropolitaines, Marocaines, Noires, Mal¬ 
gaches ou Annamites. Par raison d’économie, le service des 
navires-hôpitaux fut supprimé à partir de février 1923 ; le 
rapatriement de nos malades fut assuré par des navires du 
commerce (Messageries Maritimes ou Cie Paquet). Le nom¬ 
bre de militaires, rapatriés entre le 1 er octobre 1920 et le 
1 er octobre 1923, a été de 1709. 

Une Commission de Réforme fut créée à Constantinople 
à la fin de 1921, par décision spéciale du Ministre, dans le 
but de statuer sur les cas d’application de la Loi du 30 avril 
1920 et de permettre aux militaires en activité, servant au 
Corps d’Occupation, de faire éventuellement valoir leurs 
droits à pension. Ce fut donc une Commission à compétence 
très limitée. Son activité fut médiocre ; dans toute l’année 
1922, elle n eut à examiner que 14 dossiers seulement (5 offi¬ 
ciers ; 8 sous-officiers et 1 homme de troupe). 

L’instruction du personnel — L’instruction militaire et 
technique du personnel ubalterne a été l’objet d’une atten¬ 
tion particulière ; elle fut très surveillée ; des prescriptions 
méticuleuses l’avaient réglée, tant dans les corps de troupe 
pour les Infirmiers Régimentaires, que dans les Formations 
sanitaires pour les militaires de la Section de marche ; les 
manœuvres de garnison furent des occasions favorables, pour 
faire exécuter à nos infirmiers-brancardiers des exercices 
pratiques de relève et de transport de blessés. 

En ce qui concerne les Officiers, il avait paru au Général 
Commandant et au Directeur du Service de Santé qu’il était 
hautement désirable, que les médecins du Corps d’Occupa- 





r 





LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 109 

tion fussent tenus au courant des questions medicales et chi¬ 
rurgicales à l’ordre du jour dans les milieux scientifiques. 
Déjà le Ministre avait bien voulu, sur notre demande, abon¬ 
ner le Corps d’Occupation à une série de publications pé¬ 
riodiques, qui étaient venues grossir la modeste biblio¬ 
thèque médicale de Gul-Hane : ces publications étaient adres¬ 
sées en communication aux médecins qui en faisaient la 
demande, quand ils étaient éloignés de la Capitale. Dès le 
mois d’août 1921 eurent lieu à l’Hôpital de Gul-Hané, une 
fois d’abord, puis deux fois par mois, des réunions, où se 
groupaient autour du Directeur tous les médecins de la ré¬ 
gion de Constantinople que ne retenaient pas, ces jours-là, 
des obligations impérieuses de service. Ces réunions, au 
cours desquelles étaient faites alternativement des démons¬ 
trations pratiques, des communications avec présentation 
de malades ou des exposés d’actualité scientifique, furent 
très suivies et très profitables, la discussion sur les questions 
soulevées par les rapporteurs restant ouverte à tous. Elles 
n’eurent pas seulement pour résultat utile de développer la 
culture médicale de chacun, elles permirent de conserver 
entre les médecins du Corps d’Occupation une liaison cons¬ 
tante et affectueuse ; à se mieux connaître, on s’estime da- 
vantage. 

Les prévisions et le fonctionnement en cas d’opérations 
actives. Les évacuations- — A) La quasi-stabilisation du 
Corps d’Occupation ne devait pas faire oublier, que ses trou¬ 
pes étaient susceptibles de prendre part à des opérations de 
police ou à des opérations de guerre. Le Service de Santé 
dut constituer des formations sanitaires, mises en réserve 
en cas d’opérations actives de campagne. L’état précaire 
des routes, souvent réduites, même dans la banlieue presque 
immédiate de Constantinople, à de mauvais chemins de 
terre, ne permettait pas de compter beaucoup, pour le ma¬ 
tériel comme pour les évacués, sur des moyens de transport 
automobiles ou même toujours sur des moyens hippomobiles, 
du modèle de ceux qui sont utilisés sur nos belles routes 










LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


110 


macadamisées. C’est le type de montagne allégé, modifié 
suivant nos ressources, qui fut adopté pour ces Formations 
qui ne comportaient au début, en principe du moins, qu’une 
Ambulance alpine et une Section de Groupe de Brancardiers 
(réduite par la suite à une 1/2 Section). La composition 
atypique d’ailleurs de ces Formations avait été établie, sui¬ 
vant qu’elles étaient à charger sur des animaux de bât ou 
sur des fourgons du Service de Santé ; le tableau suivant in¬ 
dique le personnel troupe, les moyens de transport et les 
animaux nécessaires à la constitution d une Ambulance et 
d’une Section de Brancardiers Divisionnaires : 


Ambulance (type montagne modifié) 
r Sous-Officiers 


2 

3 

20 


Caporaux. 


Détachement d’infirmier*, 


Infirmiers 


Ordonnances d’Officiers montés : 3(2 Médecins, 1 Officier d Administration.) 


A) L’Ambulance est chargée ( Sous-Officier.... 2 


sur des animaux de bâts. I Brigadier. 3 

(1) v Conducteurs .... 58 

1 


Détachement du 
Train des Équipages 



Groupe de Brancardiers (1 Section type 1910 modifié) 

Sous-Officiers. 

ent d'infirmiers... ] Caporaux. 

( Infirmiers... .. 


2 

3 

30 


Détachement d'infirmiers. 


30 hommes auxiliaire* à prévoir pour renfor¬ 
cer le contingent d’infirmiers et à prélever 
sur les troupes du C. O. F. G. 


Brancardiers 


Ordonnances d’Officiers montés : 4 (2 Médecins, 1 Officier d’Administration 
et 1 Aumônier). 


(1) 31 animaux pour les cantines, ballots, brancards, réservoirs à eau, etc.., 
2 animaux pour la cuisine roulante, 14 animaux pour les cacolets, 4 animaux 
pour les litières, 2 animaux haut le pied. 

(2) 4 fourgon* du S. S. (8 animaux), i fourgon à vivres (2 animaux), 
1 cuisine roulante (2 animaux), 1 attelage haut le pied (2 animaux). 



















I.E SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 11 

t Sous-Officiers... 2 

( A) Le G. B. D. est chargé \ Brigadiera . 3 

Détachement du \ sur animaux de bâts (1). ( Conduc t eurs .... 51 

Train des équipages j B j Le G. B. D. est chargé ( Sous-Officiers... 2 

( sur fourgons (2). ( Conducteurs.... 18 

En réalité, aucune de ces formations n’existait effective¬ 
ment sous cette forme. Le matériel seul était stocké et entre¬ 
tenu dans les magasins de la Réserve de matériel du Service 
de Santé ; les animaux et les voitures prévus étaient à four¬ 
nir, le moment venu, par le Dépôt de Remonte mobile et 
le Parc d’Artillerie, le personnel devait être réuni par prélè¬ 
vement sur la dotation du Corps d’Occupation. Si ces Forma¬ 
tions n’eurent pas l’occasion d’être constituées comme cela 
avait été prévu, le matériel mis sagement en dépôt fut, à 
plusieurs reprises, utilisé pour des opérations décidées a 1 im¬ 
proviste et rendit de grands services (Opérations de police, 
Secteur de Tekataldja, Occupation de la Thrace Orientale). 
Au surplus, des dispositions de même ordre avaient ete prises, 
dans les Corps de troupe, exposés à se déplacer en fonction 
d’événements toujours possibles; il était indispensable qu ils 
fussent assurés de disposer à l’avance d’approvisionnements 
sanitaires de réserve au complet. Or, les approvisionnements, 
composant le matériel normal de réserve des Corps de troupe, 
n’étaient, pas considérés comme tels et servaient pour le 
service courant. Il fallut reconstituer ces approvision¬ 
nements ; plusieurs mois furent nécessaires pour mener 
à bien cette tâche ; dès le mois de septembre 1921, tous 
les corps de troupe étaient dotés de leur materiel règ e- 
mentaire de Réserve, lequel, dûment scellé, était stocké 
dans chaque unité. Les Corps de troupe, appelés en 1922 a 


(1) 25 animaux pour cantines, ballots, réservoirs à eau bnnmnb.etc. 2 

animaux pour la cuisine roulante, 14 animaux pour cacolets, 4 animaux pour 
litières, 2 animaux haut le pied. . . 

(2) 1 voiture médicale (2 animaux), 4 petites voitures de blesses (4 animaux) 

1 fourgon du S. S. (2 animaux), 1 fourgon à vivres (2 animaux), 1 2 ?‘2 

de parc (pour brouettes porte-brancards) (2 animaux), 1 cuisine roulante (2 

animaux), 1 attelage haut le pied (2 animaux). 








112 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

constituer dans un délai très court le Secteur de Tchataldja 
et en 1923 à occuper la Thrace Orientale, partirent pourvus 
de tout le matériel et de tous les médicaments qui leur étaient 
nécessaires. 

B) En effet, de 1921 à 1923, le Corps d’Occupation fut 
appelé à prendre part, en 1921 à une opération de police 
dans la région de Tchataldja, en 1922 à collaborer avec 
les troupes anglaises et italiennes à l’établissement du Sec¬ 
teur d’Hademkeuy-Tchataldja (menace grecque sur Cons¬ 
tantinople), et en 1922-23 à l’Occupation de la Thrace Orien¬ 
tale. L’opération de police, destinée à réprimer des actes de 
rapine et de brigandage dans un pays difficile, fut conduite 
par une colonne de troupes de toutes armes (32° R. T. I., 
66° R. I., détachements de Cavalerie, d’Artillerie, etc...) 
opérant en deux groupements. Chaque groupement eut 
son médecin-chef de service aidé d’infirmiers et de bran¬ 
cardiers, dotés du matériel règlementaire *, il fut mis à la dis¬ 
position de chacun d’eux 2 mulets porteurs de cacolets, 1 
mûlet porteur de litière, 2 mûlets porteurs de médicaments, 
de matériel sanitaire et de brancards, 1 mûlet porteur de 2 
tonnelets de 30 litres d’eau et une araba. Une Infirmerie 
Gite d'Etapes fut constituée à la gare de Tchataldja, sous les 
ordres d’un médecin-major de l re classe, avec mission d’y 
constituer une base d’évacuation pour les troupes en opé¬ 
rations, de retenir les intransportables absolus, les tout petits 
malades et blessés rapidement récupérables, de donner tous 
les soins nécessaires aux blessés en instance d’évacuation 
(sérum antitétanique, etc...), enfin d’assurer dans des con¬ 
ditions satisfaisantes l’acheminement des patients sur le 
Centre hospitalier de Constantinople. Les mesures les plus 
minutieuses d’hygiène étaient prescrites, en vue d’assurer 
la protection de la santé de nos troupes. 

Nous avons dit ailleurs (page 23) comment avait été cons¬ 
titué militairement le Secteur défe?isif de T trace (Hadem- 
keuy-Tchataldja), les unités qui y avaient participé, le 
temps que l’occupation avait duré. Le service de santé fran- 











LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 113 

çais y avait été organisé dans ses grandes lignes de la fa¬ 
çon suivante : Un médecin-major de l re classe (M. M. l re 
classe Cheynel, du cadre colonial) assura les fonctions de 
Chef du service de santé du secteur ; il installa et dirigea à 
Hademkeuy une Infirmerie de Secteur et un Point d’Eva¬ 
cuation, Le service médical des Unités était assuré par 5 
médecins, répartis chacun avec un groupement d’unités 
(Kabakja, Sinekli, Tchataldja, Sayak-Tépé, Mohakeuy, Ha¬ 
demkeuy, Buyuk, Baba-Nanache). Dans chaque Groupe¬ 
ment on avait constitué un Poste de Secours-Infirmerie, 
équipé pour donner les premiers soins aux blessés, assurer 
la visite médicale journalière et conserver les petits indis¬ 
ponibles pour quelques jours ; les autres catégories étaient 
acheminées sur le point d’évacuation d’Hademkeuy ; la 
petite formation sanitaire, qui y fonctionnait, comprenait 
-50 lits et a pu faire face à toutes ses obligations, comme pre¬ 
mier organe de traitement. Bien installée dans de bons lo¬ 
caux, elle était largement dotée de matériel, de médica¬ 
ments et de désinfectants ; elle était chargée d’approvision¬ 
ner, sur bons, les unités en ligne et se ravitaillait elle-même 
à la R. M. S. de Constantinople. Y étaient conservés les 
intransportables absolus, et les petits malades et blessés, 
justiciables d’une prompte récupération ; les autres étaient 
évacués sur le Centre hospitalier de Constantinople. 

Les unités étaient dotées de leur matériel règlementaire 
de réserve, reconstitué l’année précédente ; chaque bataillon 
d’infanterie disposait de deux brouettes porte-brancards 
et d’une petite voiture hippomobile pour blessés. Le point 
d’Evacuation disposait de 2 autos sanitaires (1), de brouet¬ 
tes porte-brancards, d’une réserve de cacolets et de litières 
et de deux wagons sanitaires aménagés, sur l’utilisation 
desquels nous reviendrons. 

Des instructions précises avaient été adressées dès le dé¬ 
but (renouvelées et contrôlées même sur place par le Direc- 


(1) Le Corps d’occupation ne disposait que d’une Section sanitaire 
automobile. 


Dejouany 


8 






114 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


teur) relatives à l’appareillage des fractures, au traite¬ 
ment des garrots, aux injections antitétaniques à pratiquer 
très tôt et au plus tard à Hademkeuy, enfin aux mesures 
spéciales d’hygiène qui s’imposaient en raison de la situation 
épidémiologique de la région, des fatigues supportées, des 
pénibles chaleurs du moment (on était au mois d août), de 
la disette et de la mauvaise qualité des eaux. L’attention 
de tous fut particulièrement attirée sur les points suivants - 

a) Vaccinations et revaccinations à pratiquer au secteur 
contre les fièvres typho-paratyphoïdes, la variole, le choléra. 

b) Javellisation ou ébullition de toute l’eau consommée (1). 

c) Entretien et désinfection des feuillées. 

d) Port obligatoire de la ceinture de flanelle. 

e) Quininisation préventive (0 gr. 20 par jour). 

f) Désinsectisation des hommes. 

La Maison Publique d'Hademkeuy fut autorisée à rester 
ouverte. Tout y fut réglementé, même l’hygiène de l’amour ; 
une cabine prophylactique y fut installée et fonctionna cha¬ 
que jour après 17 heures. Au surplus, les pensionnaires dont 
le nombre avait doublé depuis l’arrivée des troupes en sec¬ 
teur, étaient l’objet d’une surveillance médicale attentive. 
Mais quelle joie pour les Sénégalais et les Tirailleurs !... et 
même pour les nôtres. Cette initiative hardie n’entraîna 
aucun heurt d’aucune sorte. 

Le transport des blessés des points de groupement des 
troupes à Hademkeuy, puis d’Hademkeuy sur Constanti¬ 
nople a été assez difficile à bien réaliser, en raison de l’état 
déplorable de certaines routes, de pistes plutôt, détrempées 
à la moindre pluie. Dès le début, une étude des routes, pistes 
et sentiers utilisables au point de vue particulier des Eva¬ 
cuations, en fonction du mode de transport à utiliser, avait 
été mis rapidement au point pour tout le secteur. L ache¬ 
minement sur Hademkeuy eut lieu soit par le train (Smekli, 
Kabakja, Tchataldja), soit, pour les unités éloignées du 


(1) Deux voitures à javellisation, du type Bourron, furent utilisées à 
la satisfaction des usagers. Une carte des points d’eau avait été établie* 






LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 115 

Tail, par mulets, brouettes porte-brancards, petites voitures 
hippomobiles pour blessés, autos sanitaires. 

Les évacuations d’Hademkeuy sur le Centre hospitalier 
de Constantinople avaient lieu par voie ferrée, soit par le train 
de ravitaillement quotidien pour quelques assis isolés, soit 
par deux wagons sanitaires aménagés, qu’on accrochait à la 
rame. Ces wagons rendirent de précieux services ; ils avaient 
autrefois, dans des conditions assez incertaines, servi au 
transport de blessés, puis avaient été abandonnés sur une 
voie de garage ; ils furent mis en état en 3 jours à Constan¬ 
tinople, grâce à un travail intensif fourni de jour et de nuit, 
par les monteurs de la gare de Sirkedji. Chacun d’eux com¬ 
prenait douze brancards sur 3 étages, bien suspendus grâce 
à des ressorts à boudins perfectionnés ; ils donnèrent toute 
satisfaction. Les évacués étaient enlevés à la gare de Sir¬ 
kedji par des autos sanitaires de la Place de Constantinople 
et répartis dans nos hôpitaux;les wagons libérés reprenaient 
le lendemain matin de bonne heure (ou même dans la nuit) 
le chemin d’Hademkeuv, 

Le séjour en Thrace Orientale (1922-1923) de nos troupes 
n’avait pour objet qu’une occupation pacifique, ne compor¬ 
tant aucune action de guerre. On s’inspira, pour l’organisa¬ 
tion du Service, des errements suivis dans les secteurs mé¬ 
dicaux. Des Infirmeries de Cantonnement , destinées à recevoir 
et à traiter sur place les malades et blessés non justiciables 
d’une évacuation, furent aménagées : les ressources locales 
permirent en général de leur donner une certaine étendue, 
et de réduire ainsi les évacuations sur Constantinople aux 
cas indispensables. A Àndrinople, on put organiser une for¬ 
mation de base dans un Etablissement hospitalier local. 
Partout ailleurs à Lulé-Burgas, à Kirk-Kilissé, à Hademkeuy, 
les évacués furent acheminés sur Constantinople à l’aide 
des deux wagons sanitaires, dont il a été question plus haut ; 
ces wagons furent poussés, l’un jusqu’à Andrinople, l’autre 
jusqu’à Kirk-Kilissé ; ils étaient accrochés, soit au train 
journalier dit « Conventionnel », dont les arrêts fréquents 



116 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

permettaient un « ramassage » pratique, soit à 1 Orient- 
Express ; la durée du trajet Andrinople-Constantinople 
était de 14 heures avec le «Conventionnel», et de 9 heures 
avec « l’Orient-Express ». Ce voyage était donc long et fati¬ 
gant et la rotation des wagons demandait deux jours. Fort 
heureusement ces évacuations restèrent peu fréquentes, 
l’état sanitaire de nos troupes en Thrace orientale s’étant 
montré excellent. Des autos sanitaires furent détachées à 
Andrinople, à Lulé-Burgas; mais en raison de l’état des 
routes, elles ne furent utilisées que pour les besoins des 
cantonnements ou dans leurs environs immédiats ; elles 
purent, dans certains cas, assurer les transports jusqu’à la 
voie ferrée. 

L’action hygiénique et prophylactique. Les mesures 
d’hygiène et de prophylaxie, qui s’imposent d’elles-mêmes 
au chef qui a la responsabilité de la santé d une troupe, pre¬ 
naient au Corps d’occupation de Constantinople une impor¬ 
tance de premier plan, du fait des conditions climatiques, 
de l’extrême vulnérabilité de la capitale, exposée à tous les 
contages, de la situation épidémiologique toujours troublée 
du bassin oriental de la Méditerranée. La fièvre typhoïde, 
la variole, le typhus exanthématique sont endémiques à 
Constantinople et en beaucoup de points de la Turquie d’Eu¬ 
rope ; la peste et le choléra ont fait pendant notre occupa¬ 
tion une apparition impressionnante dans la capitale et il 
a fallu toute l’énergie des Services de santé alliés, dont 
nous avons déjà au chapitre précédent exposé le rôle, 
pour la préserver d’épidémies redoutables. Il importait 
donc que toutes dispositions fussent prises pour protéger 
nos troupes ; cette tâche, complexe quand on est si loin de 
la Métropole, fut poursuivie avec une opiniâtreté têtue, 
jamais lassée, et avec une rigueur que justifiait la gravité 
du problème. Entre toutes, deux questions sollicitèrent jus¬ 
qu’au bout et sans défaillance l’autorité du Directeur du 
Service de santé et du Commandement, si attentif à tout cc 
qui touchait l’hygiène et la santé de ses hommes ; nous vou- 








LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 117 

Ions parler de la pratique réglée des vaccinations et des re¬ 
vaccinations, et de la stérilisation des eaux de boisson. 

A) Théoriquement, tout militaire envoyé au Corps d’oc¬ 
cupation de Constantinople devait, avant de quitter la 
France ou l’Afrique du Nord, avoir été vacciné ou revacciné 
contre les fièvres typho-paratyphoïdes et la variole ; des 
instructions spéciales prescrivaient, si nécessaire, l’inocula¬ 
tion contre la peste et le choléra. En réalité, cette quadruple 
vaccination fut pratiquée presque constamment, au départ 
ou à l’arrivée, sur la presque totalité de l’effectif du Corps. 
Mais de la théorie à la pratique il y a loin. Malgré les ins¬ 
tructions sans cesse renouvelées et si sages cependant du 
Ministre, les Centres de groupement ne pratiquaient pas 
ces vaccinations complètement et surtout négligeaient 
les écritures indispensables, c’est-à-dire 1 inscription, bien 
faite et signée du médecin, des résultats des opérations pra¬ 
tiquées, inscriptions qui devaient être portées à la fois sur 
le livret individuel et sur le livret médical de l’homme. Du¬ 
rant des mois, on dût lutter âprement pour obtenir des 
Centres de groupement ces renseignements, et des Corps 
d’origine les livrets médicaux, si précieux à divers titres ; 
malgré les notes du Directeur, malgré les instructions cepen¬ 
dant impératives du Général commandant, il faut avouer 
que l’on ne put obtenir entièrement satisfaction. Il en résul¬ 
tait cette conséquence grave, qu’à leur arrivée en Orient, 
des hommes ne pouvaient administrer la preuve des vacci¬ 
nations qu’ils prétendaient avoir subies ; certains étaient 
sincères, d’autres espéraient esquiver une opération redou¬ 
tée, on ne sait pourquoi, de trop de militaires encore. Dans 
le doute et en raison des dangers courus, tous les nouveaux 
arrivants, qui n’étaient pas en règle, recevaient les vaccina¬ 
tions prescrites pour tous et quelques-uns pour la seconde 
fois. 

Le contrôle des vaccinations fut poussé très loin. Il fut 
établi dans chaque unité un registre spécial dit des « Vacci¬ 
nations et des Revaccinations », sur lequel furent mentionnés, 
par sous-unité (compagnies, batteries, etc...) et par lettre 









H8 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

alphabétique, tous les militaires faisant partie de cette 
unité ; en face de chaque nom, dans des colonnes appro¬ 
priées (une par catégorie de vaccination), étaient inscrites 
(avec la date) toutes les opérations subies par l’homme. Ce 
registre était tenu rigoureusement à jour ; en cas de muta¬ 
tion (hospitalisation, changement de corps de troupe ou de 
service, etc...) des mesures de détail étaient prévues, pour que 
l’homme muté n’échappât point à son sort ; une fiche le 
concernant le suivait où il allait. Dans ces conditions d’ordre 
et de méthode, il devenait facile pour le médecin chargé du 
service médical de ne pas perdre de vue les opérations à pra¬ 
tiquer dans son unité, de suivre les vaccinations qui avaient 
été différées pour des motifs divers, et d’établir plusieurs 
fois par an les relevés des hommes ayant à subir une revac¬ 
cination d’entretien. 

Le médecin divisionnaire, médecin-chef du Centre hos¬ 
pitalier de Constantinople, vérifiait lui-même les registres, 
dont on lui adressait des copies ; quelques médecins, qui 
s’étaient intéressés à cette besogne ardue mais indispen¬ 
sable (médecins-majors Demerliac, Cros, etc...), avaient créé 
un système ingénieux de fiches mobiles, qui assurait la 
contre-partie de leur registre. Le Directeur ne se contenta 
pas seulement de donner, et à de multiples reprises, ses 
ordres par écrit et sous toutes les formes, même par la 
voie du Commandement ; il n’hésita pas à aller lui-même 
exercer, personnellement sur place, son action de contrôle. 
Soutenus par leur chef technique et par le Général com¬ 
mandant, les médecins des corps de troupe mirent leur 
amour-propre à accomplir avec conscience leur tâche ingrate, 
non sans heurts inévitables, c’est certain, avec quelques 
commandants d’unités, peut-être mal avertis de l’impor¬ 
tance capitale des mesures, si jalousement imposées. 

B) Les eaux d’alimentation des villes ou bourgades de la 
Turquie d’Europe et principalement celles de la région de 
Constantinople, étaient, nous l’avons vu, plus que suspectes, 
souvent fort dangereuses. Leur consommation ne fut auto¬ 
risée qu’après stérilisation préalable par l’ébullition (thé, 









119 


LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D OCCUPATION 

café) ou par javellisation ; mais que de difficultés d’applica¬ 
tion 1 II a fallu au Service de santé, très aidé par le Comman¬ 
dement, toute sa foi pour ne pas se laisser décourager par 
les négligences, cependant fortement sanctionnées ; malgré 
les difficultés, la javellisation fut installée partout ; en cer¬ 
tains points favorables (médecin-major Bahier), on réalisa 
même la javellisation automatique , qui a le double avantage 
de supprimer tonneaux et récipients suspects, et d avoir 
raison de la résistance des hommes, qui, répugnant à se servir 
d’une eau « médicamentée », la boivent ainsi sans le 
savoir et sans y songer. Il est hors de doute que la javelli¬ 
sation est, de tous les procédés d’épuration des eaux 
d’alimentation, le plus efficace et le plus simple dans une 
collectivité militaire ; mais elle peut constituer, si elle est 
mal faite, un danger redoutable, ainsi que nous l’ont montré 
certaines analyses d’eau javellisée pratiquées au Laboratoire 
de Gul-Hané, eau qui contenait de très nombreux coli¬ 
bacilles. Là, aucune faute ne peut être autorisée ; il faut une 
bonne organisation, une surveillance attentive, un contiôle 
incessant; il faut que le Général commandant impose, sous 
sa signature, aux chefs militaires sous ses ordres Vapplication 
stricte des prescriptions techniques , et ces prescriptions sont 
les suivantes : la javellisation doit être pratiquée avec un 
extrait de Javel concentré rigoureusement titré ; les réci¬ 
pients (tonneaux ou cuves en ciment) doivent être d’une 
propreté absolue, munis de robinet et fermés par le haut 
hermétiquement, vidés complètement tous les jours et stén 
lisés chaque semaine avec une solution plus concentrée 
d’eau de Javel ; les tonneaux doivent être nettoyés a a 
chaîne flottante ; ils doivent être bien placés à 1 abri c u 
soleil, de la pluie et de la poussière. Ce n’est qu’en réglant, 
minutieusement les détails d’installation et les conditions 
d’entretien, ce n’est qu’en exerçant une surveillance de 
tous les instants, qu’un chef peut honnêtement imposer à une 

troupe celte excellente méthode. 

C) Malgré leur importance, la pratique des vaccinations 
et des revaccinations et l’épuration des eaux potables ne* 









120 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

furent pas les seules questions d’hygiène, à la solution des¬ 
quelles s’attacha le Chef du Service de santé. Des instruc¬ 
tions techniques précises et renouvelées, appuyées de direc¬ 
tives et de conseils donnés sur place, indiquèrent à tous les 
médecins les mesures les plus propres à garantir la santé de 
nos troupes, mesures relatives à la propreté individuelle, à 
la qualité de l’alimentation et des boissons, à la tenue des 
casernements, des cuisines, des W.-C. (grave problème en 
Turquie), à l’éloignement des eaux usées et des ordures 
ménagères (des fours incinérateurs furent construits un peu 
partout), à l’hygiène des cours, des locaux disciplinaires et 
des postes de police, si souvent oubliés, à la lutte contre les 
parasites, les insectes, les maladies vénériennes, l’alcoo¬ 
lisme. Les instructions techniques étaient transmises, sui¬ 
vant le cas et suivant le but poursuivi, soit sous le timbre 
de la Direction du Service de santé, soit sous forme de para¬ 
graphes incorporés à l’Ordre général (2 e partie) ; cette der¬ 
nière procédure avait l’avantage de s’imposer de façon 
directe à l’attention des chefs d’unités ou de services, en 
raison de l’autorité qui s’attachait au signataire : le Général 
commandant. 

Il ne suffisait pas de prêcher la bonne parole aux chefs 
responsables, commandants d’unités ou médecins ; il parut 
profitable de s’adresser aux hommes eux-mêmes, en répan¬ 
dant partout dans les quartiers, casernes et foyers, des 
affiches de propagande hygiénique, et en distribuant dans 
les rangs des tracts de même caractère ; à titre documen¬ 
taire, voici la copie de l’un d’eux, distribué au commence¬ 
ment de l’été. 

CORPS D’OCCUPATION DE CONSTANTINOPLE 

SERVICE DE SANTÉ 

N° 2.398/T. 

CONSEILS AUX HOMMES 

Surveillez votre hygiène , surtout pendant la saison chaude 
ti vous conserverez une bonne santé. 













LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS d’oCCUPATION 121 
Propreté du corps. 

Soyez soigneux de vous-même et veillez à la propreté de 
votre corps (bains, douches, pris fréquemment). 

Débarrassez-vous des poux dès qu’ils apparaissent ; re¬ 
passez les coutures et faites désinfecter vos vêtements ; 
changez de linge ; demandez à votre médecin des médica¬ 
ments pour les détruire. 

Lavez-vous la bouche ; lavez-vous les mains, surtout 
avant les repas et après les visites aux latrines. 

Ayez toujours vos vêtements et vos chaussures propres ; 
vous éviterez ainsi de transporter, dans les casernements, 
germes et microbes. 

Portez votre ceinture de flanelle, surtout la nuit. 

Aliments. 

Protégez votre viande, votre pain contre les poussières, 
contre les mouches qui souillent les aliments. 

Ne mangez que des fruits mûrs et sans exagération. Peu 
de crudités (racines, salades) ; ne les consommez qu’apres 
les avoir nettoyées soigneusement. 

Méfiez-vous de la charcuterie. 

Boissons. 

L’alcool ruine la santé, il ne faut pas en boire. 

Le vin, la bière peuvent être consommés, mais en quantité 
raisonnable. 

Ne buvez que de Veau javellisée ou bouillie (café-thé): vous 
éviterez ainsi la fièvre typhoïde, le choléra et les maladies de 
l’intestin fréquentes dans ce pays, car ces maladies se pro¬ 
pagent surtout par l’eau de boisson. 

Si vous souffrez de diarrhée, même légère, n’hésitez pas 
à aller de suite consulter le médecin. 

Propreté du casernement. 

Faites une chasse impitoyable aux ordures, aux flaques 





122 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

d’eau, aux débris de végétaux, papiers souillés, que vous 
verrez dans les cours du cantonnement ou du casernement. 

Toutes les ordures et tous les immondices doivent être 
recueillis, chaque jour, dans des poubelles fermées pour être 
enfouis ou incinérés. 

Nettoyez tous les jours les locaux que vous habitez au 
faubert humide. 

Entretenez soigneusement la propreté de votre literie 
et détruisez chaque jour les punaises au moyen de pétrole, du 
formol ou de la poudre de pyrèthre. 

Les latrines sales et non désinfectées peuvent être la 
source d’épidémies redoutables ; que personne de vous ne 
considère comme inutile de veiller à l entretien de leur pro 
prêté constante, et à leur désinfection journalière. 

Protégez-vous des moustiques, qui donnent la fièvre palu¬ 
déenne, par des moustiquaires bien placées et toujours en 
état. 


Dans le même ordre d’idées, il fut décidé que la dictée, 
imposée à l’arrivée aux hommes de renfort, ne traiterait 
plus un sujet banal, mais comporterait une série de conseils 
hygiéniques, susceptibles de prémunir les nouveaux arrivés 
contre les dangers, qui menaçaient leur santé dans la vieille 
capitale. Ce sont là, dira-t-on, petits moyens ; nous sommes 
de ceux qui pensent que le prosélytisme ne doit pas les 
mépriser. L’activité constante et soutenue du Chef du 
Service de Santé, dans ce domaine hygiénique, est chose 
féconde pour une collectivité militaire, s il sait faire com¬ 
prendre, aux Chefs comme aux subordonnés, l’utilité des 
mesures qu’il propose ou qu’il prescrit, s il sait communiquei 
à tous son enthousiasme et sa foi sincère. 













CHAPITRE V 


La Morbidité et la mortalité do Corps d’occupation. 
L’État-civil 


La morbidité de nos troupes, pendant les trois années de 
leur séjour sur le territoire ottoman, tire ses principaux 
caractères de l’influence associée de facteurs dont nous 
avons parlé plus baut i les conditions climatiques, le nn- 
lieu, les apports épidémiques. 

Nous nous sommes assez étendus déjà sur le facteur milieu 
/chap. II), et sur l’histoire épidémiologique du Proche-Orient 
pendant ces trois années (chapitre III), pour qu il soit 
opportun d’y revenir ici. 

Le climat, avons-nous dit, est froid et pluvieux l’hiver, 
pluvieux et encore humide au printemps, chaud 1 été a\ec 
des nuits fraîches, doux l’automne. Il est sujet en tout 
temps, au cours d’une même saison ou d’une même journée, 
à des variations brusques et inattendues, auxquelles 1 orga¬ 
nisme humain est des plus sensibles. Il n’est donc point 
étonnant que les affections des voies respiratoires, les mala¬ 
dies a frigore , soient, contrairement à ce que beaucoup de 
gens pensent, particulièrement fréquentes en Turquie. 
Aussi les angines, les trachéo-bronchites, les bronchites et 
les atteintes plus graves de l’appareil respiratoire, ont-elles 
été observées en grand nombre parmi nos troupes, à partir 
du mois de décembre et jusqu’au mois de mars et d avril, 
époque à laquelle apparaissait le rhumatisme articulaire. 
De même, à la faveur des chaleurs, ce sont les affections 







► •• 


I 


124 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


§ Wi 




gastro-intestinales, inséparables habituellement de la saison 
estivale, qui se sont montrées avec une fréquence marquée. 
Les coliques, la diarrhée, les embarras gastriques simples et 
fébriles, les entérites, les troubles dyspeptiques les plus 
divers, étaient très répandus en juin, juillet et août dans nos 
infirmeries et dans nos formations sanitaires ; ils Tétaient 
dans la population civile où la pullulation des germes, des 
parasites de toutes sortes et des insectes, en rapport avec 
les défectuosités hygiéniques et avec les souillures, offraient 
un terrain favorable à leur développement. 

A la base donc de la morbidité générale de nos troupes 
nous trouvons, comme dans les garnisons de la Métropole, 
mais ayant présenté à certaines époques, en fonction du 
milieu, une plus grande fréquence et peut-être un caractère 
plus sévère, les affections des voies respiratoires et les affec¬ 
tions gastro-intestinales. Bien que les premières se soient 
manifestées plus spécialement en hiver et au printemps, on 
les a constatées également aux autres périodes de Tannée. 
C’est là une particularité qu’il importe de souligner. Le 
nombre des malades qui ont été traités dans les hôpitaux en 
plein mois de juillet pour angine, bronchite, congestion pul¬ 
monaire et pour rhumatisme articulaire aigu, est anormale¬ 
ment élevé, quoique assurément inférieur au nombre de 
malades de ces catégories pendant la mauvaise saison. Il est en 
rapport avec les écarts brusques de température de la saison 
estivale. Ces affections a frigore de la période d’été provo¬ 
quaient des atteintes dans toutes les unités, sans distinction 
de catégories de militaires. Les soldats de couleur étaient 
cependant frappés davantage. Ils sont très sensibles aux 
refroidissements (1), auxquels, par ailleurs, ils s’exposent sou- 


(1) La fréquence et la gravité des affections des voies respiratoires, 
dans les contingents noirs, sont mises en lumière par les chiffres suivants : 
en 1921, le Corps d’Occupation comprenait (moyenne annuelle) 1.368 Sé¬ 
négalais du 12 e R. T. S. ; le nombre de décès relevés dans le Service de 
Médecine Générale et des Contagieux de l’Hôpital de Gul-Hané fut de 25; 
sur ces 25 hommes décédés, 13 étaient des Sénégalais, et leur mort avait 
été uniquement déterminée par des affections des voies respiratoires. Au 
mois de mars 1922, il y eut une recrudescence marquée d’affections 









MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’oCCUPATION 125 


■vent avec la plus grande insouciance et la plus déconcertanta 
naïveté. Que de fois en a-t-on vu se déshabiller complète¬ 
ment pour se mettre au frais, et rester ainsi exposés au cou¬ 
rant d’air, parfois très vif, qui souffle du couloir du Bos¬ 
phore. Ce courant d’air, qui rafraîchit si agréablement Stam¬ 
boul les soirs d’été, après de dures journées, était aussi 
redoutable aux baigneurs qui musardaient dévêtus sur la 
plage, qu’aux dormeurs imprudents, insuffisamment cou¬ 
verts pour la nuit. 

La morbidité générale a varié dans des proportions assez 
notables au cours des trois années étudiées. Les années 1920, 
1921 et 1922 ont été extrêmement favorables, et l’état sani¬ 
taire s’est maintenu splendide, malgré tant d’appréhensions 
si légitimes ; l’année 1923 s’est traduite au contraire, ainsi 
qu’il sera dit à la fin de ce chapitre, par un accroissement 
marqué et inquiétant du taux de la morbidité et de la mor¬ 
talité, en raison de l’apparition d’une épidémie concomi¬ 
tante de grippe, d’oreillons et de rougeole. A titre documen¬ 
taire, voici quelques chiffres, puisés dans la seule statistique 
établie, celle du 1 er octobre 1921 au 30 septembre 1922, et 
qui expriment, pour certaines maladies et pour 1.000 hommes 
d’effectif, la morbidité hospitalière du Corps d’occupation 
pendant cette période. 

Pendant la même période de 12 mois, d’ailleurs très favo¬ 
rable, il y a eu au total 1.351 entrées dans les hôpitaux, sans 
compter la marine, soit une morbidité hospitalière de 164 
pour 1.000 hommes d’effectif. En 1913, cette morbidité a 
été de 189 en France pour l’intérieur et de 257 pour l’Algérie- 
Tunisie. 


pleuro-pulmonaires dans le Corps d’Occupation Français ; le Service de 
Médecine Générale de l’Hôpital de Base enregistra alors, pendant ce 
même mois, 127 entrées, dont 61 pour des Sénégalais. . 

Par ailleurs, d’une statistique, établie d’après les registres du Service 
Chirurgical de l’Hôpital deGul-Hané, portant sur un nombre détermine 
de Français, d’Annamites, d’indigènes de l’Afrique du Nord et de Séné¬ 
galais, hospitalisés dans ce service du 24 octobre 1919 au lo avril 1922, 
fl ressort que la proportion de tuberculeux chirurgicaux a été, pour 100 
hospitalisés de chaque race : de 4,5 pour les Français, de 6,9 pour les 
Indo-Chinois, de 9,2 pour les Indigènes de 1 Afrique du Nord et de 17,7 
pour les Contingents Noirs (Sénégalais). 




126 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


MORBIDITÉ HOSPITALIÈRE 

(1er Octobre 1921-30 Septembre 1922) 


maladies 

NOMBRE 

d’intrées 
dans les 
Hôpitaux 

NOMBRE 

DH cas 
pour 1000 
hommes 
d’effectif 

Rougeole. . . t .. . . 

14 

1,7 

1,09 

0,24 

2,07 

6,21 

Scarlatine .. f t . .. 

9 


2 

Grippe..... . • i >••••••<><•••• • • 

17 

Oreillons ............ .. 

51 

Diphtérie ..,.. 

14 

1,7 

0,6 

1,09 

1,21 

0,36 

3,16 

4,62 

2,68 

0,24 

1,82 

0,72 

3,65 

11,68 

3,80 

10,35 

3,10 

23,14 

11,08 

4,26 

4,62 

Fièvre paratyphoïde 

5 

Fièvre typhoïde t *.. 

9 

Typhus exanthématique 

10 

1 Dysenterie bacillaire. .. ... 

3 

Dysenterie amibienne.... 

26 

( Ire invasion... 

38 

Paludisme < . 

/ 2 m ® mvaBion... 

22 

Lèpre.... • ... 

2 

Filariose.......... 

15 

Morsures par animaux Buspects de rage , . .. 

6 

Rhumatisme articulaire aigu. .... 

30 

Angine aiguë ..... 

96 

Embarras gastrique simple et fébrile ............. 

32 

Diarrhée fit entérite aiguës . .. ,... 

85 

Ictère catarrhal 

26 

Trachéite et bronchite aiguës.. .,.. 

190 

Pneumonie et congestion pulmonaire, .,. r . . 

91 

Pleurésie sèchfi fit séro fibrineuse.. 

35 

Tuberculose pulmonaire et pleurale. 

38 




Examinons maintenant quelle a été la part, dans cette 
morbidité, des affections contagieuses à caractère épidé¬ 
mique (1). 


(1) II y a intérêt à rapprocher les chiffres de morbidité, indiqués dans 
ce chapitre, des chiffres d’effectifs mensuels inscrits sur les tableaux du 
chapitre VI. 






































morbidité et mortalité du corps d’occupation 127 

La Fièvre de trois iours. — Malgré sa bénignité, la fièvre 
de trois jours, la dengue pour certains, occupe par le nombre 
de ses atteintes la première place parmi ces affections. L’un 
de nous a résumé ailleurs (1), de la façon suivante, les obser¬ 
vations faites à son sujet par les médecins du Corps d’Occu- 
pation de Constantinople : 

« La maladie règne, dans ces régions du Proche-Orient 
(Constantinople et Dardanelles), du commencement de juin 
à la fin août environ, avec maximum net en juillet. Les at¬ 
teintes sont nombreuses : elles intéressent, suivant les points, 
20 à 90 % de l’effectif ; la 5 e Compagnie du 66° R. I., à Stam¬ 
boul, par exemple, a en six semaines, pendant l’été 1922, 
129 hommes touchés sur 150 comptant à l’unité. Les indi¬ 
gènes de l’Afrique du Nord sont frappés dans les mêmes con¬ 
ditions que les Européens : il n’y a pas d’immunité de race. 
Y a-t-il même une immunité réelle conférée par la mala¬ 
die ? C’est peu probable, si l’on en juge par les rechutes, 
à échéance éloignée, qui ressemblent fort à des réinfections, 
et par ce fait constaté à Kilid-Bahr, par exemple, que des 
hommes, ayant eu la fièvre de trois jours en 1921, l’avaient 
eue à nouveau en 1922 (Méd. Maj. Roche). 

La maladie apparaît généralement avec les moustiques, 
et en particulier avec les phlébotomes , que tous les médecins 
du Corps d’occupation, sans exception, accusent formelle¬ 
ment d’être l’agent propagateur du contage. À Kilid-Bahr, 
où une grosse épidémie fut parfaitement observée en 1922, 
par M. le Médecin-Major de 2 e classe Guillermin, les offi¬ 
ciers qui logeaient au centre du village, à peu près exempt 
de phlébotomes, ne furent pas atteints, pas plus d’ailleurs que 
les marins du chalutier « Coquelicot », qui faisait l’arraison¬ 
nement à Tchanak et qui n’avait pas de phlébotomes à bord. 
En revanche, à l’infirmerie de Kilid-Bahr, où pullulaient ces 
insectes, tous les occupants, infirmiers et malades, furent 
touchés. Le phlébotome est un. petit diptère de 2 à 3 milli- 


(1) Dejouany. — Bulletin de la Société des Médecine militaire française , 
n 09 3 et 4 (mars 1925). 




128 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


mètres, de forme plus trapue que le moustique courant et 
dont les ailes sont relativement plus larges ; il habite les 
broussailles desséchées par le soleil, les pierres des murs, les 
maçonneries délabrées et les maisons isolées dans la campagne ; 
il est plus rare au centre des villages. « Dans ces habi¬ 
tations, dit M. Guillermin, il se tient, le jour, dans les angles 
supérieurs des pièces, dans les placards et tous les recoins; 
le soir, il descend en se déplaçant d'une façon caractéristique , 
volant à courte distance, au ras du mur, en décrivant de 
petits arcs de cercle de 15 centimètres environ de longueur, 
dont la concavité est toujours dirigée en haut, orientés dans 
un sens presque horizontal, légèrement obliques, comme le 



montre le schéma encontre ; il vole sans bruit et pique sans 
avertissement. Sa piqûre est prurigineuse et siège princi¬ 
palement aux endroits habituellement découverts (face, poi¬ 
gnets, avant-bras) ; il ne semble pas capable de piquer 
comme le moustique, à travers un drap ou un vêtement, 
même léger. », 

Le phlébotome est sans doute un réservoir de virus, d’un 
virus filtrant, si j’en crois l’opinion du Médecin-Major 
Robert, chef du laboratoire du Gul-Hané ; mais quel est 
l’agent infectieux ? 

La durée de l’incubation n’a pu être déterminée : cer¬ 
tains la fixent arbitrairement entre deux et sept jours, sans 
preuves à l’appui, 

La symptomatologie de la fièvre de trois jours a été par¬ 
faitement décrite ici par nos camarades : début foudroyant 
avec température de 39°, 40°, 41° et même 41° 8 (Guiller- 







MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 129 


min) ; céphalée frontale intense, avec globes oculaires dou¬ 
loureux, rachialgie aiguë, violente, courbature généralisée : 
l’homme est littéralement terrassé. La congestion de la face 
et du cou, des conjonctives est constante. Le pouls est en 
rapport avec la température, sans cependant dépasser 100 : 
il est quelquefois singulièrement ralenti, 60 et même 50 
pulsations avec 39° de fièvre (Méd. Maj. Durieu). Les phéno¬ 
mènes gastro-intestinaux sont inconstants et variables dans 
leur forme; langue sale, saburrale, même rôtie au début, 
mais cédant comme par enchantement ; vomissements ali¬ 
mentaires ou porracés, douleurs vives épigastriques. 

Quelquefois apparaît une éruption du type morbilleux 
ou urticarien, généralement très prurigineuse ; on a signalé 
(Méd. Maj. Maniel) des troubles nerveux, des réveils d’affec¬ 
tions éteintes ou en sommeil (un médecin a vu reparaître chez 
lui une otite suppurée, refroidie depuis dix ans). Lefoie,lesreins, 
la rate, l’appareil respiratoire sont généralement indemnes. 

L’affection est de courte durée : la température redevient 
normale en trois ou quatre jours ; sa chute régulière ne se 
fait pas en lysis comme dans la fièvre typhoïde ; la courbe 
est un clocher sans clochetons (Méd. Maj. Le Lyonnais). 

La convalescence suit, souvent longue et pénible, traînante ; 
elle peut durer de quinze à vingt jours et elle s’accompagne 
d’un degré très marqué d’asthénie tenace. Cette forme de 
convalescence, si peu en rapport avec la courte durée de la 
maladie, un vrai feu de paille, est caractéristique de cette 
« fièvre de trois jours ». 

Les rechutes ne sont pas rares ; certains l’ont observé 
dans 20, 30 et même 50 % des cas, dix à douze jours après la 
première atteinte (Guillermin et Garrigues), trois à quatre 
semaines (Robert). 

Le traitement est purement symptomatique : des pur¬ 
gatifs, des antithermiques à la période d’état ; puis, pendant 
la convalescence, de l’arsenic, du quinquina, delà strychnine. 

La prophylaxie vise d’abord la destruction du phlébo- 
tome, jusque dans ses repaires ; il ne résiste ni au formol, 
ni au crésyl ; le lavage des parois intérieures des habita- 

Q 

Dejouany 



/ 




130 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

tions avec une solution crésylée à 3 % est efficace. Enfin, 
malgré tout ce qu’on a dit et même écrit, on peut se proté¬ 
ger de l’insecte, au lit, en se servant d’une moustiquaire à 
mailles un peu plus serrées que celles des moustiquaires 
officielles, et cela sans gêne respiratoire véritable : la ven¬ 
tilation est suffisamment assurée. 

La fièvre des trois jours est-elle la dengue , ou bien une affec- 
rion différente ? Les signes sur lesquels on a voulu s’appuyer 
pour les séparer sont bien légers, et toute discussion sur ce 
point, tant qu’on ne connaîtra pas l’agent infectieux, me 
paraît ne devoir rester qu’une discussion byzantine : le 
mot est d’occasion. Sans trop m’avancer, je crois pouvoir 
affirmer que la plupart des confrères, qui ont vécu en Orient, 
partagent l’opinion que la dengue et la fièvre des trois jours 
ne sont qu’une seule et même maladie. 

Quoi qu’il en soit, c’est une affection bénigne, puisqu’il 
n’y a pas 10 0 /O de malades hospitalisés et que, sur plusieurs 
milliers de cas observés au Corps d’occupation de Constan¬ 
tinople, en 1921 et 1922, il n’y a eu aucun décès. Elle offre 
cependant son intérêt ; les jeunes médecins, appelés à servir 
dans le bassin oriental de la Méditerranée, doivent la bien 
connaître, d’abord pour ne pas la confondre, au début du 
moins, avec d’autres infections de grande gravité, et aussi 
parce que la massivité des atteintes disloquant les unités, 
il leur appartient de documenter et de rassurer le Commande¬ 
ment, toujours inquiet, quand il s’agit de fonte des effectifs ». 

La Dysenterie. — La dysenterie amibienne est peut-être, de 
toutes les maladies contagieuses, celle qui s’est montrée avec 
le plus de constance. Rares sont les mois, où l’on ne retrouve 
pas trace de ses atteintes. Cela n’est pas pour nous 
étonner, si nous nous rappelons les défectuosités du milieu 
civil dans lequel étaient placés nos soldats, et les risques de 
contamination auxquels ils étaient exposés en dehors des 
cantonnements, dans les restaurants, dans les cafés, chez 
les marchands de fruits, de crudités, de limonade. Ce qui est 
surprenant même, c’est que l’on ne relève en trois ans 



MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS p’oÇCUPATION 131 

que 176 cas de dysenterie amibienne. Une vingtaine de 
çes derniers se rapportent à l’automne 1922, à la période 
des déplacements de troupes qui, après la menace Grecque 
sur Constantinople, assurèrent les relèves du secteur 
d’Hademkeuy-Tchataldja. Les Unités, venues en ren¬ 
fort de l’Armée du Levant, furent plus particulièrement in¬ 
téressées ; elles comptaient déjà dans leurs rangs des sujets, 
ayant eu de l’amibiase en Syrie ; ceux-ci apportèrent 
des kystes amibiens, qui provoquèrent vraisemblablement 
la poussée, constatée à ce moment-là, et d’ailleurs vite 
jugulée. Mais pendant l’été 1923, l’affection prit une allure 
franchement épidémique, se traduisant par 104 cas, dont 
17 en juin, 66 en juillet, 13 en août, 8 pendant la première 
quinzaine de septembre. Parallèlement à cette épidémie, se 
manifestèrent un grand nombre d’affections des voies diges¬ 
tives, des entérites dysentériformes, des embarras gastriques. 
Les diarrhées glaireuses et rosées, non amibiasiques, furent 
assez fréquemment observées. Elles sont au surplus de consta¬ 
tation presque courante dans le milieu civil. Le micros¬ 
cope décela cependant assez souvent la présence d’amibes 
dans les selles de malades, chez lesquels le syndrome dysen¬ 
térique était à peine ébauché, ou bien même était absent. 

Le traitement des malades atteints d’amibiase fut conduit 
suivant la méthode de Ravaut : émétine, novarsénobenzol. 
U donna des résultats tout à fait rapides et favorables. Le 
stovarsol, essayé par l’un d’entre nous, après l’épidémie, sur 
lui-même et sur deux dysentériques chez lesquels la thé¬ 
rapeutique par l’émétine et le novarsénobenzol n’avait eu 
qu’une action imparfaite, s’est montré en très peu de jours 
d’une efficacité absolument remarquable. Il semble que Ton 
ait en ce produit un agent de tout premier ordre, qu’il serait 
intéressant d’expérimenter sur un grand nombre de malades, 
La dysenterie bacillaire n’a occasionné, à l’inverse de l’ami¬ 
bienne, qu’un très petit nombre d’atteintes, sept en 3 ans; 
quatre d’entre elles étaient dues au bacille de Shiga et ont été 
heureusement influencées par la sérothérapie spécifique- 
trois étaient dues au bacille de Flexner ou de Hiss, 






132 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

La mortalité s’est traduite par 2 décès, tous les deux sur¬ 
venus pendant la grosse épidémie de juillet 1923 ; 1 un chez 
un Sénégalais, à la suite d’une dysenterie amibienne à type 
extrêmement grave ; l’autre, constaté chez un soldat Métro¬ 
politain, a été consécutif à une association de dysenterie 
‘ bacillaire et de dysenterie amibienne. 

Le paludisme. — A Constantinople et ses abords, aux 
Dardanelles et dans la plus grande partie de la Thrace Orien¬ 
tale, l’index endémique est très faible. De plus, si les mous¬ 
tiques, genre Culex, y pullulent, les Anophèles en revanche 
y sont peu nombreux. Ces conditions ne pouvaient donc 
faire redouter une morbidité élevée par l’infection palu¬ 
déenne. Aussi, dès le début de l’occupation de ces régions 
par les contingents de l’Armée d’Orient, aucun cas de palu¬ 
disme primaire n’y a été constaté, et la pratique de la quinini¬ 
sation préventive y a été jugée inutile. Au cours de l’été 1920, 
des atteintes de paludisme de première invasion donnèrent 
l’alarme. L’augmentation et la dissémination des réservoirs 
de virus, représentés par les anciens paludéens existants 
dans les régiments d’indigènes Nord-Africains ou de Séné¬ 
galais, imposa, par précaution, la quininisation préventive et 
l’usage de la moustiquaire aux troupes stationnées dans 
les localités situées à l’ouest de Constantinople, Zeitin- 
Bournou, Makrikeuy, San Stéfano, ainsi que dans la pres¬ 
qu’île de Gallipoli et à Hademkeuy-Tchataldja. Ces mesures 
de préservation furent ordonnées à nouveau, les années sui¬ 
vantes, du 15 avril au 15 octobre. Elles n’étaient certes pas 
superflues. Au cours de l’été 1922 et de celui de 1923, l’appa¬ 
rition, en différents points, d’un certain nombre de cas de pa¬ 
ludisme de première invasion montra qu’elles étaient abso¬ 
lument nécessaires,les anophèles, existants par endroits, pou¬ 
vant trouver à s’infecter auprès des militaires impaludés ou 
même parmi la population civile. Elles durent être étendues 
et renforcées. 

En août 1922, quatre cas de paludisme primaire furent 
observés chez des militaires venus en renfort de l’Armée du 


Vw' 


MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D OCCUPATION 133 

Levant, et tombés malades aussitôt après leur débarquement 
à Constantinople ; un autre cas fut noté chez un spahi 
Marocain, contaminé dans le secteur d Hademkeuy- 
Tchataldja. Enfin huit autres survinrent chez les 
hommes d’un régiment métropolitain, presque tous des 
sapeurs, qui avaient séjourné dans les champs de tir des en¬ 
virons de Constantinople, où leur régiment avait effectué 
des exercices. Ce fut là un fait nouveau. L’attention n’avait 
jamais été attirée du côté de ces zones d’impaludation. Une 
enquête minutieuse montra, qu’il existait dans ces der¬ 
nières des gîtes d’anophèles et des réservoirs de virus, 
représentés par des soldats Turcs, préposés à la gai de d un 
certain matériel de guerre Ottoman, et chez lesquels l’exa¬ 
men du sang fut tout à fait concluant. Les mesures qui 
s’imposaient, et qui étaient pratiquement réalisables, 
furent prises immédiatement. 

Les mois suivants, grâce à ces mesures, deux cas seulement 
se produisaient dans ces champs de tir. Mais un nouveau 
foyer se révélait ; 10 artilleurs du groupe d’artillerie de Ra- 
mis, cantonnement resté jusque là indemne, entraient à 
l’hôpital, présentant les symptômes du paludisme primaire. 
Les anophèles, apparus contre toute attente en ce point, 
s’étaient infectés auprès de porteurs de germes qu’avait 
emmenés avec lui le 415 e R. I., régiment qui, dès son arrivée 
de l’Armée du Levant, avait occupé la caserne d’artillerie 
pendant quelques jours ; ils inoculèrent ensuite les artilleurs 
qui étaient venus se substituer au 415 e R. I., dans cette 
même caserne, à leur retour du secteur d’Hademkeuy. Là 
aussi, la lutte fut engagée contre l’infection et contre les 
agents porteurs de virus;les atteintes diminuaient aussitôt. 
Il n’en était plus observé que six le mois suivant, pendant 
lequel des cas isolés survenaient également à Hademkeuy, 
à Lulé-Bourgas en Thrace Orientale occupée, à Tchanak où 
une compagnie stationna pendant une semaine aux côtes des 
Anglais, au moment de l’avance Kémaliste sur les détroits. 
Ainsi donc, pendant l’été 1922, le paludisme occasionna 
25 atteintes, pour redevenir silencieux les mois suivants. 





134 



LÉS ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

Il fit sa réapparition en juillet 1923. Mais dans les champs 
de tir et à Ramis, l’infection Se heurta anx mesures prophy¬ 
lactiques précoces, dont l’expérience faite 1 année précé¬ 
dente avait montré l’intérêt ; deux cas furent observes à 
Ramis, aucun ne survint aux champs de tir. 

Par contre, le bataillon d’infanterie et 1 escadron de spahis, 
stationnés à Kara-Agatch, allaient payer un certain tribut 
à l’infection. La région marécageuse de la Maritza est loin 
d’être aussi salubre que le territoire de la Turquie d Europe. 
Les anophèles y abondent et l’index endémique de la popu¬ 
lation civile est, suivant l’opinion des médecins qui soignent 
cette dernière, assez élevé. Il s’agit donc là d une zone tout 
à fait différente de la zone Turque. Du 1 er août au 15 sep¬ 
tembre, 27 malades de la garnison de Kara-Agatch, présen¬ 
tant des manifestations de paludisme primaire, furent admis 
à l’hôpital de Gul-Hané, à Constantinople. Les mesures pro¬ 
phylactiques avaient cependant été prescrites dès le mois 
d’avril ; mais furent-elles intégralement appliquées par tous ? 

Le sang de 25 malades atteints de paludisme de l re Invasion, 
examiné au mois d’août 1923, a décelé : chez 9 de ces malades 
la présence du plasmodium vivax, chez 11,1a présence du 
plasmodium malariae , chez les 5 derniers, la presence du 
plasmodium proecox. Il y a eu en général chez les paludéens 
prédominance du plasmodium malariae , de janvier a juillet, 
et au contraire prédominance du plasmodium proecox d août 
à décembre. 

Des formes cliniques tout à fait embarrassantes ont été 
observées, particulièrement chez des malades présentant des 
accidents de première invasion ou de réinfection avec mani¬ 
festations viscérales précoces, prononcées, portant notamment 
sur le foie et l’intestin, et dont la véritable nature ne fut 
déterminée que par l’examen microscopique du sang. 

En résumé, il a été constaté au Corps d Occupation pen¬ 
dant 3 années, 66 cas de paludisme de première invasion, 
120 cas de paludisme secondaire : c’est peu. De toutes les 
régions qui ont été occupées en Turquie d’Europe par nos 
troupes, seule la zone de Kara-Agatch, comme toute celle 



MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D OCCUPATION 135 

de la Maritza d’ailleurs, est réellement insalubre au point 
de vue du paludisme. La banlieue ouest de Constantinople 
et la presqu’île de Gallipoli sont très suspectes ; les autres 
sont plus saines. Il ne faudrait pas les considérer cependant 
comme ne présentant aucun danger. Les anophèles y existent, 
peu nombreux il est vrai, en beaucoup d endroits ; ils peuvent 
apparaître à la faveur de conditions climatiques particu¬ 
lièrement favorables, en des points qui sont considérés comme 
étant habituellement indemnes, et puiser l’hématozoaire 
dans des réservoirs de virus mobiles. L’attention la plus vi¬ 
gilante s’impose donc ; de même sont indiquées les mesures 
de prophylaxie usuelle et de quininisation préventive. 

La diphtérie. — Chose surprenante, cette affection n’a 
pas été observée au Corps d’Occupation pendant les trois 
derniers mois de l’année 1920, pendant toute l’année 1921 
et pendant les 4 premiers mois de l’année 1922. Il faut arriver 
au mois de mai 1922, pour trouver trace de sa première mani¬ 
festation. Encore n’a-t-elle occasionné ce mois qu’un seul cas. 
Elle disparaît en juillet, pour reparaître en août. Elle a donné 
lieu alors à une petite épidémie de 18 cas, qui sévit parmi 
les Unités arrivées en renfort du Levant, par lesquelles elle 
avait d’ailleurs été importée. Dans la suite, l’affection n’a 
cessé de manifester une certaine activité ; plusieurs cas spo¬ 
radiques furent observés tous les mois, aboutissant pendant 
l’été 1923 à une nouvelle épidémie de 38 cas, ayant intéressé 
différentes unités de la garnison de Constantinople (31 cas), 
et les troupes stationnées à Kara-A.gatch sur la Maritza (7 
cas). Cette épidémie put être jugulée grâce aux mesures 
prises, à la recherche et à l’isolement systématique des por¬ 
teurs de germes. Elle était à peine éteinte cependant au mo¬ 
ment du rapatriement du Corps d’Occupation, 39 porteurs 
de germes durent rester isolés jusqu’au dernier jour ; ils 
furent envoyés en France le 26 septembre, au moment de 
l’évacuation de Constantinople, par le bateau-hôpital « Le 
Tourville », à bord duquel ils restèrent en observation jus- 
à leur arrivée dans la Métropole. 






136 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

Au total, la diphtérie a occasionné en trois ans 78 atteintes, 
dont 1 seul décès survenu à l’occasion de la poussée épidé¬ 
mique de l’été 1923, chez un militaire de la garnison de Kara- 
Agatch, qui succomba presque subitement à l’hôpital de 
Gul-Hané à Constantinople, 24 heures après son arrivée ; 
il fut emporté par une intoxication bulbaire brutale, bien 
qu’il n’ait présenté qu’une angine d’apparence bénigne et 
à exsudât tardif. 

La scarlatine. — Quelques cas de cette affection se sont 
bien manifestés dans le Corps d’Occupation au cours de 
l’année 1921, mais ils ont été isolés et n’ont pas constitué 
un foyer menaçant pour la collectivité. En décembre 1921, 
2 cas surviennent parmi des hommes, arrivés quelques jours 
auparavant en renfort de France, en provenance du Cen¬ 
tre de rassemblement d’Avignon et du Camp-Ste-Marthe, 
à Marseille, où la contamination s’était faite avant l’embar¬ 
quement. Au début de l’hiver 1922, l’affection prit une 
allure épidémique, s’essaimant un peu partout dans les diffé¬ 
rents casernements, occasionnant 2 atteintes en novembre 
et en décembre, 3.en janvier 1923, 10 en février, 12 en mars 
6 en avril, 9 pendant les trois mois qui suivirent. Grâce aux 
moyens mis en œuvre, les divers petits foyers, apparus en 
plusieurs points, ne purent prendre un sérieux développe¬ 
ment. Cette petite épidémie fut sans doute importée de 
France par le croiseur cuirassé « Metz », à bord duquel un 
cas de scarlatine se produisit dès l’arrivée du bâtiment en 
rade de Constantinople, fin novembre. Ce cas fut suivi, 
parmi l’équipage du navire, de 5 autres en décembre et de 
4 en janvier 1923, soit 10 cas constatés chez des marins, et 
qui, joints à ceux observés parmi nos troupes, portent à 
52 cas le nombre total des atteintes de scarlatine pendant 
cette année 1923. 

Cette manifestation épidémique fut inquiétante, non pas 
à cause de sa tendance à la dissémination, mais par la gra¬ 
vité des atteintes : 4 de nos malades et 3 matelots succom¬ 
bèrent en peu de jours à une forme ataxo-adynamique. Le 





MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 137 

personnel de l’hôpital de Gui-Hané, chargé de les soigner, 
fut très éprouvé ; la maladie frappa le Médecin traitant de la 
Division des Contagieux et 2 infirmiers, dont l’un fut emporté. 

La méningite cérébro-spinale. — Cette affection n’a occa¬ 
sionné que quelques atteintes rares et isolées, pendant les 
deux premières années du séjour du Corps d’Occupation. 
Au cours des 6 premiers mois de l’année 1923, elle fit son 
apparition dans plusieurs unités, témoignant d’une activité 
plus grande, d’une certaine tendance à se diffuser ; mais à 
aucun moment, elle ne provoqua la formation de foyers épi¬ 
démiques. Ses atteintes furent sévères ; au total, 27 cas (dont 
23 en 1923) et 10 décès ; soit 37 p. 100 de mortalité. 

L© typhus exanthématique. — Cette affection est une 
de celles, contre lesquelles la collectivité militaire a été le 
mieux défendue, puisqu’en 3 ans elle s’est signalée par 22 
atteintes seulement, dont 4 décès. “Notre camarade, le 
Médecin-Major de 2 e classe Corroy, succomba victime de 
son dévouement, frappé par la maladie au lit des typhiques 
qu’il soignait en janvier 1921, à l’Hôpital de Sélimié. La 
plupart de ces 22 atteintes se sont manifestées parmi nos 
troupes pendant l’hiver 1920-1921, en étroite relation avec 
l’épidémie de typhus qui sévit à ce moment là parmi les 
Réfugiés Russes, recueillis dans les hôpitaux du Service de 
santé Français. Quelques cas isolés apparurent l’hiver sui¬ 
vant, 3 cas pendant l’été 1922, un seul pendant l’année 1923, 
en janvier. 

A aucun moment, par conséquent, la maladie n’a pris l’ex¬ 
tension qu’aurait pu faire redouter son endémicité dans la 
capitale, entretenue d’ailleurs par des éléments Russes de 
l’Armée Wrangel qui s’étaient fixés à Constantinople (voir 
chapitre vu). Le danger fut cependant conjuré grâce aux 
mesures d’hygiène et de désinfection, qui furent rigoureu¬ 
sement et inlassablement appliquées. L’appareil à douches 
et l’étuve existaient dans les moindres cantonnements, et 
suivaient les troupes dans leurs déplacements. 




j38 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

Les marins furent assez éprouvés par le typhus exanthé- 
matique, puisqu’ils présentèrent 18 cas de cette maladie» 
(dont 1 décès). En octobre 1922,12 hommes de l’équipage 
du croiseur cuirassé « Jean Bart » furent atteints en quelques 
jours. Ils avaient été contaminés à l’occasion des operations 
de sauvetage de réfugiés, auxquelles ils avaient participé 
fin septembre à Smyrne, lors de l’incendie de la ville. 

Les infections typhoïdes. — Comme le typhus exanthé¬ 
matique, les infections typhoïdes existent à l’état endémique 
parmi la population. Comme lui, elles ont donné lieu par 
moments à des épisodes aigus, inquiétants, mais le gros nuage 
est passé sur nos têtes. Rarement, en effet, on trouve réunies, 
en un même lieu, des conditions aussi propices au développe¬ 
ment des infections typhoïdes et à leur dissémination : eaux 
polluées, infiltrations souterraines, légumes, salades et fruits 
consommés crus et souillés dans les cultures maraîchères, 
ou encore exposés aux étalages à toutes les-souillures de 
l’air et des mains, hygiène générale civile inexistante, etc... 
etc... Et cependant les infections typhoïdes n’ont occasionné 
en 3 ans qu’un nombre peu élevé d’atteintes, grâce à l’emploi 
de cette admirable vaccination anti-typho-paratyphoïdique, 
dont nous avons précisé dans le chapitre précédent les 
modalités d’application. 

Le nombre de fièvres typhoïdes a été de 23, avec 1 
décès ; il y eut 2 cas de paratyphordes A, sans décès 
et 7 paratyphoïdes B, avec un décès. Ces 32 atteintes 
se répartissent sur les 36 mois, pendant lesquels a duré 
l’Occupation. A aucun moment, elles n’ont été groupées 
en foyers ; jamais l’affection n’a présenté une allure mas- 

sive. 

Les marins ont eu de leur côté :. 

Fièvre typhoïde : 16 cas, dont 3 décès. 

Para-typhoïde : 2 cas, sans décès. 

Ces chiffres constituent, eu égard aux effectifs, une propor¬ 
tion d’atteintes, bien supérieure à celle constatée dans le Corps 
d’Occupation. La vaccination est bien réalisée dans la Manne, 






MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’oCCUPÀTION 139 

comme dans les troupes métropolitaines, mais la pratique 
des injections se heurte à des difficultés d’application, qui 
tiennent aux nombreux déplacements imposés aux équi¬ 
pages et à leur genre de vie spécial, qui rendent malaisé 
l’indispensable contrôle. 

La varicelle. — 25 cas de varicelle ont été observés en 3 
ans 15 étaient groupés en un petit foyer épidémique ayant 
évolué;pendant les trois derniers mois de l’Occupation, dans 
un contingent de Sénégalais, arrivés en renfort de la Métro¬ 
pole, d’où le premier cas avait vraisemblablement été im¬ 
porté. 

La variole. — Cette redoutable affection existe à l’état 
endémique parmi la population civile. Elle se réveille chaque 
hiver, et fait d’assez nombreuses victimes. Elle donna lieu, 
à la fin de l’année 1922 et au début de l’année 1923, à une 
épidémie des plus meurtrières, allumée en plein cœur de 
Constantinople par des Réfugiés Grecs, arrivés dans la ville 
après l’évacuation de l’Anatolie. Tous les militaires du Corps 
d’Occupation de Constantinople furent alors systématique¬ 
ment revaccinés , ainsi que les familles d’officiers et de sous- 
officiers ; mais, avant même que cette mesure n’ait eu son 
plein effet, 2 cas de variole apparaissaient dans la popula¬ 
tion militaire. Le premier frappa, en janvier, un gendarme, 
vivant un peu en dehors de toute surveillance médicale, em¬ 
ployé à la Base Militaire à la vérification des passeports des 
passagers et réfugiés. Ce gendarme était ainsi, plus que qui¬ 
conque, exposé à la contagion. Il avait été vacciné avec un 
succès douteux un an auparavant. Il mourut de variole 
hémorragique. 

A la Caserne Ney, où ce gendarme avait son domicile, un 
2 e cas de variole, peut-être en rapport avec le précédent, 
fut constaté chez la femme d’un gendame également em¬ 
ployé à la Base militaire. La malade ne présenta qu’une va¬ 
riole bénigne, heureusement terminée en quelques jours par 
la guérison. Le mois suivant, la femme d’un Officier Payeur fut 



140 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

atteinte à son tour de variole hémorragique, à laquelle elle 
succomba. Elle s’était fait vacciner quelques jours avant 
le début de sa maladie, qui la surprit en période d’immuni¬ 
sation. Enfin, quelques semaines plus tard, la femme d un 
capitaine qui avait commis l’imprudence, malgré les con¬ 
seils de l’un de nous, de venir à Constantinople sans se 
faire revacciner, mourait de broncho-pneumonie survenue 
au 15 e jour d’une variole de gravité moyenne. Elle avait 
négligé de se soumettre, dès le début de l’épidémie apparue 
en milieu civil, aux opérations de revaccination, auxquelles 
toutes les familles avaient été invitées de la façon la plus 
pressante. 

Au cours de l’année 1921, deux cas de variole avaient ete 
déjà constatés chez des militaires du Corps d Occupation. 
L’un d’eux succomba aux atteintes d’une variole hémorra¬ 
gique ; il avait été vacciné sans succès à son corps en France, 
plusieurs mois auparavant ; à son arrivée à Constantinople, 
par suite de circonstances malencontreuses (dont le mé¬ 
decin n’était d’ailleurs pas responsable), il ne fut pas re¬ 
vacciné, bien qu’il fut ordonné de soumettre àla série des vac¬ 
cinations les arrivants, dont les livrets n étaient pas tout à 
fait en règle. Moins de trois mois après son débarquement, 
il entrait à l’hôpital pour la plus évitable des maladies. Ceci 
illustre singulièrement tout ce que nous avons écrit plus haut, 
sur le soin avec lequel les hommes envoyés aux T. O. E. de¬ 
vraient être vaccinés à leur départ, et le contrôle farouche 
qu’il appartient aux Chefs d’exercer sur la stricte applica¬ 
tion des mesures prescrites. 

Le second de ces militaires un sous-officer d’un régiment 
d’infanterie, présenta en avril 1922 une variole, d’évolution 
bénigne. Il avait été vacciné 6 mois auparavant avec un 
résultat qualifié : « Succès positif » ! 

Les épidémies au début de l’année 1923. - Ainsi que nous 
l’avons signalé, une épidémie de grippe, de rougeole et 
d’oreillons a sévi sur le Corps d’Occupation, pendant les 
premiers mois de l’année 1923. La période, pendant laquelle 








MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 141 

ces épidémies se manifestèrent, s’étend des derniers jours 
de janvier à la fin de mai. Elle revêtit, on le conçoit, une 
physionomie toute particulière. Ce fut, au point de vue sa¬ 
nitaire, la période de beaucoup la plus troublée, la plus in¬ 
quiétante même du séjour du Corps d’Occupation ; aussi 
méritait-elle une relation spéciale. 

1° La Grippe . — Cette affection a fait son apparition 
vers le 25 janvier, alors que l’état sanitaire était partout 
satisfaisant. L’éclosion inattendue d’affections des voies 
respiratoires, à allure grippale, vint subitement le grever 
lourdement et transformer la situation, occasionnant en 
peu de jours une augmentation considérable des indisponi¬ 
bilités dans les Corps, et amenant dans les Infirmeries ainsi 
que dans les hôpitaux une grande affluence de malades. 
Presque sans transition, le chiffre des entrées à l’hôpital 
s’éleva à lui seul de 10 à 25 et 30 par jour ; les affections 
dominantes étaient les trachéites, les rhinites, les trachéo¬ 
bronchites, les congestions pulmonaires, les broncho-pneu¬ 
monies ; leur allure, leurs caractères cliniques, leur 
rapide diffusion permirent de les attribuer dès le début à 
l’infection grippale. 

Elles prirent, dans le courant de février, un développe¬ 
ment considérable. Limitées d’abord aux jeunes soldats, qui 
venaient d’arriver en renfort de la Métropole, elles s éten¬ 
dirent ensuite aux anciens soldats, qui furent cependant 
atteints dans une bien moins grande proportion. Les jeunes 
soldats, qui furent les premiers touchés, avaient débarqué à 
Constantinople pendantla deuxième quinzaine de janvier. Cer¬ 
tains signalèrent, lors de l’enquête étiologique qui fut entre¬ 
prise auprès de tous les malades, qu ils avaient eu froid dans 
les Centres de rassemblement de France avant l’embarque¬ 
ment, ou à bord des navires qui les avaient amenés. Il ne 
fut pas possible de préciser les faits. Les recherches, auxquelles 
fit procéder à Marseille et à Avignon le Ministre de la Guerre, 
montrèrent que l’hébergement des renforts dans ces villes, 
ainsi que les opérations d’embarquement, avaient ete effec¬ 
tués avec des précautions suffisantes. Peut-être l’affec- 





142 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

tion est-elle imputable à la contamination de ces sujets par 
la population civile de Constantinople, parmilaquellela grippe 
était déjà signalée dans le courant de janvier. 

" Un fait particulier mérite d’être souligné. Les jeunes sol¬ 
dats, qui firent, avant tous les autres, les frais de l'infection 
grippale, comptaient à peine deux mois de service au mo¬ 
ment de leur départ pour les T. O. E. Ils furent mis en route 
é la mauvaise saison, encore insuffisamment débrouillés 
«t adaptés aux conditions de la vie militaire. Après de mul¬ 
tiples déplacements qui n’allèrent pas sans fatigues, ils arri¬ 
vèrent à Constantinople à la période la plus défavorable 
de l’hiver, au moment où le climat est le plus agressif. Il est 
difficile de définir l’influence, qu’ont pu avoir ces divers 
facteurs sur l’origine et le développement de l’épidémie. Les 
considérations qui précèdent autorisent cependant à penser, 
qu’il est prudent de ne pas envoyer des hommes aux T. O. E. 
avant que n’ait été réalisée chez eux, dans les corps de la 
Métropole, par un entrainement progressif, une adaptation 
parfaite aux conditions matérielles de l’existence militaire; 
cette adaptation ne semble pas pouvoir être obtenue en 
deux mois. 

Quoi qu’il en soit, l’épidémie de grippe, après avoir atteint 
une grande intensité pendant le mois de février, commença à 
décroître légèrement en mars. Fléchissant ensuite franche¬ 
ment et progressivement en avril, elle s’éteignait dans la 
première quinzaine de mai. Elle était complètement terminée 
à la date du 15. Elle avait frappé presqu’exclusiveraent les 
troupes de la place de Constantinople et celles des garnison* 
voisines de Remis et Maltépé. Elle avait épargné à peu près 
complètement les places de Makrikeuy et de San Stefanô, 
celles plus éloignées de Gallipoli et de Kihd-Bahr. A Hadem- 
keuy et Tchataldja, elle avait manifesté quelque activité, 
mais sans revêtir à aucun moment une allure inquiétante. 
Dans ses foyers principaux à Constantinople, à Ramis et k 
Maltépé, toutes les Unités sans exception lui payèrent un 
lourd tribut. Le tableau comparatif suivant indique, par 
anciens et jeunes soldats, le nombre d’atteintes du début à 








I 

MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 143 

la fin de l’épidémie. Par jeunes soldats , il faut entendre les 
militaires du 2 e échelon de la classe 1922, arrivés quelques 
jours à peine avant le commencement de l’épidémie. Les 
anciens soldats comprennent tous les militaires du 1 er éche¬ 
lon de la classe 1922, qui se trouvaient au Corps d’occupa¬ 
tion depuis plusieurs mois quand éclata l’épidémie, et les 
autres catégories de militaires. 




DU 25 

JAKVIF* AU 

28 février 

DU le* 

AO 

31 Mars 

DU 1« 

AU 

30 Avril 

DU l«r 

AU 

15 Mai 

TOTAL 1 


! 

Anciens 1 

! ' 350 

220 

45 

10 

625 

Exempts 

soldats ) 

) 





de 

Jeunes ) 

' 1,000 

760 

315 

120 

2.195 

Service 

•oldats ) 

1 






Total.. 

1.350 

980 

360 

130 

2.820 


Anciens , 

i ■ 

) 





1 


80 

60 

25 

15 

180 

I 

soldats 1 

) 





î Entrés 

Jeunes 

) 





à l’Infir¬ 

soldats 

( 150 

160 

120 

45 

475 

merie 








Total.. 

230 

220 

145 

60 

655 


Anciens 








( 70 

50 

20 

5 

145 


soldats 






Il Entrés 

Jeunes 






1 à 


220 

130 

70 

21 

441 


soldats 






B T Hôpital 


. 





1 

Total.. 

290 

180 

90 

26 

586 


Il n’a pas été tenu compte des catégories (Métropolitains, 
Indigènes nord-africains, Indigènes coloniaux) auxquelles 
appartiennent leë militaires atteints, les garnison^ des loca¬ 
lités, dans lesquelles la grippe a sévi, étant composées surtout 
d’éléments métropolitains et ne comprenant qu’une propor¬ 
tion peu élevée d’indigènes de l’Afrique du Nord. Les 
troupes sénégalaises des autres garnisons ont été à peu près 







































































144 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

épargnées ; les quelques atteintes signalées dans leurs rangs 
ont été, en revanche, tout à fait graves. 

L’épidémie a occasionné, du 25 janvier au 15 mai, 29 dé» 
cès qui se répartissent ainsi qu’il suit : 12 anciens soldats 
(1er échelon de la classe 1922 et autres classes), 11 jeunes 
soldats (2 e échelon de la classe 1922) et 6 Indigènes, dont 
3 Sénégalais et 3 Indigènes N. A. 

Sur ces 29 décès, 1 est survenu fin janvier, 15 en février, 
7 en mars, 5 en avril et 1 en mai. 

2° La rougeole. — L’épidémie de rougeole a commencé 
en même temps que l’épidémie de grippe. Dans le courant 
de janvier, quatre cas, en effet, étaient constatés dans les 
Unités de la Place de Constantinople et de Ramis. Les trois 
premiers, ne paraissant avoir aucun lien entre eux, 
étaient vraisemblablement en rapport avec les atteintes 
endémiques, qui étaient observées parmi la population civile. 
Le quatrième concernait un homme arrivé en renfort de 
France, le 24 janvier, et hospitalisé le jour même. Ces 
quatre cas étaient suivis rapidement de beaucoup d’autres. 
L’épidémie se diffusait dans toutes les casernes de Constan¬ 
tinople, s’étendait à Zeitin-Bournou, occasionnant 68 at¬ 
teintes du 1 er au 28 février, 92 du 1 er au 31 mars. A partir 
de ce moment elle décroissait progressivement, tombait à 
47 cas en avril, 23 en mai, 7 en juin ; les 5 derniers cas 
étaient observés en juillet. Le chiffre total des atteintes était 
donc de 246. 

L’épidémie, plus étalée que l’épidémie de grippe, éche¬ 
lonnée sur 6 mois de l’année, occasionna 19 décès, dont un 
pour endocardite infectieuse et 18 pour broncho-pneumonie. 
Ces décès se répartissent ainsi qu’il suit : 2 en février, 5 en 
mars, 6 en avril, 2 en mai et 4 en juin. 

3° Les oreillons. — L’épidémie d’oreillons a pris nais¬ 
sance presque en même temps que les épidémies de grippe 
et de rougeole. Nous trouvons, en effet, à son origine, 4 cas 
au mois de janvier, 3 au bataillon d’infanterie caserné à 
Maltépé, 1 dans une compagnie du génie stationnée à Cons¬ 
tantinople. L’étiologie de ces cas ne put être établie. Ils 








MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 145 

doivent vraisemblablement être dus à la contagion urbaine. 
En février, 7 cas nouveaux se produisent dans les mêmes 
Unités et dans d’autres de la Place de Constantinople et de 
Ramis. Ils deviennent le centre de foyers, qui se dévelop¬ 
pent rapidement pendant le mois de mars • du 1 er au 31 mars, 
on relève 113 cas. L’épidémie se propage à la garnison de 
Zeitin-Bournou. Elle décroît à partir du mois d’avril (83 cas) ; 
son fléchissement s’accentue en mai (66 cas), en juin (11 cas), 
elle s’éteint complètement au mois de juillet, pendant lequel 
elle n’occasionne que 7 atteintes. Le total des cas de janvier 
à juillet est de 291, tous limités aux garnisons de Constanti¬ 
nople, Zeitin-Bournou, Ramis, Maltépé, Makrikeuy. — San 
Stefano, Hademkeuy, Gallipoli, Kara-Agatch restèrent 
indemnes. Aucun des cas observés ne revêtit de gravité. 
L’épidémie fut surtout gênante par l’étendue de son déve¬ 
loppement, et par l’encombrement qu’elle entraîna dans les 
infirmeries régimentaires et les hôpitaux. 

Les chiffres suivants montrent quelle répercussion eut sur 
la morbidité générale le développement concomitant de ces 
trois épidémies, dont nous venons de tracer l’histoire à 
grands traits. 



MOIS 

Effectifs 

EXEMPTS 

DB 

Service 

ENTRÉS 

A 

l'Infirmerie 

ENTRÉS 

l’HôpiUI 


Novemb.1922 

9.960 

1.961 

321 

217 


Décembre 

» 

9.313 

2.743 

336 

267 


Janvier 1923 

9,565 

2.893 

315 

265 

Épidémies de ' 

^Février 

» 

9.597 

5.183 

458 

608 

Grippe, Rougeole 

/Mars 

» 

9.939 

4.892 

523 

593 

et Oreillons 

iAvril 

» 

10.344 

3.788 

486 

490 


(Mai 

» 

9.829 

3.186 

427 

448 

Fièvre de 3 jours 

(Juin 

» 

9.654 

4.477 

640 

354 

et Dysenterie 

^Juillet 

» 

9.694 

6.190 

846 

451 

amibienne 

Août 

i 

» 

9.332 

4.452 

579 

312 


La lecture de ce tableau montre que l’état sanitaire resta 


Dbjouany 


10 
















146 LES ALLIÉS A CONSTANTinOPLE 

lourdement, chargé, longtemps après la fin des épidémies, 
dont nous venons de parler. La dysenterie amibienne et la 
fièvre de trois jours, apparues uè- le mois de juin, au mo¬ 
ment où Ton était en droit d’espérer une détente, expliquent 
en grande partie la persistance d une morbidité élevée. Par 
ailleurs, la grippe et la rougeole, qui avaient frappé nos 
troupes avec force, laissèrent beaucoup de sujets dans un 
état de moindre résistance physique, qui les rendit très ré¬ 
ceptifs à l’égard d’autres affections. 

L’afflux massif de malades dans les formations sanitaires 
créa de grandes difficultés. Les différents services furent 
comprimés et resserrés dans les hôpitaux ; de nouvelles 
salles purent ainsi être ouvertes, pour loger des grippés et 
des rougeoleux. On fut amene à faire fléché de tout bois, et 
à installer les malades partout où il était possible de monter 
des lits. Il fallait renoncer à trouver ailleurs dans Coristan- 
tinople des bâtiments ou autres établissements, suscep¬ 
tibles d’être utilisés pour satisfaire des besoins aussi excep¬ 
tionnels. La ville surpeuplée n’offrait, pour l’hospitalisation 
de nos soldats, aucune disponibilité. Nos ressources, très 
limitées en personnel, ne nous permettaient pas d’ailleurs 
de songer à créer de nouvelles formations- L’infirmerie- 
ambulance Corroy permit heureusement de résoudre l’an¬ 
goissant problème qui se posait. Les malades vénériens et 
cutanés, qu’elle abritait, furent refoulés dans des locaux, qui 
furent cédés au Service de santé dans la caserne de Maltépé 
(Henrys), presque mitoyenne. Les petits malades de l’hôpital 
de Gul-Hané ou Giffard leur furent substitués, laissant 
ainsi dans ces deux formations des places vacantes pour les 
hospitalisés graves. Dans la suite, l’aménagement à l’infir- 
merie-ambulance Corroy d’une baraque, spécialement affec¬ 
tée aux oreillons, dégagea les services de Gul-Hané qui 
purent héberger, sans trop de gêne, tous les autres conta¬ 
gieux. Ces faits confirmèrent la justesse de la prévision qui 
avait conduit, au début de l’année 1922, à l’organisation 
de l’infirmerie-ambulance Corroy pour y recevoir les véné¬ 
riens et les cutanés en temps normal, et surtout pour servir 






MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’OCCUPATION 147 


de formation de réserve pour les autres hôpitaux, s’il se 
produisait une grave épidémie, toujours à redouter à Constan¬ 
tinople. 

Par ailleurs, le Service de santé n’eut qu’à se féliciter 
d’avoir su, avec vigueur, résister aux offensives qui avaient 
cherché à le dépouiller des hôpitaux Giffard et Gul-Hané; 
cela prouve combien prudente doit être la conduite du 
Chef, en matière de prévisions hospitalières. 

Le personnel très réduit du Service de santé eut, on le 
conçoit, à l’occasion de ces épidémies et de la période pénible 
qui suivit, une tâche des plus ardues. Il dut être augmenté. 
Des infirmières furent recrutées sur place, des employés 
furent embauchés. Les corps de troupe fournirent aux for¬ 
mations un grand nombre de subsistants. Les bras ne man¬ 
quèrent pas. Ce qui fit défaut, c’est le personnel soignant 
qualifié. Le dévouement, l’activité laborieuse et la bonne 
volonté de tous permirent cependant de faire face aux diffi¬ 
cultés réelles, auxquelles se heurta l’exécution du service, et 
nos soldats n’eurent *pas à pâtir de cette crise. 


La Mortalité du Corps d’occupation, dont nous avons déjà 
dit quelques mots, s’est traduite, au cours des trois années, 
par les chiffres suivants : 


Première année (1 er Octobre 1920 au 30 Septembre 1921) 


62 décès dus à 


2 Méningites cérébro-spinales. 

1 Typhus exanthématique. 

19 Affections de l’appareil respiratoire. 

5 Tuberculoses. 

31 Affections générales non contagieuses, 
4 Accidents. 


Deuxième année (1 er Octobre 1921 au 30 Septembre 1922) 

1 2 Typhus exanthématique. 

1 Fièvre typhoïde. 

1 Variole hémorragique. 

8 Affections de l’appareil respiratoire. 

7 Tuberculoses. 

7 Affections générales non contagieuses. 

1 Aocidont. 



148 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Troisième année (1" Octobre 1922 au 30 Septembre 1923) 

I 29 Grippes. 

20 Rougeoles. 

2 Varioles. 

4 Scarlatines. 

1 Dysenterie. 

114 décès dus à < $ Méningites cérébro-spinales. 

1 Paratyphoïde B. 

13 Affections des voies respiratoires. 

17 Tuberculoses. 

13 Affections générales non contagieuses. 

\ 6 Accidents. 

Soit une mortalité globale, pour 1.000 hommes d effectif, 
de 6,4 la première année, 3,2 pour la seconde et 12,9 pour 
la troisième. Il y a lieu de signaler le taux élevé de cette 
mortalité, surtout pour l’année 1923 et même pour la pre¬ 
mière et la deuxième année, d’état sanitaire cependant si 
favorable. Ce taux de mortalité pour 1.000 hommes d’effectif 
a été, dans la Métropole, de 3,44 en 1911, 2,53 en 1912 et 
2,52 en 1913 et respectivement de 6,25, 5,39 et 3,62 pour 
l’Algérie-Tunisie. 

Pour ne pas avoir assumé la tâche complexe qui s est 
imposée à lui dans la zone des armées, l’Etat-civil n’en a 
pas moins accompli à Constantinople une besogne impor¬ 
tante, qu’il nous a paru intéressant de signaler en quelques 
mots à la fin de ce chapitre. Dans ce coin de terre d’Orient, 
où ont été inhumés ceux de nos malades décédés au cours 
de cette période dans nos formations sanitaires, reposaient 
déjà un assez grand nombre de soldats français, morts au 
cours de la guerre de Crimée, ou tombés aux mains des Turcs, 
lors des combats qui se livrèrent en 1915 dans la presqu’île 
des Dardanelles, et morts ensuite en captivité. 

En liaison étroite avec le 1 er Bureau de 1 Etat-Major, un 
Officier d’administration du Service de santé a non seule¬ 
ment réglé toutes les questions ressortissant à 1 Etat-civil 









MORBIDITÉ ET MORTALITÉ DU CORPS d’oCCUPATION 149 

du Corps d’occupation (inhumations, rapatriements des 
corps réclamés par les familles), mais il a encore été chargé 
du regroupement des tombes. Nos morts sont maintenant 
rassemblés dans les cimetières de la région, ou à proximité 
des localités importantes dans lesquelles ils sont décédés. 
Au cimetière de Férikeuy, situé à la lisière de Péra, ont été 
réunies, à côté de l’ossuaire des morts de Crimée qui s’y 
trouvaient déjà, 236 tombes de sujets catholiques, 5 tombes 
de protestants. Le cimetière de Top-Kapou, créé en dehors 
de Stamboul, à la sortie de la porte du même nom, a été 
réservé aux soldats musulmans et comprend 175 tombes. 
Trois petits cimetières militaires ont été, en outre, organisés 
à Zoungouldak (17 tombes), Gallipoli (12 tombes), à Kilid- 
Bahr (18 tombes). 

Tous ces cimetières, ornés et fleuris par le Corps d’Oc- 
cupation français, ainsi que l’ossuaire de la baie de Morto, 
où reposent sur la rive européenne des Dardanelles les sol¬ 
dats français tombés au Champ d’Honneur en 1915, ont 
été, lors de notre départ, confiés à la garde de Y Union des 
Anciens Combattants et du Souvenir Français de Constanti¬ 
nople. Leur remise à ces Sociétés a ete faite solennellement 
au cours d’une cérémonie émouvante, qui eut lieu dans les 
derniers jours du mois d’août 1923 aux cimetières de Fé¬ 
rikeuy et de Top-Kapou, et à laquelle participèrent les 
Généraux alliés, ainsi que les délégations des Corps d occu¬ 
pation anglais et italien. Les familles peuvent être assu¬ 
rées, que le soin de veiller sur la sépulture de leurs chers 
morts a été confié à des mains pieuses et ferventes. 




CHAPITRE VI 


La Morbidité vénérienne 


La lutte contre les maladies vénériennes est un des pro¬ 
blèmes les plus graves de prophylaxie, qui se soient posés 
au Service de santé des Corps d’occupation alliés. Le déve¬ 
loppement monstrueux de la prostitution à Constantinople, 
la diffusion des maladies vénériennes, l’insuffisance des 
règlements de police et la carence du Service des mœurs 
ont non seulement sollicité l’action vigoureuse de chaque 
Corps d’occupation, mais encore rendu indispensable 
l’intervention concertée des Alliés. Des résultats encoura¬ 
geants ont suivi. C’est l’étude de ces différents points qui 
fait l’objet du présent chapitre. 


I 

LA PROSTITUTION ET LES MALADIES 
VÉNÉRIENNES A CONSTANTINOPLE 

Il est très difficile de réunir des renseignements précis, 
sur ce qu’était la prostitution à Constantinople avant la 
guerre. Il résulte des informations, qui nous ont été fournies 
par un des médecins fonctionnaires de la Direction de l’Hy¬ 
giène, qu’elle resta longtemps à l’abri de toute réglementa¬ 
tion et de tout contrôle. Sa reconnaissance officielle remonte 
d’ailleurs à peine à l’année 1856, époque de la guerre de 








LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


154 


Grimée. L’affluence des étrangers dans la ville amena les 
Autorités à s’occuper à ce moment de son statut. Il 
faut arriver cependant à 1 annee 1S97, pour trouv er des 
Ordonnances la concernant. A partir de cette date, la Mu¬ 
nicipalité de Péra est saisie de tout ce qui se rapporte à elle ; 
elle est chargée de faire examiner, au moins une fois par 
semaine, par des médecins spécialement désignés à cet 
effet, les prostituées, et à hospitaliser celles reconnues 
atteintes de maladies vénériennes. Une loi, intervenue le 
5 octobre 1915, transfère les pouvoirs de la Municipalité à 
la Préfecture de police, qui ne conserve plus, en 1920, que 
des attributions administratives, le contrôle de l’hôpital 
spécial ou des dispensaires étant confié à partir de ce mo¬ 
ment par décret à la Direction générale de la Santé otto¬ 
mane. On le voit, une règlementation sérieuse de la prosti¬ 
tution est intervenue tardivement ; elle ne fut en tout cas 
solidement mise au point, qu au cours des huit ou dix der¬ 
nières années. Ses dispositions, dans leur ensemble, ne 
diffèrent guère de celles en vigueur dans la plupart des 
pays occidentaux. (1) 


m>, D’ a près le règlement administratif annexé à la loi du 5 octobre 
1915 aucune maison de prostitution ne peut être ouverte sans une au¬ 
torisation préalable et en dehors des zones désignées par la police ; celles 
oui se trouvent ouvertes clandestinement devront etre fermées. L auto¬ 
risation est demandée par une enquête adressée à la Préfecture de police 
et n’est accordée qu’après une requête approfondie sur le personnel et 
sur les conditions sanitaires de la maison. Les personnes n ayant pas 
encore accompli leur 25® année d’âge, ou poursuivies pour des crimes, 
ne sont pas autorisées à diriger une maison publique, , 

Les tenancières sont tenues de communiquer a la police, dans les 24 
heures qui suivent leur admission, le nom, l’âge, le lieu de naissance et 
la nationalité de tout le personnel féminin ou masculin de la maison, 
écrits sur une feuille datée et signée, et accompagnée de deux portraits 
ainsi que des papiers d’identité de la personne mteressee. Les domesti- 
mies au-dessous de 25 ans et les servantes qui n ont pas encore 20 ans 
accomplis ne sont pas autorisées à servir dans les mîusons publiques. 

Chaque prostituée doit être munie d’un carnet d identité délivré par 
la police sur lequel le nom, l’âge, la nationalité de cette femme seront 
inscrits et sa photographie sera apposée. Les femmes, n étant pasen 
Possession de carnet d’identité, ne sont pas autorisées à exercer leur pro¬ 
fession et les maisons acceptant ces femmes seront termees. 

Los tenancières des maisons publiques ne sont pas autorisées à engager 
le» prostituées au-dessous de 18 ans accomplis, meme avec le consente- 











LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


152 

Il ne semble pas que les résultats obtenus aient été satis¬ 
faisants ; nous manquons d’informations sur le nombre des 
prostituées et la fréquence des maladies veneriennes à 
cette époque. Il résulte de la seule indication qui nous a été 
fournie à ce sujet, que le nombre des syphilitiques dans 
l’armée et la marine turques représentait, en 1921, 2,78 % 
de l’effectif mobilisé. Au surplus, les maladies vénériennes 
sont encore considérées, en Orient, comme des maladies 
honteuses et inavouables, de sorte que ceux qui en sont 
affligés les cachent trop souvent, et ne se confient aux mé¬ 
decins, que lorsqu’ils y sont contraints par la gravité des 
accidents qu’ils présentent. Si l’on ajoute à cela, que beau¬ 
coup de malades préfèrent recourir à la foule des pseudo- 


ment des parents de ces dernières. Les maisons en contravention seront 
fermées pour une durée de deux ans. 

Les prostituées jouiront de l’entière liberté pour retourner chez elles, 
en cas de renonciation, ou changer de résidence à leur gré. Il est donc dé¬ 
fendu aux tenancières de mettre obstacle à leur départ ou retenir leurs 
effets sous prétexte de dettes ; celles qui se trouveront en défaut seront 
punies par la fermeture provisoire de leur établissement. 

Il est défendu aux tenancières de tolérer les jeux de hasard ou de laisser 
fumer du hashish. 

Les tenancières pourront fournir des boissons alcooliques à leurs clients 
à la condition que leur prix ne sera pas majoré de plus de 50 %. 

Les maisons publiques auront une seule issue et ne posséderont au¬ 
cune communication avec une autre maison, boutique, café, hôtel, etc... 

Les ordonnances policières concernant les maisons publiques seront 
suspendues en un endroit accessible au public. Ces maisons porteront 
un numéro distinct par ses dimensions des numéros des maisons honnêtes. 

Les tenancières sont invitées à refuser l’accès de leur maison aux jeunes 
gens au-dessous de 18 ans ou aux écoliers portant l’uniforme, sous peine 
de fermeture de leur établissement pour 15 ou 30 jours et, en cas de ré¬ 
cidive, pour un an. 

Il est défendu aux prostituées de se montrera la porte ou aux tenêtres 
des maisons publiques, et d’interpeller les passants dans le but de les 
attirer. 

Les tenancières attirant dans leur établissement en vue de les inciter 
à la débauche les femmes honnêtes et les vierges, ou toute autre femme 
non autorisée par la police à se prostituer, seront punies d’une interdic¬ 
tion de 3 mois à 3 ans sans préjudice des poursuites judiciaires. 

Les tenancières acceptant dans leur maison les prostituées, atteintes 
des maladies vénériennes ou celles dont- le traitement n’est pas encore 
terminé, seront punies d’interdiction d’un mois à 1 an. 

Il est défendu aux prostituées, sous peine d’interdiction d’un mois à 
un an, de stationner, de se rassembler ou de se promener de long en large 
dans les rues, pour attirer la clientèle. 









LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


153 


médecins spécialisés, des charlatans ou des empiriques qui 
pullulent dans la ville, on n’est pas surpris de manquer 
de précisions sur la diffusion des affections vénériennes, et 
sur l’organisation administrative de défense sociale, dont 
les imperfections étaient bien connues des Turcs eux-mêmes. 

Une recrudescence très inquiétante de la prostitution et 
des maladies vénériennes, qui représentent son inévitable 
cortège, s’était déjà manifestée dans la ville pendant son 
occupation par les troupes allemandes. Elle ne fit que s’ac¬ 
croître, après l’arrivée des contingents alliés et des réfugies 
et réfugiées russes en particulier. En 1921, la situation est 
devenue alarmante. La prostitution sévit à ce moment-là à 
Constantinople avec un cynisme inconnu partout ailleurs en 
Europe, même dans les grandes capitales. Elle s’offre a nos 
soldats sous toutes ses formes : maisons de débauche recon¬ 
nues (1), établissements et hôtels de « passe », maisons de 
rendez-vous, brasseries et cafés, employant un personnel 
féminin, tout à fait^suspect (2). Les prostituées clandestines, 
les rôdeuses, guettent les militaires partout dans les rues, 
les entraînant dans des garnis malpropres ou au fond des 
bouges crasseux, dans des jardins publics. La misère, la 
paresse, l’appât d’un gain facile, dans un pays ou tout se 
monnaye, l’absence ou l’affaiblissement du sens moral, ont 
poussé beaucoup de femmes,-de toutes nationalités, a se 
vendre ou à vendre leurs filles et leurs fillettes : il était cou¬ 
rant de voir des enfants de 8 à 12 ans se prostituer dans les 
maisons de débauche, ou même raccrocher ostensiblement 
dans les rues. Le nombre des femmes, se livrant à cette 
époque à la prostitution, serait certainement effrayant, s il 
pouvait être exactement déterminé. Des chiffres ont été 
donnés, incertains d’ailleurs, mais celui de 50 à 60.000 est 


fl) Il y avait à cette époque, rien qu’à Péra, 94 maisons de Prostitution 
surveillées par la Police interalliée, et groupées dans le quartier central 
de la ville P (rue Abanos), sans parler de Galata, de Kadikeuy, Scu 
tari etc aui en comptaient au moins autant, 

Les'maisons de rendez-vous, notoirement connues comme servant 
à la prostitution clandestine, se comptaient par plusieurs centaines à 
Péra, entre le Tunnel et Taxim. 





154 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


assez vraisemblable. Les contrôles administratifs sont abso¬ 
lument illusoires ; un nombre infime de femmes régulière¬ 
ment inscrites passent effectivement la visite médicale, n’y 
venant le plus souvent, que lorsqu’elles sont malades au 
point de ne plus pouvoir continuer leur métier. 

La police, dite « des Mœurs », d’organisation récente, est 
absolument débordée par la besogne qui lui incombe, et 
pour laquelle elle n’a été nullement préparée ; outre la sur¬ 
veillance de la prostitution, elle a aussi dans ses attri¬ 
butions, de s’occuper des maisons de jeu, des attentats 
à la pudeur, des contraventions pour vente de livres et gra¬ 
vures obscènes, etc... Pour faire face à tant d’obligations, 
elle a en tout et pour tout 30 agents civils, ayant à leur tête 
un chef de bureau dépendant de la 2 e Section de la Pré¬ 
fecture de police. La Police des Mœurs, dont l’action serait 
si précieuse dans une situation aussi critique, est donc pra¬ 
tiquement inexistante. Les quelques agents spécialisés ne 
sont pas payés, ou reçoivent des salaires dérisoires, dans une 
capitale où les exigences de la vie chère se sont déjà fait 
sentir. Les 15 livres turques, qui leur sont allouées comme 
traitement mensuel (la livre turque valait 8 à 9 francs), 
pouvaient-elles leur permettre d’échapper aux tentations 
du « bakchich », si populaire alors dans ce pays. 

Ces considérations expliquent la facilité, avec laquelle les 
maladies vénériennes se sont diffusées dans le milieu de la 
prostitution à Constantinople. Les contrôles administratifs 
cependant sont bien discrets à cet égard ; c’est ainsi que le 
nombre de syphilitiques, soignés dans les cinq dispensaires 
de la ville de l’année 1918, date de la fondation de ces der¬ 
niers, jusqu’à la fin de l’année 1921, n’a été que de : 

2.487 femme*. 

2.228 homme*. 

Total : 4.715 

Sur 2.242 prostituées clandestines, arrêtées par la Police 
pendant l’année 1921, et soumises aussitôt à la visite dans 











LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


155 


les dispensaires, 740 ont été reconnues atteintes de bien- 
norragie, 218 de syphilis, soit 42,5 °/ 0 atteintes de maladies 
vénériennes en général et 9,6 °/ 0 de syphilitiques. En 1922, 
il y eut 1986 prostituées clandestines visitées, dont 688 
étaient malades. Ces chiffres vraiment surprenants laissent 
supposer, que les hôpitaux de la ville n auraient pas suffi 
à héberger toutes les femmes vénériennes, perdues dans 
le flot des malheureuses ou des dévoyées, se livrant plus ou 
moins ouvertement à leur commerce spécial, s il avait été 
possible de les contrôler et de les visiter toutes. 

1.390 prostituées seulement étaient inscrites sur les con¬ 
trôles de la Police en 1921 ; elles se répartissent ainsi qu’il 
suit, selon les nationalités : 

Grecques. 

Turques. 

Arméniennes.. 

Juives Ottomanes. 

Juives Russes ou Polonaises 

Russes. 

Autrichiennes. 

Autres nationalités. 


dont 1.029 dans les maisons de tolérance et 361 en carte. 

Parmi ces 1.390 prostituées, surveillées par la Police et 
visitées périodiquement dans les dispensaires de Péra, Ga- 
lata, Stamboul ou Kadilceuy, se trouvaient 690 anciennes 
syphilitiques ; 82 contractèrent la même affection dans le 
courant de l’année. 

En 1922, les dispensaires reçurent aux fins de visite 
1986 prostitués enregistrées, dont 921 des maisons de 
tolérance et 465 en carte. 

Il n’est question le plus souvent, dans les rares docu¬ 
ments que nous nous sommes procurés auprès de 1 Ad¬ 
ministration ottomane, que de femmes malades. Les 
hommes échappent, pour la plupart, au contrôle des méde¬ 
cins, soit parce qu’ils considèrent leur affection comme 


. 638 
. 239 
. 161 
. 121 
. 121 
. 42 

. 16 
. 52 

1.390 
















156 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


I. CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS DE CONSTANTINOPLE 

Cas de maladies vénériennes 


MOIS 

EFFECTIF 

BLENNORRAGIE 

SYPHILIS 

CHANCRE MOU 

2 * 

a s 

I ® 

Pour 100 

d’effectif 

Nombre 

de cas j 

Pour 100 ( 

d’effectif 

1 

Nombre 
de cas | 

Pour 100 1 
d’effectif 



ANP 

ÏÉE 195 

>1 




Avril. 

9.550 

17 

0,17 

21 

0,21 

8 

0,08 

Mai. 

9.081 

11 

0,12 

18 

0,19 

5 

0,05 

Juin. 

9.235 

11 

0,11 

15 

0,16 

11 

0,11 

Juillet. 

9.174 

8 

0,08 

9 

0,09 

7 

0,07 

Août. 

8.538 

8 

0,09 

21 

0,24 

9 

0,10 

Septembre .. 

8.314 

8 

0,09 

30 

0,36 

15 

0,18 

Octobre. 

7.920 

10 

0,12 

27 

0,34 

17 

0,21 

Novembre .. 

7.324 

5 

0,06 

17 

0,29 

15 

0,20 

Décembre... 

6.808 

8 

0,11 

21 

0,30 

6 

0,08 



ANNÉE 1922 




Janvier. 

7.210 

22 

0,30 

10 

0,13 

5 

0,06 

Février. 

7.484 

16 

0,21 

14 

0,18 

4 

0,05 

Mars. 

7.984 

20 

0,25 

5 

0,06 

2 

0,02 

Avril. 

7.879 

29 

0,36 

13 

0,16 

6 

0,07 

Mai 

7.726 

13 

0,16 

9 

0,11 

8 

0,10 

Juin. 

7.550 

14 

0,18 

4 

0,05 

4 

0,05 

Juillet.. . , • . 

7.400 

23 

0,31 

3 

0,03 

3 

0,04 

Août. 

9.890 

22 

0,22 

4 

0,04 

6 

0,06 

Septembre .. 

9.418 

19 

0,20 

3 

0,03 

10 

0,01 

Octobre .... 

9.297 

24 

0,25 

4 

0,04 

8 

0,07 

Novembre.. • 

9.660 

19 

0,19 

» 

» 

2 

0,02 

Décembre... 

9.313 

12 

0,12 

4 

0,04 

6 

0,06 



ANNÉE 1923 




Janvier. 

9.565 

12 

0,12 

3 

0,03 

1 

0,01 

Février. 

9.597 

8 

0,08 

1 

0,01 

1 

0,01 

Mars. 

9.939 

9 

0,09 

1 

0,01 

2 

0,02 

Avril. 

10.344 

7 

0,06 

» 

» 

4 

0,03 

Mai . 

9.829 

8 

0,07 

1 

0,01 

)> 

» 

Juin ....... 

9.654 

14 

0,14 

» 

» 

» 

» 

Juillet . 

9.694 

10 

0,10 

» 

» 

1 

0,01 

Août ... 

9.322 

12 

0,12 

» 

») 

» 

» 








. — 







































































LÀ* MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 

II. CORPS D’OCCUPATION ANGLAIS DE CONSTANTINOPLE 


Cas de maladies vénériennes 




























































158 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


IU. CORPS D’OCCUPATION ITALIEN DE CONSTANTINOPLE 

Cas de maladies vénériennes 




BLENNORRAGIE 

SYPHILIS 

CHANCRE MOU 

MOIS 

EFFECTIF 

© 

O Cm 

O 

£ - 

o h: 

O SS 

£ « 

o t ~ 
o si 



Nombi 

de cai 

•*-* O 

si 

eu '■e 

o et 

o ® 

îz;'* 

-ri O 

£ 

ÉV-S 

fl ° 
o ® 

« 

S ta 

eu "o 



ANNÉ] 

S 1922 





Janvier. 

1.003 

1 

0,09 

1 

0,09 

2 

0,1 

Février. 

1.011 

2 

0,1 

1 

0,09 

» 

n 

Mars....... 

965 

1 

0,1 

» 

» 

» 

» 

Avril. 

1.041 

2 

0,1 

1 

0,09 

1 

0,09 

Mai. 

1.063 

1 

0,09 

» 

» 

2 

0,1 

Juin. 

891 

5 

0,5 

» 

» 

1 

0,1 

Juillet. 

717 

1 

0,1 

1 

0,1 

2 

0,2 

Août. 

887 

» 

» 

» 

» 

2 

0,2 

Septembre . . 

791 

1 

0,1 

1 

0,1 

» 

» 

Octobre. 

800 

2 

0,2 

» 

» 

» 

» 

Novembre... 

770 

1 

0,1 

» 

» 

» 

» 

Décembre... 

789 

2 

0,2 

» 

» 

1 

0,1 


honteuse et la cachent, soit parce qu’ils se confient aux 
empiriques. Ils ne sont, en outre, pas admis dans les hôpi¬ 
taux, où n’existent pas d’ailleurs des services spéciaux pour 
les recevoir, et où on ne dispose pas de fonds nécessaires pour 
les soigner. 

Ces quelques chiffres montrent quel nombre infime de 
prostituées malades étaient vues et surveillées médicalement, 
si tant est que cette surveillance pût être considérée comme 
offrant une garantie absolue. Les armées alliées ne tardèrent 
pas à souffrir de cette situation ; nous regrettons de ne pou¬ 
voir utiliser les statistiques de 1919 et 1920, relatives au 
nombre de cas de maladies vénériennes relevés dans les 
rangs alliés, elles sont trop incomplètes. Les chiffres qui 
figurent sur les tableaux ci-dessus se rapportent, pour l’armée 
française, aux neuf derniers mois de l’année 1921, à l’an- 









































LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


159 


née 1922 et à l’année 1923 jusqu’à la dislocation du Corps 
d’occupation. Nous faisons suivre ces chiffres de ceux con¬ 
cernant l’armée anglaise (années 1922 et 1923) et les contin¬ 
gents italiens (année 1922). 

Nous nous réservons, dans la troisième partie de ce cha¬ 
pitre, d’étudier ces chiffres et d essayer de les interpréter. 


II 

L’ACTION PROPHYLACTIQUE 

La protection des troupes contre ce grave péril vénérien 
fut organisée dès les premiers mois de l’occupation, et pour¬ 
suivie par la suite sans relâche avec ténacité et méthode par 
les armées alliées. Mais au fur et à mesure que l’occupation 
se poursuivait, la prostitution, enhardie par 1 impuissance 
de la Police des Mœurs turque, se développait de jour en 
jour ; le taux de la morbidité vénérienne s’élevait parallèle¬ 
ment. Au cours des derniers mois de 1921, il y avait pour les 
seules troupes françaises, vingt à trente entrées à 1 hôpital 
par mois, pour syphilis. A cette époque, les Généraux com¬ 
mandants furent ainsi amenés à envisager l’application de 
nouvelles mesures, destinées à renforcer davantage eelles 
déjà prises. Sur la proposition des Directeurs du Service de 
santé, ils se mirent d’accord sur un programme commun de 
lutte anti-vénérienne, qui comportait : 1° des dispositions à 
prendre dans chacune des armées alliées, à la diligence de 
chaque Général commandant ; 2» des dispositions communes 
aux Armées alliées ; 3° la réorganisation complète de la rè¬ 
glementation de la prostitution à Constantinople, sous le 
contrôle interallié. 

A) PROPHYLAXIE DANS LE CORPS D’OCCUPATION 
FRANÇAIS 

Les efforts, réalisés dans ce domaine par les chefs de Corps 







160 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


et par les médecins des Unités, avaient abouti à une organi¬ 
sation prophylactique, qui avait le programme suivant i 
hausser le moral des hommes, les instruire par les causeries, 
e tract, le cinéma ; procéder à des visites périodiques bien 
faites ; établir des cabines prophylactiques ; rechercher les 
prostituées malades et les empêcher de nuire ; isoler et 
traiter les malades d’une façon précoce et durable. Nous 
soulignons seulement ici, au sujet de ces mesures, certaines 
modalités de leur application au Corps d’occupation français. 

a) Education morale des hommes. — Elle peut se ré¬ 
sumer ainsi : 

1° Elever le moral de Vhomme : lui montrer que la chasteté 
et l’abstinence ne sont ni ridicules, ni néfastes à sa santé. Le 
retenir à la caserne, dans les Foyers du Soldat , pour l’arra¬ 
cher à tout prix à l’emprise du cabaret. 

2° Le défendre en Vinstruisant : lui montrer les dangers 
qui le menacent, la forme sous laquelle ils se présentent, 
les lieux à éviter, les femmes à écarter (les jeunes clandes¬ 
tines surtout) et décrire, sans exagération, les conséquences 
graves des maladies vénériennes pour lui, son avenir, pour 
ses enfants. 

Condenser tout ce programme d’instruction dans des cau¬ 
series courtes, renouvelées chaque semaine, ou dans des con¬ 
férences plus importantes, qu’on peut rendre particulière¬ 
ment attrayantes par des films et des vues documentaires. 
Dans cet ordre d’idées, des Foyers du Soldat furent orga¬ 
nisés un peu partout dans les casernes ; un grand Foyer 
Central fut créé à Stamboul, près de la Place Emin-Eunu, 
où les militaires vinrent en grand nombre y chercher des 
distractions saines et agréables (jeux, lectures, cinéma, etc...). 

La propagande par le tract et par les conférences, telle 
qu’elle a été réglée par la circulaire n° 5740 /C du 28 juillet 
1921, fut l’objet d’un soin tout particulier. Les dispositions 
de cette circulaire furent portées à la connaissance de tous, 
par la voie de l’Ordre général, et fréquemment rappelées. 
Des tracts de vulgarisation furent remis aux militaires rapa¬ 
triés, au moment de leur départ. 








LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


161 


Une série de conférences avec projections cinématogra¬ 
phiques, auxquelles assistèrent tous les hommes, furent 
organisées dans les différentes Places pendant le premier 
semestre 1922. L’exposé de ces conférences fut suivi de la 
projection sur l’écran d’un film documentaire. Le Service 
de santé s’était adressé, dans ce but, à la Maison Pathé qui 
n’a pu donner satisfaction. Mais le représentant de cette 
Maison à Constantinople put cependant se procurer sur 
place un film, que les Allemands avaient utilisé pendant la 
guerre pour l’éducation de leurs troupes stationnées dans la 
ville. Il voulut bien se charger de le faire transformer, et 
de traduire en langue française les inscriptions écrites en 
langue allemande ; les noms des personnages à consonnance 
germanique furent remplacés par des noms bien français. Ce 
film, ainsi remanié, fut argumenté par des médecins. 

Le scénario en est très ingénieux. Il s’agit de l’histoire 
d’un jeune fiancé qui, quelque temps avant de se marier, 
contracte la syphilis. S’étant marié malgré les conseils de 
son frère qui est médecin, il lui arrive malheurs sur malheurs : 
sa femme est contaminée et meurt misérablement à l’hôpital ; 
les enfants qu’elle lui a donnés sont syphilitiques eux-mêmes, 
malingres, chétifs. Le tableau est d’autant plus saisissant, 
que le ménage du frère de ce malheureux avarié est parfaite¬ 
ment sain, composé d’enfants vigoureux et bien portants ; 
il connaît toutes les joies réservées aux familles, dont l’exis¬ 
tence n’est compromise par aucune tare. Une intrigue se 
noue entre un fils du médecin et une des filles du syphili¬ 
tique. Cette dernière, atteinte de syphilis héréditaire, est 
soignée par son oncle qui la guérit après un traitement pro¬ 
longé, suivi pendant plusieurs années, et dont les résultats 
sont attestés par la réaction de Wassermann (petite réclame 
allemande), ce qui lui permet, en définitive, d’épouser celui 
qu’elle aime. 

Les hommes s’intéressèrent à ce spectacle, à la fois dis¬ 
trayant et instructif, qu’on faisait suivre généralement d’un 
film comique ; beaucoup d’entre eux revinrent. Aussi l’an¬ 
née suivante on reprit cette heureuse innovation, pour illus- 

11 


Dejouany 






162 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

trer les causeries prophylactiques faites aux hommes arrivés 
en renfort. Outre le film allemand, on projeta sur récran 
deux films français bien connus : « On doit le dire », et 
« Petites causes, grands effets », qui, sur notre demande, 
nous avaient été adressés de la Métropole. Il s agit plutôt là 
de dessins animés d’une valeur artistique médiocre, très 
inférieurs au film allemand, qui est un vrai film photographié. 
La tournure comique qui a été donnée à ces dessins animés 
a été un peu trop poussée ; aussi les soldats sont-ils, de ce 
fait, portés à prendre peu au sérieux la leçon utile qu’on 
veut leur donner ; ils rient, mais ne réfléchissent pas. 

Quoi qu’il en soit, l’utilisation du cinéma, en vue de l’ins¬ 
truction et de l’éducation hygiénique du soldat, mérite de 
retenir notre attention, à nous, médecins militaires ; il est à 
désirer qu’on poursuive dans cette voie Vétude du cinéma 
moralisateur et vulgarisateur, organe de propagande auprès 
de nos hommes des principes d’hygiène et prophylaxie gé*• 
nérales. 

b) Visites de santé. — Les visites de santé périodiques 
furent passées avec le plus grand soin ; des dispositions 
furent prises pour que tous les hommes, sans exception, y 
assistassent. Elles étaient l’occasion de causeries familières, 
destinées à éclairer le soldat sur l’étendue du péril vénérien, 
particulièrement menaçant à Constantinople, sur les dan¬ 
gers de la rue et du cabaret, sur les avantages de la pratique 
hygiénique et de la fréquentation des cabines prophylac¬ 
tiques. 

c) Cabines prophylactiques. — Ces cabines existaient 
partout dans les casernes ou cantonnements, parfaitement 
installées et bien entretenues ; mais elles n’étaient pas fré¬ 
quentées. Quelle est la raison de cette impopularité géné¬ 
rale ? Pourquoi le soldat ne fréquente-t-il pas la cabine sani¬ 
taire, installée dans sa caserne ? D’abord, parce qu’il y 
rentre tard, à la dernière minute, c’est-à-dire le plus souvent 
de longues heures après le coït dangereux ; il a hâte dé se 
coucher ; il craint d’être en retard à Pappel des permission¬ 
naires. Ensuite et surtout il ne veut pas, par faux amour- 







LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


163 


propre, avouer à l’infirmier de visite, à ses propres cama¬ 
rades, qu’il a eu des relations avec une femme suspecte : fi ! 
la laide aventure ! Cette raison est la vraie raison» elle est 
d’ordre purement psychologique ; nous avons pu en admi¬ 
nistrer la preuve en organisant, avec un succès considérable, 
des cabines prophylactiques centrales , établies en plein quar¬ 
tier de prostitution à Péra, et gérées par des médecins civils , 
c’est-à-dire neutres. Nous en reparlerons ailleurs, 

La manœuvre prophylactique doit-elle être imposée à 
l’homme qui s’est exposé à une contamination vénérienne ? 
Doit-on le punir, s’il a contracté une maladie vénérienne 
sans s'être soumis au traitement préventif ? C’est assez délicat. 
Les Américains, qui vont droit au but, ont résolu la question 
en prélevant, à titre de sanction, une fraction plus ou moins 
importante de la solde du militaire en défaut. Peut-être 
serait-ce là la solution d’avenir pour toutes les punitions 
militaires à infliger, aussi bien aux officiers qu’à leurs subal¬ 
ternes. Peut-être alors les sanctions actuelles, assez « hono¬ 
raires », qu’elles s’appellent arrêts ou salle de police, frappe¬ 
raient avec un peu plus d’éclat les négligences profession¬ 
nelles sans excuses. 

A ce même point de vue de la manœuvre prophylac¬ 
tique, il y a lieu de signaler qu’il a été mis à la disposi¬ 
tion des hommes (toujours d’une manière anonyme) des 
préventyls , des gelo-tubes, nécessaires prophylactiques de 
poche, qui étaient toujours trop peu nombreux pour les de¬ 
mandes. 

d) Bulletin de déclaration. — Recherche des prosti¬ 
tuées malades. — Un bulletin de déclaration fut établi avec 
la plus scrupuleuse attention pour tout cas de maladie véné¬ 
rienne : c’est là un puissant moyen d’action* qui permit de 
pourchasser les femmes dangereuses et de les mettre le plus 
rapidement possible hors d’état de nuire. Ce bulletin était 
rédigé par les médecins eux-mêmes; ceux-ci avaient été invités 
à procéder à un interrogatoire très serré des militaires conta¬ 
minés, à l’effet d’obtenir, à défaut de renseignements précis 
5 ur la femme incriminée et'sur le lieu de contamination, une 






164 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


indication quelconque susceptible d’orienter, même impar¬ 
faitement, les recherches de la police. 

Lorsque le bulletin de déclaration établi ne comportait 
que des renseignements vagues et imprécis, relatifs à l’iden¬ 
tité de la femme, le soldat contaminé était invité- à accom¬ 
pagner dans l’établissement, signalé comme lieu de la conta¬ 
mination, les policiers chargés de l’enquête. Il pouvait ainsi 
indiquer sur place la femme qu’il accusait. Cette dernière 
était soumise immédiatement à une visite de contrôle, et 
envoyée à l’hôpital spécial, quand elle était reconnue malade. 

é ) Isolement et traitement des malades. — Le traite¬ 
ment des malades fut assuré d’abord à l’hôpital de Gul-Hané, 
dans un service spécial, puis à l’infirmerie-ambulance Cor- 
roy, les médecins des Corps de troupe conservant la faculté 
de garder dans leurs infirmeries les blennorragies simples. 
Les malades étaient soignés jusqu’à guérison complète, ou 
jusqu’à disparition des accidents contagieux, lorsqu’il s’agis¬ 
sait de syphilitiques. Un traitement ambulatoire (novarse- 
nobenzol et mercure) était de plus réalisé chez eux, jusqu’à 
leur rapatriement ; il a été réglé avec une extrême minutie 
par des instructions du Directeur lui-même. Un tract était 
remis aux malades à leur sortie de l’hôpital, les éclairant sur 
les précautions, auxquelles ils seraient tenus pendant long¬ 
temps, et sur la nécessité pour eux de continuer à se faire 
soigner pendant plusieurs années. 

B) L’EFFORT PROPHYLACTIQUE INTERALLIÉ 

RÉGLEMENTATION DE LA SURVEILLANCE MÉDICALE 
ET ADMINISTRATIVE DE LA PROSTITUTION 

Dès le mois d’août 1921, les Généraux alliés décident 
d’engager une action commune contre le péril vénérien et 
d’entreprendre, dans la mesure du possible, de réglementer 
la prostitution dans la Capitale. Un' Comité est chargé 
d’étudier cette question, d’établir un programme, et de le 






LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


165 


soumettre au général Harington, Commandant en chef des 
Forces Alliées d’occupation en Turquie. Ce Comité dit « des 
Trois » est composé du Directeur du Service de santé du 
Corps d’occupation français, qui en est le président, du lieu¬ 
tenant-colonel commandant la Prévôté du Corps d’occu¬ 
pation anglais, d’un médecin du Corps d’occupation ita¬ 
lien (1). Il se réunit pour la première fois le 29 septembre 
1921, s’adjoint un certain nombre d’officiers au courant 
des questions de Contentieux et d’Administration, se docu¬ 
mente auprès des médecins et fonctionnaires turcs de Constan¬ 
tinople, poursuit une vaste enquête. Il élabore ainsi un pro¬ 
gramme, exposé par son président dans un rapport de base, 
et dont les directives essentielles sont les suivantes : rema¬ 
niement et augmentation des services de la Police des 
Mœurs, recensement et inscription des filles publiques, leur 
contrôle sanitaire, traitement des femmes malades dans un 
hôpital spécial, refonte du cadre du personnel chargé d’ap¬ 
pliquer les lois et ordonnances. Le projet est approuvé par 
les généraux commandants. Le général Harington décide 
dès lors que la mise à exécution des mesures qu’il comporte 
sera assurée, à partir du 1 er janvier 1922, par le Comité de 
la Police interalliée sous le contrôle technique du Comité 
des Trois. Ce dernier, dont les pouvoirs sont de la sorte pro¬ 
longés et accrus, s’augmente d’un certain nombre d’officiers 
et de fonctionnaires, pris dans les différents Corps d’occupa¬ 
tion, et devient ainsi, le 28 décembre 1921, « la Commis¬ 
sion interalliée de prophylaxie des maladies vénériennes » (2) 
dont le rôle ne devait prendre fin qu’avec l’Occupation. 

Nous allons essayer d’exposer ici, à grands traits, l’œuvre 
de cette Commission et les difficultés de tout ordre, au milieu 
desquelles elle accomplit sa tâche. 


(1) Médecin principal Dejouany, lieutenant-colonel Favelle (Anglais), 
capitaine-médecin Pesaresi (Italien). 

(2) Médecin principal Dejouany, puis médecin principal Vidal, prési¬ 
dent, lieutenant-colonel Maxwell et lieutenant-colonel Favelle (Anglais), 
capitaine-médecin Pesaresi et lieutenant Grandi (Italiens), médecin- 
major Belbèze et commissaire spécial Colombani (Français), Membres# 




LES A'LLIÉS A CONSTANTINOPLE 


166 

La Commission était, avant tout, désireuse d’obtenir dès- 
résultats pratiques immédiats, à l’aide des moyens simples 
dont elle pouvait disposer sur place. Demander une aide 
quelconque, aide financière ou secours en personnel, aux 
Gouvernements alliés, aurait exigé de longs et laborieux 
pourparlers et entraîné une perte de temps inutile. Il fallait 
aller vite. Le mieux était donc de prendre la situation telle 
qu’elle se présentait, d’améliorer plutôt que de chercher à 
bouleverser complètement l’organisation existante, et de 
perfectionner l’outil par la suite, au fur et à mesure des 
possibilités. 

a) La division de la ville en trois secteurs fut maintenue. 
Mais leur surveillance fut attribuée a la Police interalli e , 
qui reçut pour mission d’encadrer la Police turque. A la 
tête de celui de Péra fut placé le chef de la Prévôté britan¬ 
nique ; la direction de celui de Stamboul fut confiée à l’offi¬ 
cier français de gendarmerie, qui y représentait déjà, pour 
ia Police générale, le Comité de la Police interalliée, tandis 
qu’un officier de gendarmerie italien fut chargé de celui de 
Scutari- Kadikeuy. 

b) U fut procédé au recensement de toutes les maisons de 
prostitution , puis des cafés, bars et établissements divers 
employant un personnel féminin, se livrant ou soupçonné de 
se livrer à la prostitution. La Commission réglementa ces 
établissements, en leur imposant des obligations sanitaires 
draconiennes. Des pancartes spéciales, portant la mention 
écrite en trois langues : « Autorisé aux troupes alliées », furent 
apposées à l’entrée de ceux qui déclarèrent se soumettre 
entièrement au contrôle de la Police interalliée. Des écri¬ 
teaux : « Consigné aux troupes alliées » furent placés à la 
porte des établissements suspects, interdits pour n’avoir pas 
accepté la réglementation imposée. L accès de rues entières 
fut de la sorte rigoureusement défendu aux militaires. 

c) La Police interalliée s’occupa en même temps de P as¬ 
sainissement de .la rrue ; elle fit une chasse sans merci aux 
racoleuses. 

d) Pour que cette police des maisons et de la rue fût opé- 




LA MORBIDITÉ VENERIENNE 


167 


rante, une prison et un hôpiral étaient, cela se conçoit, néces¬ 
saires pour la répression des délinquants, pour l’isolement 
et le traitement des femmes reconnues malades. Ni l’un, ni 
l’autre n’existaient. Un hôpital spécial pour femmes véné¬ 
riennes avait bien fonctionné, quoique avec des moyens 
assez précaires, quelques mois auparavant, dans un faubourg 
de Péra, à Chichli ; mais, dans le courant de l’été 1921, il 
avait été détruit par un incendie, et remplacé par un hôpital 
de fortune, insuffisant, à peu près sans ressources. Les 
Turcs se reconnaissant dans l’impossibilité matérielle et 
financière de l’organiser dans une autre formation, ou de 
disposer de locaux nouveaux dans lesquels il serait réins¬ 
tallé ; la Commission rétablit ces différents services, à Ali- 
Hadji-Oglou, dans une caserne de cavalerie située sur la 
rive gauche de la Corne d’Or, que les Anglais évacuèrent à 
cet effet. Les Corps d’occupation alliés fournirent, à titre 
de prêt, le matériel de literie, d’ameublement, des instru¬ 
ments, des effets et des objets de toute sorte pour l’équipement 
de cet hôpital qui comptait 320 lits, mais dont la capacité 
pouvait être portée à 500 lits. Dans une annexe de la for¬ 
mation furent aménagés des locaux, qui servirent de prison ; 
quelques mois après son ouverture, un laboratoire de bacté¬ 
riologie fut annexé à l’hôpital. 

e) La Commission créa également une, puis deux, puis 
trois cabines prophylactiques , en plein quartier des maisons 
de prostitution, à Péra (rue Abanos) et à Galata (rue Zo- 
grafia). Les hommes de troupe, nous l’avons dit., ne fré¬ 
quentent pas les cabines des casernes ; la Commission pensa 
être plus heureuse (et elle le fut, en effet), en organisant des 
cabines prophylactiques, discrètement situées le plus près 
possible du lieu de contamination, et dont le fonctionnement 
serait assuré par un personnel civil au courant de la ma¬ 
nœuvre prophylactique. Deux étudiants en medecine russes, 
de l’armée de Wrangel, réfugies à Constantinople, furent 
chargés, moyennant une rétribution mensuelle de 30 livres 
turques, du fonctionnement de ces cabines. L’ouverture de 
ces dernières, dont la fréquentation était absolument gra- 





168 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


tuite pour les soldats alliés, fut portée à la connaissance des 
troupes d’Occupation et des marins, par la voie de l’Ordre 
général ou d’affiches placardées dans les casernes, avec des 
croquis simples indiquant l’emplacement des cabines ; leur 
entrée était signalée le jour par un drapeau bleu, la nuit par 
une petite enseigne lumineuse de la même couleur. 

Enfin les dispensaires existants furent remaniés, trans¬ 
formés, aménagés et mis en état de répondre aux nécessités 
de la situation. Un hôtel particulier, confortable et propre, 
fut réquisitionné à Galata ; le dispensaire de ce secteur, qui 
se trouvait dans un local sordide, n’ayant de dispensaire que 
le nom, y fut transféré. 

/) Outre ces mesures essentielles réalisées pendant les 
premiers mois de l’année 1922, des dispositions furent prises, 
pour que soit assuré obligatoirement le traitement ambula¬ 
toire des femmes syphilitiques sortant de Vhôpital après 
blanchiment. Des tracts furent remis aux intéressées, conte¬ 
nant en plusieurs langues des renseignements simples, des¬ 
tinés à les éclairer sur leur maladie, sur les précautions à 
prendre, sur la nécessité de se soigner pendant plusieurs 
années, et de se soumettre à un traitement d’entretien assuré 
régulièrement, sans qu’elles soient contraintes d’entrer à 
l’hôpital. Des tracts analogues furent remis dans un but de 
vulgarisation aux tenancières ou aux patrons des maisons 
contrôlées ; ils furent complétés de quelques conseils con¬ 
cernant l’hygiène sexuelle de leurs pensionnaires, malheu¬ 
reusement habituées à des soins hygiéniques plus que som¬ 
maires... une simple serviette mouillée. En Orient, l’eau, le 
bidet, le bock-laveur et le savon sont choses à peu près 
inconnues des femmes qui se louent. 

La Commission fut informée par les médecins et officiers 
de Police, chargés des visites périodiques, que ces conseils 
n’étaient pas suivis. Elle prescrivit alors à la Police interalliée 
de mettre les tenanciers de maisons, employant ou héber¬ 
geant des prostituées, dans l’obligation de munir leurs pen¬ 
sionnaires des objets de toilette nécessaires, et de les con¬ 
traindre aux soins de propreté indispensables. L’ordon- 




LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


169 


nance de police fut placardée dans toutes les chambres de 
prostitution, en même temps qu'une notice en quatre langues 
indiquait aux prostituées ce quelles devaient faire avant 
et après les rapports sexuels . Le tout était imposé, sous 
peine pour les tenanciers d’amendes très élevées et même de 
prison. 

g) L’action de la Commission fut poursuivie sans relâche 
et progressivement développée pendant toute l’année 1922 ; 
la surveillance de la Police fut étendue à des ramifications,* 
encore ignorées, du milieu de la prostitution. Des gratifi¬ 
cations furent attribuées aux agents de la Police morale, 
qui se signalaient par leur zèle et leur honnêteté profes¬ 
sionnelle. De même, des suppléments d’honoraires furent 
accordés aux médecins de l’hôpital ou des dispensaires, 
dont l’activité et le dévouement à la lutte entreprise étaient 
d’autant plus louables, qu’ils ne recevaient quelquefois 
point, pendant plusieurs mois, les honoraires que l’Admi¬ 
nistration ottomane leur devait. 

A côté de ces praticiens qui furent pour les Alliés de pré¬ 
cieux auxiliaires, la Commission eut également à s’occuper, 
pour les combattre, de certains médecins de dispensaires, 
heureusement assez rares, soupçonnés de déclarer saines, 
au moment des visites hebdomadaires, des prostituées ma¬ 
lades, et de les attirer dans des cliniques privées ou dans 
leurs cabinets pour les soigner contre rétribution. Des pros¬ 
tituées, arrêtées à l’improviste pour des infractions aux rè¬ 
glements de police et examinées, furent reconnues malades 
en dépit d’un certificat de santé donné, à elles contre gros 
bakchich par des médecins « marrons ». L’intervention éner¬ 
gique de la Commission auprès de la Direction de l’Hygiène, 
des visites inopinées de contrôle, la menace de sanctions 
rigoureuses firent cesser ces faits rares, mais regrettables. 

h) La réalisation des mesures prévues au programme d’ac¬ 
tion des Alliés, entraîna, on le comprend, des dépenses 
élevées. La création de l’hôpital, de la prison, des cabines 
prophylactiques, la réorganisation des dispensaires, ne pou¬ 
vaient se faire sans beaucoup d’argent. La Commission 




170 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

comptait pour cela sur le produit des amendes, recueillies 
par la Police morale et sur les sommes prévues au budget 
ottoman au chapitre « Hôpital spécial et Dispensaires ». Les 
amendes se révélèrent vite insuffisantes, et le secours pécu¬ 
niaire officiel resta précaire, en raison de l’indigence des 
finances publiques. Il fallut gagner les Turcs à notre cause, 
qui était surtout la leur, et leur montrer 1 interet du pro¬ 
blème d’hygiène sociale à résoudre. La Commission s y em¬ 
ploya de son mieux et finit par obtenir du Gouvernement 
turc, à son profit, une partie des taxes, assez élevées d’ailleurs, 
imposées aux établissements de prostitution et aux prosti¬ 
tuées elles-mêmes ; ces taxes étaient recueillies par les agents 
municipaux turcs. 

Après quelques mois de patients efforts, la Commission 
s’était donc assuré la participation financière de l’Adminis¬ 
tration ottomane. Avec cet appoint et le produit des 
amendes, infligées par la Police interalliée aux tenanciers 
ou prostituées délinquants, la Commission constitua son 
budget des recettes qui, équilibra largement son budget des 
dépenses. Au 1 er mai 1922, après paiement de toutes les 
dépenses, engagées au nom de la Commission durant les pre¬ 
mières semaines de son fonctionnement, ce budget se pré¬ 
sentait avec un solde créditeur de 774 livres turques, soit 
7.500 francs environ. Cette encaisse s’élevait rapidement 
par la suite, atteignait, au 1 er juillet, 1.120 livres turques 
et passait à 5.700 livres turques au 15 octobre. Elle continua 
à osciller aux environs de 5.000 livres turques jusqu’aux 
premiers mois de l’année 1923. A partir de ce moment, l'em¬ 
piètement progressif des Autorités kémalistes sur les attri¬ 
butions des Corps d’Occupation alliés vint paralyser l’action 
de la Police interalliée, qui fut bientôt limitée à la sur¬ 
veillance des sujets et des militaires alliés, de telle sorte 
que le produit des amendes alla en décroissant, pour être 
presque nul au cours des trois ou quatre derniers mois de 
l’occupation. Les réserves constituées avant cette période 
étaient heureusement suffisantes, pour permettre à la Com¬ 
mission de faire face jusqu’au bout aux dépenses prévues à 








LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


174 



son budget. Ses disponibilités étaient encore, en juin 1923, 
de 3.263 livres turques. A la veille du rapatriement des 
troupes alliées, il restait 3.000 livres turques environ, soit 
près de 30.000 francs. Cette somme fut attribuée au Corps 
d’occupation anglais, la majeure portion des versements 
effectués depuis le début, et qui avait permis de payer la 
plus grande part des dépenses, ayant été en effet recueillie 
dans son secteur de Péra (quartier de prostitution par 
excellence). 

Cet exposé général montre, même sans descendre dans les 
détails, à quelles difficultés s’est heurtée la Commission 
interalliée. Il n’est pas superflu de dire un mot ici des em¬ 
barras causés aux Alliés par la question des prostituées mi¬ 
neures, très nombreuses, ainsi que nous l’avons dit, à Cons¬ 
tantinople. La législation ottomane ne permet pas la mise 
en carte des femmes âgées de moins de 18 ans ; aucune mai¬ 
son de correction n’existe en Turquie pour recueillir les pu¬ 
pilles dévoyées, dont le contrôle et la coercition sont de la 
sorte bien difficiles. La nécessité de leur surveillance médi¬ 
cale était cependant justifiée par le nombre élevé des fillettes 
atteintes d’affections vénériennes (5 % environ), pour les¬ 
quelles on avait dû ouvrir des salles spéciales à l’hôpital d’Ali- 
Hadji-Oglou. Emue de cette situation, la Police interalliée 
essaya bien de faire cesser cet infâme.commerce ; mais faute 
d’avoir à sa disposition un établissement pour recueillir les 
fillettes, elle dut se borner à obliger les tenanciers qui les 
accueillaient à les faire visiter périodiquement sous peine 
d’amendes, et à faire consigner les résültats de l’examen 
médical sur des attestations de visite tenant lieu de cartes. 

Au mois de mai 1922 cependant, une Institution de bien¬ 
faisance et de redressement moral, lu Ligue civique, pa¬ 
tronnée par les Autorités alliées, s’installa dans un bâti ment 
annexe de l’hôpital d’Ali-Hadji-Oglou, en vue de recevoir 
les malheureuses enfants arrêtées pour vagabondage ou 
prostitution, et de les orienter vers le travail, vers une vie 
saine et régulière. Le Service de santé français contribua, 
dans une certaine mesure, en prêtant du matériel de literie, 



172 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


à l’aménagement des locaux concédés à la Ligue civique. 
Cette généreuse tentative, à laquelle s’intéressèrent quelques 
personnes charitables de la ville, ne put malheureusement 
se développer, faute d’argent, avec toute l’ampleur suffi¬ 
sante ; cette œuvre, qui semble être restée « en sommeil » 
après le départ des Alliés, mériterait d’être reprise. 


III 

LES RÉSULTATS 

Avant d’examiner les répercussions que, dans leur en¬ 
semble, ces mesures ont exercées sur la morbidité véné¬ 
rienne des troupes alliées, il est intéressant de caractériser 
ici, par quelques chiffres, l’activité du fonctionnement des 
principaux rouages de l’organisation prophylactique. 

U hôpital spécial de Ali-Hadji-Oglou , créé par les Alliés, 
accueillit et traita une moyenne de 250 prostituées par mois. 

Le mouvement des malades pendant l’année 1922 a été 
le suivant : 

En traitement au 1er Janvier 1922. 269 

Nombre de malades entrées à l’Hôpital durant l'année 1922. 2.900 


Nombre de sorties. 

. 2.902 

Restantes au début de 1923.. 

. 267 

Nombre de filles mineures admises. 



Nombre de femmes entre 18 et 35 ans.. 2.685 

Nombre de femmes au-dessus de 35 ans. 70 

Catégorisation des maladies 


Syphilis. 363 

Blennorragie... 2.029 

Syphilis et Blennorragie. 142 

Chancre mou. 25 

Maladies de la peau... 154 

En observation. 127 


Total : 2.840 


















LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


173 


mm 

■HH 



V ^ 7 


A titre de simple documentation, voici comment se ré- 
partissaient, au point de vue des nationalités, les 260 femmes 
qui y furent admises dans le courant de septembre 1922 : 


Turques.... 114 

Grecques. 96 

Arméniennes. 17 

Juives. 10 

Russes. 6 

Autrichiennes. 8 

Roumaines... 4 

Italiennes .. 3 

Française. 1 

Américaine. 1 


Total : 260 

Les chiffres suivants attestent à leur tour le succès qu’eu¬ 
rent, auprès des soldats alliés, les cabines sanitaires civiles 
installées dans les quartiers de la prostitution de la rue Aba- 
nos (Centre de la prostitution à Péra). 


Nombre de Militaires ayant fréquenté 
la Cabine Prophylactique de la Bue Abanos 
1922 


MOIS 

ANGLAIS 

FRANÇAIS 

ITALIENS 

AMÉRICAINS 

TOTAL 

Mars. 

25 

21 

56 

» 

102 

Avril. 

14 

183 

29 

» 

226 

Mai ...... 

213 

387 

72 

» 

682 

Juin. 

323 

386 

39 

» 

748 

Juillet.... 

451 

504 

4 

» 

959 

Août. 

373 

282 

49 

54 

758 

Septembre. 

537 

460 

62 

56 

1.115 

Octobre.. . 

1.258 

574 

61 

18 

1.911 

Novembre. 

867 

553 

81 

» 

1.501 

Décembre . 

994 

774 

102 

» 

1.870 

Total ,.. 

5.055 

4.134 

555 

128 

9.872 





























174 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


1923 


MOIS 

ANGLAIS 

: 

FRANÇAIS j 

ITALIENS 

AMÉRICAINS 

TOTAL 

Janvier ... 

909 

572 

7 

)) 

1.488 

Février . . . 

893 

5*56 

73 

» 

' 1.522 

Mars. 

1.10* 

603 

89 

’ » 

1.793 

A-vril. 

1\ 224 

7 37 

106 

» 

2.067 

Mai . _ ... 

1.449 

784 

165 

» 

• 2.395 

Juin. 

980 

703 

131 

» 

1.814 

Juillet.... 

1.054 

591 

112 

» 

1 1.757 

Total . . . 

7.610 

4 543 

1.28-8- 

» 

12.836 

Total 






général pour 

12.665 

8.677 

1.238 

128 

22.708 

les 17 mois 







Ces chiffres se passent de commentaires ; la faveur dont 
jouirent ces cabines auprès des militaires alliés fut telle, que 
des marins américains* attirés* par leur notoriété, y vinrent 
spontanément au courant de l’été 1922, en assez grand 
nombre. 

Reportons-nous maintenant au tableau, que nous avons 
donné plus haut, des cas de maladies vénériennes observés 
au Corps d’occupation français pendant les- neuf dèrmers 
mois de l’année 1921', pendant toute l’année 1922 et pen¬ 
dant les six premiers mois de l’année 1923. Essayons de les 
interpréter. Les chiffres portent sur une période de 35 mois, 
dans laquelle nous allons, pour faciliter notre étude, envi¬ 
sager des tranches d’égale durée. 

Le nombre des atteintes de blennorragie, qui était pour 
le 2 e trimestre 1921 (avril-mai-juin) de 39 pour un effectif 
moyen de 9.288 Hommes, passe au cours du trimestre cor¬ 
respondant de l’année suivante à 56, pour un effectif pour¬ 
tant moindre (7.718),- marquant ainsi une augmentation 
sensible ; il tombe, lors du 2 e trimestre 1923, ài 29 pour un 
■effectif* fort 1 augmenté* (9.-942'). Les*-cas-de*syphilis^traduisent 




































LA MOHBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


175 


I. — Morbidité pendant les trimestres d’Avril-Mai-Juin 
des années 1921, 1922 et 1923 



EFFECTIF 

CAS DE 

CAS DE 

CAS DE I 


MOYEN 

BLENNORRAGIE 

8TPHILIB 

CHiNCM HOU 1 




°/o 


°/o 



Avril-Mai-Juin 1921... 

9.283 

39 

0,41 

54 

0,58 

24 

0,25' 

Avril-Mai-Juin 1922... 

7.718 

56 

0,72 

26 

0,33 

11 

0,14 

Avril-Mai-Juin 1923... 

9.942 

29 

0.29 

5 

0,05 

4 

0,04 


II. — Morbidité par périodes de 6 mois 



EFFECTIF 

MOYEN 

CAS DE 

i 

CAS DE 

SYPHILIS 

CAS DE 

CHANCRE MOU 




°/o 


°/o 


•/. 

6 derniers mois de 192T 

8.103 

47 

0,58 

125 

1,54 

69 

0,85. 

6 premiers mois de 1922 

7.638 

114 

1,45 

55 

0,72 

29 

0,36 

6 derniers mois de 1922 

9.163 

119 

1,29 

18 

0,19 

35 

0 38 

6 premiers mois de 1923 

9.821 

58 

0,59 

S 

0,06 

8 

0,08 


en revanche, d’une annee à 1 autre, une diminution impres 
sionnante, passant de 54 en 1921, à 26 en 1922 et à 5 en 1923. 

Même remarque en ce qui concerne les cas de chancre 
mou ; même décroissance : 24 — 11 — 4. 

Ces constatations ressortent plus nettement de la lecture 
du 2 e tableau. La blennorragie est en grande augmentation 
du dernier semestre 1921 au premier 1922, puisque malgré 
la réduction des effectifs (8.103 à 7.638) te nombre de cas 
s’élève de 47 à 114. Ces chiffres s’abaissent au cours du 
deuxième semestre 1922, et se traduisent alors par 119 cas 
pour un effectif accru de 1.500 hommes. Cette diminution 
du taux de la morbidité s’accentue encore au cours du pre¬ 
mier semestre 1923 pour la blennorragie, dont on ne relève 
plus que 58 atteintes en six mois. La syphilis et 1e chancre 
mou continuent à décroître également (Cas : 125 55 18, 































176 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


pour la syphilis ; 69 — 29 et 35 — 8 pour le chancre mou). 

L’effort prophylactique interallié datant des premiers 
mois de l’année 1922, il apparaît donc manifestement qu’il a 
exercé une action presque immédiate et très marquée sur le 
développement de la syphilis et du chancre mou, la blen¬ 
norragie offrant tout d’abord une résistance tenace, ne cé¬ 
dant enfin à son tour qu’au début de l’année 1923, pour 
tomber à un chiffre très bas, tout comme le chancre mou, 
au cours des trois ou quatre derniers mois de l’occupation. 
Les raisons de cette résistance passagère de la blennorragie 
sont difficiles à préciser. Peut-être l’élévation du taux de 
sa morbidité est-elle due à l’affluence d’étrangères sus¬ 
pectes, qui vinrent à cette époque grossir les rangs de 
l’armée de la prostitution clandestine ; peut-être aussi la 
manœuvre prophylactique était-elle moins efficace contre 
la blennorragie que contre la syphilis et le chancre mou. 
parce qu’elle était souvent faite incomplètement, trop 
hâtivement dans des cabines surfréquentées. Il est, en 
effet, plus aisé, plus rapide surtout, de se servir de la 
pommade au calomel, laquelle est laissée en place et 
continue son action, que de faire une injection correcte 
d’argyrol qui, par surcroît, tache le linge, ce qui rend son 
emploi moins engageant. 

Les tableaux de morbidité vénérienne dans l’armée an¬ 
glaise, pour l’année 1922 et les six premiers mois de 1923, 
montrent, dans l’ensemble, une diminution nette de cette 
morbidité, puisqu’à l’accroissement considérable des effec¬ 
tifs passés de 4.600 environ à 6.000, puis à 8.000 et à 19 et 
20.000, fut loin de correspondre une augmentation propor¬ 
tionnelle des atteintes vénériennes : environ deux fois à 
deux fois et demie plus de cas de blennorragie ou de syphilis 
primaire, pour des effectifs presque quadruplés, la syphilis 
ne subissant de son côté, pendant le même temps, presque 
aucune élévation sensible. Ces chiffres, mis en valeur encore 
par ceux des pourcentages, témoignent en somme d’un recul 
appréciable de ces affections. S’ils furent moins marqués que 
ceux obtenus dans le Corps d’occupation français, c’est peut- 





LA MORBIDITÉ VÉNÉRIENNE 


177 


être parce que les militaires britanniques, dotés de soldes 
importantes, accrues encore par la hausse de la livre an¬ 
glaise, fréquentaient plus volontiers les milieux de plaisirs, 
s’exposant ainsi en plus grand nombre aux risques de con¬ 
tamination. 

La lutte antivénérienne, poursuivie à Constantinople par 
les Alliés, dans un accord parfait pendant près de deux 
années, a donné des résultats encourageants et comporté des 
enseignements précieux pour nous-mêmes et aussi pour la 
Nation turque. Nous avons pu peser, dans leur ensemble, la 
valeur des différentes armes, dont nous nous étions servis, 
en vue du but à atteindre : l’arme morale (causeries, confé¬ 
rences avec cinéma vulgarisateur, Foyers du soldat, etc...), 
l’arme coercitive (Réglementation sous toutes les formes de 
la prostitution), l’arme prophylactique (Dispensaires, Ca¬ 
bines sanitaires, préventyls). 

L'arme morale est excellente : dans aucun cas, elle ne 
saurait être négligée dans l’armée ; si l’on sait conduire 
l’instruction des hommes avec simplicité et avec bon sens, 
si l’on sait rendre cet enseignement attrayant, attachant, 
on sera suivi, non par tous certes, mais par ceux surtout 
dont il est intéressant d’être entendu. Un bon film, intelli¬ 
gemment argumenté, laisse un souvenir vivace même chez 
les hommes un peu incultes. L’efficacité de l'arme coercitive 
peut être discutée — et elle l’est, certes — dans nos pays 
occidentaux, si épris de liberté ; elle peut s’imposer dans 
certaines conditions de milieu et de temps, comme elle s’est 
imposée aux Alliés à Constantinople pendant l’Occupation. 
Si, à cette époque, la prostitution était arrivée à se déve¬ 
lopper d’une façon monstrueuse, si les maladies vénériennes 
faisaient tant de mal, c’est qu’aucune autorité n’avait su 
leur barrer la route avec assez de vigueur ; la crainte du gen¬ 
darme est, pour beaucoup, le commencement de la sagesse! 
L'arme prophylactique est l’arme de l’avenir ; le programme ? 
raréfier la contamination par la création de dispensaires, 
susceptibles de dépister, donc de soigner très tôt et discrè- 

Dejouany 12 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


178 

tement les affections vénériennes ; instituer le traitement 
abortif pour la syphilis, si c’est possible, smon un traite¬ 
ment hospitalier aussi court que possible pendant la pé¬ 
riode très contagieuse, puis le traitement ambulatoire. Ra¬ 
réfier encore la contamination, en essayant par la manœuvre 
prophylactique de limiter, pour ceux qui y sont, exposes, 
les risques d*un contact dangereux. 

Dans cet ordre d’idées, doit-on préférer la cabine prophy¬ 
lactique ou le nécessaire de poche (préventyl, gélo-tube, etc.) ? 
Il faut bien le dire, vouloir installer dans notre milieu mili¬ 
taire des cabines prophylactiques à domicile, c’est-à-dire à 
la caserne, c’est aller au-devant d’un échec certain ; au con¬ 
traire, nous avons une foi inébranlable (et l’exemple de 
notre 'action à Constantinople le prouve) dans l’aide pré¬ 
cieuse, qu’on peut attendre de cabines prophylactiques cen¬ 
trales. Lorsque cette organisation est possible, elle donne 
d’excellents résultats, sous réserve que ces cabines soient 
situées dans les quartiers mêmes de la prostitution, qu’elles 
soient gérées par un personnel civil, inconnu des militaires, 
qu’elles soient bien comprises et surveillées de près. Quant 
aux préoentyls (1), ils ont bien leurs avantages; le consom¬ 
mateur, si l'on peut dire, a toujours dans sa poche sa « cabine 
sanitaire » ; il lui suffit de pouvoir s’isoler quelques instants 
(ce qui est toujours facile), pour pouvoir se livrer en toute 
discrétion à la manœuvre prophylactique. En revanche, les 
préventyls, même les plus simples (par exemple les gelo- 
tubes 29 expérimentés par le Service de santé français) sont 
chers ; ils nécessitent quelque adresse dans leur emploi. Le 
Corps d’occupation de Constantinople avait été doté, par 
le Ministre, de « gelo-tubes 29 », en vue d’une expérimen¬ 
tation générale, qui avait été, en juillet 1922, préparée 
avec un rare souci des détails ; malheureusement cette 
vaste enquête n’a donné aucun résultat sérieux et utilisable, 


fl) Voir à ce propos, Société de Médecine publique et de Génie sani¬ 
taire (Séances des 25 février et 25 mars 1925) (in Revue d’Hygiene, n° 4, 
avrü 1925). 









la morbidité vénérienne 


179 


parce qu’elle n’a pu être ni développée, ni contrôlée avec 
sécurité, en raison du départ de nos troupes pour le secteur 
de Tchataldja, au moment de la menace grecque, et plus 
tard de leur envoi à Andrinople et en Thrace orientale. On 
peut cependant dire que ce « préventyl », vraiment simple et 
pratique, avait été accepté facilement par nos hommes et 
utilisé par eux ; nous pensons qu on devrait l'adopter dans 
l'armée française. Le Corps anglais à Constantinople était 
doté d’un préventyl, d’un modèle totalement différent, mais 
basé sur les mêmes principes chimiques. 

Les Alliés n’ont pas été peut-être les seuls à tirer avantage 
et profit de leur effort ; nous voulons espérer que l’essai, 
qu’ils ont tenté, n’aura pas été perdu pour la Nation 
turque. Il n’a malheureusement pas dépendu de ceux, 
qui avaient établi ce vaste programme d’hygiène so¬ 
ciale, de voir réaliser leur œuvre sous une forme défi¬ 
nitive ; ils ont été les bons semeurs ; si tous les grains 
qu’ils ont jetés dans le sillon ne poussent pas tous, certains 
germeront, envers et contre toutes les actions contraires. 
L’œuvre de prophylaxie, à laquelle les Alliés se sont dé¬ 
voués, ne peut pas ne pas avoir laissé de traces ; elle est 
comme l’armature de l’organisation sanitaire anti-véné¬ 
rienne, qui s’imposera à l’attention de la jeune République 
Ottomane, éprise de l’étude des grands progrès sociaux. 








CHAPITRE Vn 


L'Œuvre d’Assistance du Serrée de Santé militaire français 


LES RÉFUGIÉS RUSSES DE L’ARMÉE WRANGEL. 
LE DISPENSAIRE DE STAMBOUL. 


Les Français de Constantinople n’auraient pas été des 
Français, s’ils n’avaient été profondément émus de la dé¬ 
tresse et quelquefois de la misère qui étreignaient la classe 
pauvre de la population turque et les milliers de réfugiés, 
venus de toutes parts, chercher dans la Capitale un abri et 
souvent un morceau de pain. Il appartenait au Corps d occupa¬ 
tion français de Constantinople, riche en hommes de cœur et 
en moyens matériels, commandé par un chef généreux,, de 
perpétuer dans ce coin du Proche-Orient nos traditions sécu¬ 
laires d’humanité, d’aide fraternelle et de charité. Le Ser¬ 
vice de santé militaire français s’honore d’avoir été intime¬ 
ment associé à cette œuvre, et d’avoir contribué, par son 
action, à sauver des existences et à soulager des infortunes. 

Il s’agit ici de tendre une main secourable à ceux qui souf- 
frent par l’âge et la maladie : Géorgiens sans ressources, émi- 
grés et invalides russes ; Grecs et Arméniens réfugiés ; indi¬ 
gents de Stamboul. Notre appui s’exprime par des secours 
en argent, par des dons ou des prêts en nature (rations ali¬ 
mentaires, vêtements, moyens de couchage, médicaments, 
matériel sanitaire, etc..) ; il s’exprime aussi par 1 action de 
notre personnel de tout rang, qui s’emploie, avec le plus 
grand dévouement, à sa tâche généreuse. Le cadre de ce 


















181 


l’œuvre d’assistance du service de santé 

travail ne nous permet pas de détailler cet effort, cette colla¬ 
boration avec les œuvres privées ou officielles, étrangères ou 
françaises, qui, pendant plusieurs années, se sont dépensées 
sans compter, pour apporter un peu de gai soleil à tant de 
misère : Croix Rouge russe et Œuvres privées russes (séna¬ 
teur Glinka, M me l’amirale Dumesnil), Croix Blanche russe 
(M me Mitrophanov), Croix Rouge américaine et Near East 
Relief, Œuvres d’Assistance anglaises (lady Harington), 
Croissant Rouge (Prof. Akil Mouktar Bey), Croix Rouge 
française, Goutte de lait de Stamboul (M™ Verdoux), Hôpi¬ 
tal Jeanne d’Arc (MU es Voisin), Pouponnière de Bcbek et 
Dispensaire d’Haidar Pacha (M me la générale Charpy), 
Ligue du Bien public (M«“ Eliasco), Société des Nations 
(M. Childs), d’autres encore. Nous ne voulons retenir ici que 
deux des Œuvres d’assistance, au développement desquelles 
le Service de santé militaire a participé plus étroitement : 
le secours aux réfugiés de l’armée Wrangel et 1 Organi¬ 
sation du Dispensaire français de Stamboul. 


I 

LES RÉFUGIÉS RUSSES DE L’ARMÉE WRANGEL. 

A) L’EXODE, L’ORGANISATION 
ET LE FONCTIONNEMENT SANITAIRE, LA DISPERSION. 

L’Exode. — Dans les premiers jours de novembre 1920, 
l’armée du général Wrangel était bousculée au niveau de 
l’isthme de Pérékop par les bolcheviki ; le gros de ses unités 
refluait en désordre à travers la presqu’île de Crimée, et 
arrivait en quelques jours à Sébastopol. Beaucoup des 
habitants des territoires ainsi abandonnés s’étaient joints 
aux troupes, au cours de la retraite. Tous ces malheureux 
se ruèrent dans le port à l’assaut des navires de la flotte du 
général Wrangel, à bord desquels ils allaient être trans- 



182 JL.ES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

portés à Constantinople, où le Corps d’occupation français 
devait prendre en pitié leur immense infortune. Soldats en 
armes, vieillards, femmes, enfants, s’entassèrent pêle-mêle 
dans les cabines, dans les cales, sur le pont, dans tous les 
espaces disponibles. Avec eux, furent embarqués dans les 
mêmes conditions une multitude de blessés, d’invalides, de 
malades, de contagieux même, provenant des différentes 
formations ou établissements sanitaires de la Presqu’île. 
Les hôpitaux avaient, en effet, été évacués au milieu de la 
plus grande confusion et leurs occupants, civils ou mili¬ 
taires, avaient été transportés au fur et à mesure de leur 
arrivée à Sébastopol sur des bateaux, à bord desquels ils 
furent installés la plupart du temps au petit bonheur, dans 
la cohue des réfugiés valides, partout où il fut possible de 
les glisser. 

Entre le 14 et le 23 novembre, 125 navires ainsi surchargés 
de milliers d’êtres humains venaient mouiller en rade de 
Constantinople. Beaucoup d’entre eux, d’une contenance 
normale de 2 à 3.000 places, avaient à bord 8, 10 et 
même 12.0QQ passagers, parqués comme du bétail, dégue¬ 
nillés, sales, couverts de parasites. Ceux qui avaient passé 
les nuits sans abri sur le pont, étaient transis de froid. Tous 
étaient affamés, car nulle précaution n’avait été prise au 
départ, en vue de leur subsistance. Les vivres et l’eau 
avaient fait défaut dès le début de la traversée de la mer 
Noire ; c’est à peine si du thé, préparé avec de l’eau de 
mer, avait pu leur être distribué. 

L’organisation des premiers secours. — L’Etat-Major du 
Corps d’occupation français avait bien été avisé, vers le 
10 novembre, que des convois de réfugiés devaient arriver 
à Constantinople ; mais il ne savait rien de précis sur leur 
composition et le nombre même approximatif des malades 
ou blessés qu’ils comprenaient. Ainsi, les dispositions 
exceptionnelles, que la situation allait nécessiter, n’avaient 
pu être ni prises, ni préparées. Ce n’est que quelques heures 
avant l’arrivée du premier bateau, le 14 novembre, que l’on 





183 


S*_. 



l’œuvre d’assistance du service de santé 

put avoir une idée de ce qu’il transportait, comme passagers 
et comme matériel. Il en fut de même, les jours suivants, 
pour presque tous les autres navires. C’est donc contre toute 
attente que l’on vit le nombre de réfugiés, d’abord estimé 
à 20 ou 30.000, monter rapidement à 50, 60.000, dépasser 
100.000 et atteindre en définitive 135.000. 

L’arrivée en rade de Constantinople, en quelques jours, 
de masses aussi considérables allait imposer au Comman¬ 
dement et au Service de santé français une tâche particu¬ 
lièrement lourde. Il s’agissait pour nous, en effet, non seu¬ 
lement de recueillir, d’héberger et de traiter de nombreux 
réfugiés, infirmes, malades et blessés, mais encore de pro¬ 
téger les troupes du Corps d’occupation et la population 
même de la Capitale contre le danger redoutable, que leur 
faisait courir la présence, dans les rangs des émigrés, de 
nombreux malades atteints d’affections contagieuses. Pour 
faire face aux difficultés de cette heure critique, le Service 
de santé français eut à improviser en hâte une importante 
organisation, à la réalisation de laquelle, puissamment 
secondé par le Commandement, il consacra tous ses efforts. 
M. le médecin-inspecteur Clouard, Directeur du Service de 
santé du Corps, fut l’âme de cette organisation, qui mit 
en lumière sa grande expérience, la clarté de sa pensée, son 
activité, son autorité, son remarquable esprit de décision. 
Grâce au dévouement inlassable, au labeur écrasant et à 
l’initiative de tous, officiers, infirmières, sous-officiers, 
hommes de troupe, qui malgré leur petit nombre et les dan¬ 
gers courus, s’employèrent de leur mieux, sous sa direction, 
à la tâche commune, les milliers de malades débarqués^ à 
Constantinople avec l’armée Wrangel, purent être abrités, 
isolés et secourus en temps voulu (1). 


m\ m le M-M l re classe Orticoni, envoyé en mission à Constanti¬ 
nople par le Ministre de la Guerre en décembre 1920, a laissé un rapport 
remarquable sur cet effort, et la part qu il a prise lui-meme à la lutte 
générale. Nous nous sommes inspirés de ses idées à plusieurs reprises 
au cours de ce chapitre, et mis largement à profit les renseignements qu il 
avait réunis. 







184 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


C’est en effet des malades et des blessés, qu’on s’occupa 
tout d’abord. Leur triage et leur débarquement furent des 
plus malaisés, tellement était grande la difficulté de circuler 
au milieu de la foule des passagers. Ils furent amenés dans 
un faubourg de Constantinople à Tchéragan et recueillis 
dans des baraques, précédemment occupées par les Services 
du génie et de l’Intendance, et mises pour la circonstance à la 
disposition du Service de santé. Là, après avoir reçu les 
soins les plus urgents, ils furent enlevés à l’aide d’autos 
sanitaires et transportés dans les formations destinées à les 
recevoir. 

Après avoir été débarrassés de leurs malades ou blessés, 
de tous ceux du moins que la mauvaise volonté des occu¬ 
pants ou la résistance de certains médecins russes n’avaient 
pas dissimulés, les navires furent refoulés en rade de Moda, 
sur la rive asiatique. Leurs passagers furent débarqués, 
épouillés, réembarqués ensuite sur les bateaux préalable¬ 
ment désinfectés et dératisés ; ils furent consignés sur ces 
navires jusqu’à leur mise en route pour les pays limitrophes, 
avec lesquels des pourparlers avaient été engagés dès le 
début à ce sujet, ou pendant le temps nécessaire à l’amé¬ 
nagement des camps destinés à les recevoir. 

Un certain nombre de ces réfugiés, 35.000 environ, 
purent être acheminés, après quelques jours d’attente, sur 
des pays voisins ; la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, la 
Grèce donnèrent ainsi l’hospitalité à 12.000 d’entre eux ; 
2.000 furent recueillis par le haut commandement anglais 
au camp de Touzla, 16.000 débarquèrent à Constantinople 
avec, ou sans passeport, 4.500 furent dirigés sur Bizerte par 
le Gouvernement français avec 110 navires de la flotte 
Wrangel. Les 100.000 restants furent répartis dans les 
camps. 

Les Camps. — Ils furent organisés en différents points, à 
l’aide des ressources fournies par le Service de l’Intendance : 
les réfugiés furent abrités sous tentes, sous baraques ou 
dans tous édifices ou locaux d’habitation qu’il fut possible 










l’œuvre d’assistance du service de santé 


185 


d’utiliser. Un médecin militaire français fut désigné dès le 
début, dans chacun d’eux, pour assurer la direction ainsi 
que le contrôle du Service médical, de l’hospitalisation et 
des mesures d’hygiène (propreté, épouillage, désinfection, 
vaccinations, etc...), dont l’exécution incombait au per¬ 
sonnel sanitaire russe (médecins, infirmiers, infirmières 
comptant parmi les réfugiés). Chaque camp fut pourvu 
d’une installation de douches, du matériel et des médica¬ 
ments indispensables au fonctionnement d’une infirmerie, 
les grands malades seuls devant être évacués sur les hôpi¬ 
taux de Constantinople. Quant aux camps de Lemnos et de 
Gallipoli, en raison de leur éloignement, ils furent dotés 
d’hôpitaux. Certains camps n’hébergèrent que des réfugiés 
civils ; d’autres furent exclusivement réservés aux troupes 
de l’armée Wrangel. 

a) Camps civils . —• Situés aux environs immédiats de 
Constantinople, ils servirent d’asile aux familles et aux 
émigrés civils isolés, ayant suivi l’armée dans sa déroute, 
soit une population d’environ 10.000 réfugiés (Camp du 
Port et de la base militaire, simple lieu de transit pour les 
réfugiés de passage, Camp de San Stéfano, Camps Lannes 
et Canrobert près de l’agglomération de Makrikeuy, Camp 
de l’île d’Halki, Camp de Sélimié, près de Scutari, sur la 
côte d’Asie). 

b) Camps militaires . — Plus éloignés de Constantinople, 
ces camps furent aménagés surtout à l’aide d’abris fournis 
par le Service de l’Intendance, ou achetés aux Anglais ou 
aux Américains. Dès les derniers jours de novembre, les 
militaires russes y furent groupés par grandes unités orga¬ 
niques, afin de faciliter le fonctionnement du service de sur¬ 
veillance et de ravitaillement. Dans les camps de la région 
de Tchataldja-Hademkeuy (ultérieurement Kabadja) furent 
rassemblés près de 24.000 Cosaques du Don. Ceux de Lemnos 
recueillirent 18.000 Cosaques du Kouba, pendant que ceux 
de Gallipoli donnèrent asile à 22.000 hommes des troupes 
régulières de l’armée Wrangel et à environ 6.000 civils. 

On utilisa, pour le service sanitaire de ces trois grands 




186 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

groupements militaires, les moyens et les formations dont 
ils disposaient, au moment où ils combattaient en Crimée 
contre l’armée des Soviets. Le groupement. d’Hademkeuy, 
cependant, n’avait, conservé que son personnel et son ma¬ 
tériel régimentaires. Aussi l’hospitalisation de ses malades 
fut-elle assurée par l’hôpital de Saint-Arnaud à Maltrikeuy, 
dans la banlieue de Constantinople. Le groupement de 
Lemnos et celui de Gallipoli avaient, en revanche, leur 
matériel et leurs formations sanitaires propres. 

L’Hospitalisation- — Pour bien comprendre combien ce 
problème de l’hospitalisation fut embarrassant, il faut se 
représenter qu’au mois de novembre 1920 les disponibilités 
du Service de Santé, en personnel, en matériel et en organi¬ 
sations hospitalières, avaient été limitées aux besoins cal¬ 
culés pour un Corps d’occupation à effectif théorique de 
12.000 hommes. Le matériel venait d’être réduit à la suite 
de la liquidation, opérée au cours des mois précédents, des 
importants stocks provenant de l’armée d’Orient. Une 
seule section sanitaire de 15 voitures avait été laissée pour 
nos troupes 5 encore 5 de ces voitures etaient-elles en répa¬ 
ration. Le Centre hospitalier de Constantinople ne compre¬ 
nait plus que 1.000 lits, répartis entre les trois hôpitaux de 
Gul-Hané, Giîfard, Maltépé. Sur ces 1.000 lits, 600 seule¬ 
ment étaient, libres à la date du 14 novembre. Il ne fallait 
pas trop compter par ailleurs, pour augmenter les ressources 
hospitalières, sur les locaux ou etablissements susceptibles 
d’être réquisitionnés et exploités sur place, la ville étant 
surpeuplée et encombrée de réfugiés, venant de la Russie 
méridionale, de Thrace, d’Arménie, d’Anatolie. 

Le 14 novembre, quand arrivèrent les premiers réfugiés, 
des mesures furent prises d’extrême urgence pour étendre 
la capacité des trois hôpitaux du Centre hospitalier. Le 
nombre des lits de l’hôpital Giffard, désigné comme forma¬ 
tion chirurgicale à destination des réfugiés, fut porté de 80 
à 126. A Gul-Hané, une annexe chirurgicale comprenant 
160 lits, fut créée par l’utilisation des baraques ayant servi 












l’œuvre d’assistance du service de santé 187 

à la réserve du personnel sanitaire. A l’hôpital de 'Maltépé 
(ultérieurement, caserne Henrys), centre de contagieux et 
de vénériens, 500 lits purent être organisés en plus des 500 
qui existaient déjà. 

Dans la journée du 14 novembre, 58 réfugiés furent hospita¬ 
lisés. Ce chiffre, encore minime, augmenta considérablement 
le lendemain. Le 15 novembre, en effet, il passait à 368. 
Il fut ensuite chaque jour jusqu au 24 novembre , de 500 à 600 
en moyenne (830 maximum). La contenance de nos formations 
augmentée ainsi qu’il vient d’être dit, jusqu’à l’extrême, fut 
vite dépassée. Le soir du 15 novembre, l’hôpital de Maltépé 
était bloqué. Il fallut créer en toute hâte, le lendemain et 
les jours suivants, de nouvelles ressources. Le 16, l’hôpital 
de Thérapia (590 lits), sur le Bosphore, qui avait été utilisé 
pour nos troupes et venait à peine d’être fermé, fut réouvert 
et aussitôt rempli. Entre le 17 et le 30 novembre furent 
organisés successivement, dans d’anciennes casernes turques, 
l’hôpital de Yldiz (1.300 lits), et de Zeitin-Bournou (450 lits), 
l’hôpital de la Constitution (1.000 lits), de Saint-Arnaud 
(650 lits), de Sélimié (600 lits) sur la côte d’Asie, de Pacha 
Baght.ché (400 lits) sur le Bosphore. La capacité hospitalière 
du Corps d'occupation français avait été ainsi portée en 
quelques jours de 1.000 à 6.125 lits . 

Ces formations complémentaires, équipées avec la hâte 
qu’imposait l’arrivée précipitée des bateaux en rade, per¬ 
mirent « d’étaler » pour ainsi dire au jour le jour. L’ache¬ 
minement des réfugiés, après triage rapide, vers les hôpi¬ 
taux dont ils relevaient, suivant qu’ils étaient contagieux 
ou non, fut bien tenté au début, mais il devint rapidement 
impossible. A peine, en effet, un de ces établissements avait-il 
ouvert ses portes, qu’il était en quelques heures occupé à 
bloc par les malades, amenés de la rade, auxquels on était 
dans l’obligation de donner avant tout un abri et un premier 
secours. On en arriva de la sorte à héberger dans les mêmes 
formations des malades de toutes catégories, contagieux, ma¬ 
lades généraux, suspects. D’ailleurs n’étaient-ils pas suspects, 
tous ces hospitalisés couverts de parasites, qui avaient été sur 



188 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

des navires encombrés, en contact avec des varioleux et des 
typhiques ? Ce n’est qu’après quelques jours et quand le 
nombre des entrées décrût, qu’il fut possible de procéder au 
regroupement des malades, et à 1 isolement des contagieux 
dans des formations spécialisées. 

Le service, dans ces formations nouvelles, fut assuré par 
les médecins, infirmiers, infirmières militaires ou civils 
russes débarqués avec les réfugiés ; elles furent simplement 
dotées d’un cadre médical et administratif militaire français, 
composé d’un médecin-major, médecin-chef, d’un officier 
d’administration gestionnaire et de quelques infirmiers. Ce 
personnel d’encadrement fut prélevé sur celui des organes 
de direction et sur celui de certains hôpitaux. Les médecins 
des corps de troupe furent laissés à leurs unités, où leur 
présence était indispensable, en raison de la menace épidé¬ 
mique créée par l’arrivée des réfugiés, et de la surveillance 
médicale à exercer sur les troupes (application des règles 
d’hygiène, vaccinations et revaccinations). Le matériel fut 
emprunté aux hôpitaux déjà existants, pris sur les 
approvisionnements de la réserve sanitaire, ou prélevé sur 
le matériel dû au Consortium et non encore livré. Le ravi¬ 
taillement en vivres fut assuré par l’Intendance 

Ainsi donc au 1 er décembre 1920, c’est-à-dire 15 jours 
après l’arrivée du premier navire, le Service de santé du 
Corps d’occupation français était déjà organisé, pour exercer 
une surveillance médicale sur 60.000 réfugiés militaires 
(Camps d’Hademkeuy, de Lemnos et de Gallipoli), sur 
10.000 réfugiés civils (Camps de Constantinople), sur plus 
de 30.000 réfugiés sur navires en rade de Moda en instance 
d’hébergement ; enfin il avait en traitement dans ses hôpi¬ 
taux près de 4.000 malades ou blessés. 

La situation s’améliora progressivement pendant les 
semaines suivantes. Les entrées dans les hôpitaux de Cons¬ 
tantinople allèrent en diminuant ; leur moyenne journalière 
tomba à 50, vers le milieu de décembre. On commença dès 
lors à voir clair et à souffler ; la période des hospitalisations 
massives pouvait être considérée comme terminée. L’amé- 








189 


l’œuvre d’assistance du service de santé 


lioration devint encore plus sensible dans la deuxième quin¬ 
zaine de décembre. On n’avait plus, au dernier jour de 1 an¬ 
née que 7 à 8 entrées journalières dans les formations. Les 
chiffres suivants précisent le mouvement des malades dans 
les formations hospitalières de Constantinople, du 14 no¬ 
vembre 1920 au 1 er janvier 1921 : 


Nombre total de* entrées du 14 Novembre au 30 Novembre. 

» » » sorties pendant la même période ... 

» » » entrées du 14 Novembre au 1er Janvier 1921... 

» » » sorties pendant la même période. 

En traitement au 1 er Décembre 1920....... • 

» » au 1" Janvier 1921. 


5.965 

2.338 

8.589 

6.216 

3.664 

2.192 


Par ailleurs, dans les camps, où 1 on s était efforcé de 
compléter l’organisation des formations sanitaires, des ser¬ 
vices d’hygiène, d’épouillage et de désinfection, de déve¬ 
lopper les stations de javellisation de l’eau de boisson, la 
situation s’amende rapidement. Pendant le mois de dé¬ 
cembre 1920, on note 692 entrées dans les hôpitaux de Galli- 
poli et 926 entrées dans ceux de Lemnos, enfin 400 entrées 
dans les infirmeries des camps. 

A la date du I er janvier 1921, le Corps d’occupation fran¬ 
çais a encore à sa charge absolue l’entretien de près de 
80.000 réfugiés, et le Service de Santé leur direction médicale 
et leur approvisionnement sanitaire. Mais la détente se pro¬ 
duit insensiblement et progressivement. Les hôpitaux du 
Corps d’occupation qui comptaient encore 2.192 réfugiés 
en traitement le 1 er janvier 1921 (1), n en avaient plus que 
1.547 le 1 er février. On put alors envisager le regroupement 
des moyens d’hospitalisation et la suppression des forma¬ 
tions de secours, qui avaient dû être ouvertes à Constanti¬ 
nople et dans sa banlieue. Déjà, le 15 décembre, 1 hôpital 


(1) Il ne s’agit ici que des Hôpitaux organisés dans la Capitale ou 
dans ses environs immédiats, les Camps militaires de Lemnos et e 
Gallipoli ayant, comme il a été dit, leurs hôpitaux propres, sous toit, 
sous tentes ou sous baraques. 







190 


LÉS ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


de la Constitution avait été supprimé. Le 24 janvier 1922 
on ferma l’hôpital Saint-Arnaud et, dans le courant du mois 
de février, celui de Thérapia. Le 1 er mars, le chiffre des 
réfugies hospitalises n’etait plus que de 1.224 ; il diminua 
encore par la suite. En mars et avril, les hôpitaux de Zeitin 
Bournou, de Pacha-Baghtché et de Maltépé cessèrent, à 
leur tour, tout fonctionnement. Le 1 er mai, le Corps d’occu¬ 
pation ne conservait plus à sa charge pour les besoins des 
réfugiés russes de Constantinople que deux hôpitaux, celui 
de Yldiz, sur la côte d’Europe (1.000 lits) et celui de Sélimié, 
sur la cote d Asie (400 lits). C’est dans ces deux formations, 
que furent rassemblés tous les réfugiés qui restaient encore 
à cette date en traitement à l’hôpital de Gul-Hané qui fut, 
de la sorte, exclusivement réservé à partir de ce moment, 
ainsi que 1 hôpital Giffard, aux malades et aux blessés du 
Corps d’occupation. 

Après des négociations laborieuses, le Comité central de 
la Croix-Rouge russe pour le Proche-Orient, en décembre 
1921, put prendre à son compte ces deux formations d’Yldiz 
et de Sélimié, (cette dernière bientôt supprimée), dont il 
assura dès lors la gestion, la direction et le fonctionnement. 
Tout le matériel et l’équipement de ces hôpitaux, qui 
appartenaient au Service de santé français, leur furent 
laissés, à titre de prêt. Des rations alimentaires furent, de 
plus, allouées pendant quelque temps encore par l’Inten¬ 
dance française, pour le ravitaillement des malades et du 
personnel. 

L organisation hospitalière, créée par le Service de santé 
français en faveur des réfugiés russes, et qui s’était traduite 
par 138.575 journées d’hospitalisation en 1920 et par 
206.307 journées en 1921, prenait ainsi fin (1). Improvisée 
en novembre 1920, utilisée dans son plein développement 
pendant quelques semaines seulement, elle n’avait pas tardé 
à être réduite progressivement, pour cesser complètement 


Trfü a Le re iî V / des , dé P enses > dit * Compte russe », engagées par le Ser¬ 
vice de santé français, pour fournitures de matériel sanitaire ou de médi- 












191 



l’œuvre d’assistance du service de santé 

son fonctionnement en décembre 1921. Elle avait donc duré 
environ une année. 

L’effort fut considérable ; nous ne pensons pas, au con¬ 
traire, diminuer son mérite en rendant ici hommage àl aide, 
que les étrangers et les Croix Rouges nous apportèrent à 
l’heure critique. Le Service sanitaire ottoman offrit 150 places 
dans ses hôpitaux, à charge de remboursement. Le Corps 
d’occupation anglais se désintéressa entièrement, au début, 
de l’exode Wrangel ; il consentit ensuite, par amitié pour 
nous, à mettre 150 lits à la disposition des réfugiés russes 
blessés, et à prendre la direction médicale du camp de Touzla ; 
enfin il nous prêta pendant quelques semaines six autos 
sanitaires. Le Service de santé italien prêta un médecin et 
le Service de santé grec ne fit rien. La Croix Rouge améri¬ 
caine apporta une aide importante, tant par 1 installation 
d’un hôpital de 150 lits, que par la distribution abondante de 
matériel et de dons en nature. La Croix Rouge russe orga¬ 
nisa un hôpital de 250 lits dans les locaux de l’Ambassade 
russe à Péra. Les Croix Rouges anglaise et italienne partici¬ 
pèrent à l’aide générale par la distribution de dons en nature. 
Enfin la Croix Rouge française (S. B. M.), qui, sous la direc- 


caments et pour frais d’hospitalisation aux réfugiés russes, se traduit 
par les chiffres suivants : 


Exercice 1920 (du 14 Novembre au 31 Décembre) 


Matériel. 

Médicaments. 

Dépenses diverses .. . 
Frais d’hospitalisation 


374.835 fr» 30 
59.183 »> 02 
130.510 » 59 
1.107.406 » 70 


1.671.935 frs 61 


Exercice 1921 (du l* r Janvier au 31 Décembre) 


Matériel. 

Médicaments.. •. 

Dépenses diverses., • « 
Frais d’hospitalisation 


341.142 frs 55 
101.644 » 43 
182.875 » 58 
1.885.819 » 18 

2.510.981 frs 76 


Au 1 er Janvier 1922, date d’arrêté du Compte Russe : 


Dépenses totales engagées, 


4.182.917 frs 35. 














192 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


tion intelligente et dévouée de M lle Voisin, avait organisé 
l'hôpital Jeanne d'Arc à Péra, s’orienta de plus en plus vers 
le traitement des femmes en couches et des tout petits ; 
cette courageuse équipe rendit les plus grands services. 
La Croix Rouge internationale de Genève envoya un 
délégué pour assurer la coordination des efforts des Croix 
Rouges ; elle n’intervint à aucun moment dans la gestion 
des hôpitaux. 

La dispersion des réfugiés. — La réduction graduelle de 

l'organisation hospitalière et l’atténuation des charges, 
qu’elle entraîna, furent la conséquence naturelle de l’amélio¬ 
ration de l’état sanitaire des camps, mieux organisés et plus 
sains, des évasions, et surtout du départ d’un nombre élevé 
de réfugiés pour certains pays, qui avaient consenti à les 
recevoir, après accords intervenus entre la France et les 
Gouvernements intéressés. 

Dans les camps, la situation sanitaire s’amenda rapide¬ 
ment ; les foyers épidémiques furent jugulés après quelques 
mois d’efforts. Dès avril 1921, les graves inquiétudes 
auxquelles avait donné lieu l’état sanitaire étaient dissipées. 
En mai, des convois de réfugiés commencèrent à s’ache¬ 
miner vers les pays limitrophes ; les départs se multi¬ 
plièrent dans le courant de l’été et de l’automne. Le camp 
militaire de Lemnos, fort environ de 18.000 réfugiés au 
1 er janvier 1921, n’en hébergeait plus que 1.500 au 
1 er juin, 7.000 le 1 er juillet, 4.000 le 1 er août, 1.800 le 
1 er septembre, 150 le 1 er octobre ; il était supprimé dans 
le courant d’octobre. Les Camps de Constantinople, 
(camps civils et camps militaires d’Hademkeuy-Tcha- 
taldja-Kabadja) contenaient plus de 30.000 russes au 
x 1er janvier 1921 : ce chiffre descendit à 21.000 le 1 er fé¬ 
vrier, 15.000 le 1 er mars, 7.500 le 1 er mai, 3.000 le 
1 er août, 2.400 le 1 er octobre, 2.000 le 1 er décembre } ils 
étaient liquidés en décembre 1921. — Les Camps de 
Gallipoli, qui comptaient 30.000 réfugiés environ au 
1 er janvier 1921, n’en avaient plus que 27.000 le 












193 


l'œuvre d’assistance du service de santé 

le r mars, 25.000 le 1er j u ; n? 22.000 le 1er août) 14.000 le 
1 er septembre, 12.000 le 1 er novembre, 7.000 le 1 er dé¬ 
cembre ; au 1er janvier 1922, il ne restait plus que 
2.000 rationnés dans les camps de Gallipoli, qui ne tar¬ 
daient pas eux-mêmes à disparaître. (1) 

C’est principalement vers les pays balkaniques, que la 
masse des réfugiés s’écoula peu à peu. La Yougo-Slavie 
et la Bulgarie acceptèrent de recueillir, avec de nombreuses 
familles, les Unités restées constituées de l’armée Wrangel ; 
12 à 15.000 hommes environ furent ainsi envoyés sur le 
territoire de chacune d’elles, où on les employa dans les 
usines, dans les mines, dans les chemins de fer ou à la répa¬ 
ration des routes. Les cavaliers furent préposés ,en Yougo¬ 
slavie, à la garde des frontières. On se souvient qu’en 1922, 
à la suite d’une réclamation du Gouvernement des Soviets, 
ordre fut donné par la Commission interalliée de désarmer 
et de disloquer ces Unités. L’Etat-Major du général Wrangel 
fut dissous à cette époque, et le général fut invité lui-même 
à quitter le territoire de la Yougo-Slavie. 

Un essai d’émigration, tenté à la fin de 1921 à destination 
du Brésil, ne fut pas heureux et n’occasionna que des dé¬ 
boires. Seuls, les cultivateurs expérimentés furent conservés 
par le Gouvernement brésilien; les autres émigrés furent 
refusés et durent revenir en Europe ; certains s’arrêtèrent 
en Corse. 

Quelques milliers de réfugiés obtinrent par l’intermédiaire 
delà Société des Nations, l’autorisation de revenir en Russie; 
d’autres, plus nombreux, se fixèrent à Constantinople. En 
octobre 1923, le chiffre des Russes des deux sexes qui sé¬ 
journaient dans la Capitale était de 34.000 environ. La plu¬ 
part d entre eux ont quitté le pays turc au moment où nos 
troupes sont rentrées en France ; certains, autorisés à sé¬ 
journer sur notre territoire, sont venus grossir la Colonie 


(1) Ces chiffres d’effectifs, d’ailleurs très arrondis et un peu 
approximatifs, sont à rapprocher de ceux qui préciseront, dans le 
paragraphe suivant, la morbidité et la mortalité des Groupements de 
réfugiés. 

Dejouàny 13 




russe déjà fort nombreuse à Paris et dans la Métropole. 

Ainsi se sont essaimés, aux quatre coins du monde, les 
135.000 émigrés russes de l’armée Wrangel. 


B) LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ 
DES RÉFUGIÉS RUSSES 


Nous n’envisagerons seulement ici que l’épidémiologie des 
Groupements russes, en laissant volontairement de côtél’étude 
des affections générales ou saisonnières, ainsi que l’histoire 
des blessés de guerre, provenant de l’évacuation précipitée 
des hôpitaux fixes de Crimée ou des Formations Sanitaires 
de l’armée Wrangel. 

Il n’est pas surprenant, que les réfugiés aient payé un 
lourd tribut aux affections épidémiques. Les conditions les 
plus favorables à la contagion interhumaine n’avaient-elles 
pas été réalisées sur ces navires, à bord desquels arrivèrent à 
Constantinople, dans un entassement indescriptible, au mi¬ 
lieu des contagieux les plus graves, des milliers de malheu¬ 
reux en proie à une effroyable détresse physique et morale, 
épuisés par les privations, torturés par la soif et la faim, cou¬ 
verts de vermine ? 

Des foyers de contagion s’allumèrent rapidement dans 
toutes les agglomérations de réfugiés. Le typhus exanthé¬ 
matique, le typhus récurrent, le choléra, les infections 
typhoïdes apparurent, puis se développèrent bruyam¬ 
ment, exigeant pendant de longs mois la surveillance atten¬ 
tive du Service de santé militaire français. D’autres maladies 
contagieuses, dysenterie, variole, peste, grippe, fièvres érup¬ 
tives, frappèrent les réfugiés ; mais leur petit nombre n’eut 
qu’une influence insignifiante sur le taux et le développe¬ 
ment de de la morbidité. Nous ne passerons en revue, parmi 
ces affections, que les principales, et seulement à grands 
traits. 


1° Le Typhus exanthématique. — Le typhus exanthéma¬ 
tique existait déjà, avant l’exode, dans la presqu’île de Cri- 








195 


l’œuvre d’assistance du service de santé 

mee, où il sévissait, tant dans la population civile, que parmi 
les troupes opérant contre l’armée des Soviets. Au moment 
de l’évacuation, des typhiques en pleine évolution 
furent extraits des hôpitaux de Russie et transportés à 
Constantinople à bord des mêmes bateaux que les autres 
réfugiés ; il n’est donc pas surprenant, que le typhus 
exanthématique se soit manifesté dès le début parmi ces 
derniers, et qu il se soit développé en même temps, aussi 
bien dans les camps de Constantinople que dans ceux de 
Gallipoli et de Lemnos. 

Dans les Camps de Constantinople et de la région d’Ha- 
demkeuy-Tchataldja (1), l’épidémie se développa dès le mois 
de novembre 1920, augmenta rapidement en décembre, 
marqua son maximum en janvier 1921 et diminua en¬ 
suite, pour s’éteindre complètement en mars ; elle se tra¬ 
duisit en définitive par 315 atteintes, dont 30 décès. 

A Gallipoli et à Lemnos, l’épidémie commença seulement 
lorsque les Camps furent aménagés et habités ; elle s’accrut 
ensuite, atteignant son point culminant en janvier 1921 à 
Lemnos, où sa décroissance fut rapide, les derniers cas étant 
observes en mars ; à Gallipoli, elle continua son ascension en 
février, baissa brusquement en mars; elle ne donna lieu, à 
partir de cette époque et jusqu’en août, qu’à un petit nombre 
de cas sporadiques. On observa au total à Gallipoli 517 
atteintes, dont 42 décès, 301 atteintes à Lemnos, dont 25 
décès, soit pour l’ensemble des réfugiés, en tenant compte 
de celles observées à Constantinople et à Hademkeuy, 1.133 
atteintes, dont 97 décès, réparties dans le temps, comme l’in¬ 
dique le tableau suivant : 

Il fallut donc, comme on le voit, 4 à 5 mois pour juguler 
complètement l’épidémie. Les appareils de désinfection et de 
désinsectisation avaient bien ete multipliés dans les Camps, 
avec toute la célérité possible ; mais la pratique systématique 


(1) Tous les cas de maladie, observés dans les camps d’Hademkeuy- 
Tchataldja, ont été réunis à ceux observés dans les camps de Constanti¬ 
nople, sur les hôpitaux desquels étaient évacués les malades de Hadem- 
keuy-Tchataldja. 



196 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 



CAM 

DB CON3TA 

et de la 
dTIadei 

Atteintes 

[PS 

NTIÎIOPLB 

région 

cnkeuy 

Décès 

CA1V 

DE GAL 

Atteintes 

1PS 

XIPOLI 

Décès 

CAIV 

DK LE 

Atteintes 

IPS 

IMHOS 

Décès ! 

I Novembre 1920 . 

39 

7 

» 

» 

» 

» 

I Décembre » . 

93 

14 

32 

18 

22 

4 

1 Janvier 

1921. 

107 

6 

139 

7 

123 

7 

| Février 

» . 

54 

3 

252 

10 

79 

9 

K Mars 

» ...... 

22 

» 

82 

6 

71 

5 

I Avril 


» 

» 

4 

1 

6 

» 

I Mai 

» * . 

» 

» 

2 

» 

» 

» 

I Juin 

» ...... 

» 

T> 

1 

» 

» 

» 

1 Juillet 


» 

» 

2 

» 

» 

» 

Août 

» . 

» 

» 

3 

» 

» 

» I 


Total. 

815 

30 

517 

42 

301 

25 I 


et répétée chez tous les réfugiés des mesures de prophylaxie 
prescrites ne put, faute de personnel, être surveillée de 
façon aussi attentive qu’il eût été indispensable, pour ob¬ 
tenir les résultats immédiats, les médecins russes s’em¬ 
ployant sans ardeur à leur tâche. 

Dans les formations sanitaires, où cette pratique put être 
poursuivie plus rigoureusement et contrôlée avec plus de 
vigilance, les cas de contagion intérieure furent exception¬ 
nels. La maladie frappa cependant mortellement le Médecin- 
Major français Corroy, médecin-chef de l’Hôpital des réfu¬ 
giés Russes de Sélimié, tombé comme un soldat à son poste 
de combat. Parmi nos troupes, il y a lieu de signaler 8 cas 
de contamination, dont un décès, qui se produisirent malgré 
le soin avec lequel les mesures de préservation furent prises. 

2° Le Typhus récurrent. — C’est l’affection qui s’est mani¬ 
festée avec le plus d’intensité parmi les réfugiés. Elle sé¬ 
vissait déjà à l’état épidémique en Crimée ; de plus à bord 
de certains navires, arrivés en rade lors de l’exode, se trou¬ 
vaient des mala,des qui en étaient atteints. Elle occasionna 

































l’œuvre d’assistance du service de santé 


197 


parmi les réfugiés des Camps, de novembre 1920 à mai 1921 : 
3.958 cas, dont 92 décès. Le tableau suivant indique leur 
répartition : 



CAN 

DK CONSTA 

et da la 
d’IIade; 

Atteintes 

IPS 

lHTINOPLE 

région 

mkeuy 

Décès 

CAN 

DB GAL 

Atteintes 

[PS 

LIPOLl 

Décès 

CAV 

DE IB 

Atteintes 

[PS j 

muos ! 

Décès I 

Novembre 1920.. 

169 

» 

» 

» 

» 

)) I 

Décembre » . 

547 

32 

145 

3 

327 

12 I 

Janvier 1921. 

394 

6 

580 

6 

386 

6 

Février » . 

110 

6 

388 

6 

325 

4 

Mars » .. 

74 

2 

114 

2 

161 

2 

Avril » ....... 

6 

» 

10 

» 

13 

» 

Mai » ....... 

1 

» 

6 

» 

1 

» 

Total. 

1.301 

46 

1.243 

17 

1.213 

24 


L’épidémie de fièvre récurrente présenta, on le voit, dans 
sa répartition et son évolution, une marche parallèle à celle 
du typhus exanthématique ; comme cette dernière, elle 
affecta dès le début tous les Camps, mais avec une allure 
plus sévère, pour ce qui est du moins du nombre des atteintes : 
3.258 cas de fièvre récurrente pour 1.133 cas de typhus exan¬ 
thématique. C’est là une particularité qui mérite d’être sou¬ 
lignée. La contagion de la fièvre récurrente exige, en effet, 
l’écrasement préalable du parasite sur l’épiderme, l’inocu¬ 
lation se faisant à travers une lésion de grattage ; ce sont là, 
cependant, des conditions de contamination plus difficiles 
à réaliser, semble-t-il, que la simple piqûre de pou, suffi¬ 
sante pour transmettre le typhus exanthématique. 

L’épidémie atteignit d’emblée ou presque, dès le premier 
ou le deuxième mois son maximum. Comme pour le typhus 
elle put être enrayée en moins de cinq mois ; ici encore les 
mêmes observations s’imposent, relatives à la mauvaise 
exécution, par le personnel médical russe, des mesures près- 


































198 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


crites d’hygiène et de prophylaxie. Elle frappa également 
huit militaires de notre Corps d’Occupation, dont le Médecin- 
Major Le Cousse, des Troupes Coloniales, Médecin-Chef 
des Camps Russes de la région d’Hademkeuy-Tchataldja, 
qui étaient, par leurs fonctions, en rapport avec les Réfu¬ 
giés ; elle n’entraîna fort heureusement chez eux aucun 
décès. 

3° Les Infections typhoïdes. — Les réfugiés impor¬ 
tèrent la fièvre typhoïde et les fièvres paratyphoïdiques, 
comme ils avaient importé le typhus exanthématique et la 
fièvre récurrente. Les mauvaises conditions, dans lesquelles 
s’étaient faits l’exode des Réfugiés et l’installation des 
Camps, au début assez médiocres, laissaient redouter une 
épidémie, d’autant plus à craindre, que la plupart des mi¬ 
litaires de l’Armée Wrangel et des personnes civiles, qui 
les accompagnaient, n’étaient pas immunisés contre les 
infections typhoïdes. Les vaccinations furent entreprises 
aussitôt. Elles permirent, jointes aux mesures mises en 
œuvre pour doter les Camps d’eau javellisée, d’obtenir 
en deux ou trois mois la cessation presque complète de l’épi- 
démie, qui s’était développée dans tous les Camps. La dé¬ 
tente ne fut que passagère à Gallipoli et à Lemnos, où l’on 
constata au cours de l’été 1921 une recrudescence assez 
vive de l’épidémie, les opérations de vaccination n’ayant 
pas été effectuées avec un soin assez rigoureux. Le vaccin 
avait été gaspillé, des hommes avaient été mal vaccinés 
ou ne l’avaient pas été du tout, du fait de l’inertie 
ou du mauvais vouloir des Réfugiés Russes, du manque 
d’énergie de leurs Médecins et du manque d’autorité du 
Commandement Russe. 

a) Camps de la Région de Constantinople et d’Hademkeuy. — 
20 malades entrent, dès leur débarquement, dans les hô¬ 
pitaux de Constantinople où 46 nouveaux cas, dont 3 décès 
sont observés en décembre 1920, 49, dont 5 décès, en janvier 
1921. Mais, à partir de ce moment et jusqu’à la fin de l’année 
1921, il ne se produisit plus parmi la population des Camps, 





199 


l’œuvre d’assistance du service de santé 

avoisinant la ville, que des cas isolés ; 5 cas en février, 6 en 
mars, 3 en avril, 2 en mai, soit 131 cas, dont 8 décès en 
six mois (décembre 1920 à mai 1921). 

b) Camps de Gallipoli. — Les atteintes sont ici beaucoup 
plus nombreuses : 51 cas, dont 11 deces en décembre 1920, 
141 cas dont 18 décès en janvier 1921, 116 cas dont 11 décès 
en février, 32 cas dont 5 décès en mars ; la maladie semble 
s’éteindre en avril (3 cas dont 1 décès), en mai (2 cas dont 
1 décès), en juin (4 cas). Mais en juillet, la courbe s’élève 
(11 cas, dont 1 décès) ; on note en août 94 cas dont 13 décès 
et en septembre 53 cas, dont 11 décès ; les dernières at¬ 
teintes sont constatées en octobre (29 cas). 

c) Camps de Lemnos . — L’épidémie revêt la même allure : 
3 cas dont 1 décès en décembre 1920, 8 cas dont 1 décès 
en janvier 1921, 22 cas en février 1921, 21 cas en mars 1921, 
16 cas en avril 1921. On ne constate plus en mai et en juin 
que 2 et 3 cas dans le mois, mais l’épidémie se réveille aus¬ 
sitôt comme à Gallipoli, se traduisant par 7 cas de fièvre ty¬ 
phoïde ou paratyphoïde en juillet, 62 dont 8 décès en août. 
Ce ne fut heureusement là qu’une flambée. De nouveau, 
en septembre quatre cas seulement étaient observés. 

Les deux poussées constatées à Lemnos et à Gallipoli se 
sont en somme traduites par les chiffres suivants : 

Première poussée \ 

de Novembre 1920 4 Avril ou Mai 1921 ( 347 cas dont 46 décès à Gallipoli. 

( Gallipoli : 28.000 ( 71 cas dont 2 décès à Lemnos, 

Effectif moyen j Lemnos . 18 , 000 ) 

Deuxième poussée 1 

de Juillet à Septembre 1921 / 187 cas dont 23 décès l Gallipoli. 

C Gallipoli : 20.000 1 73 cas dont 12 décès à Lemnos. 

Effectif moyen j Lemnog . 4-000 ) 

En résumé, les affections typho-paratyphoïdiques occa¬ 
sionnèrent dans leur ensemble, entre le 14 novembre 1920 
et le 14 novembre 1921 : 

Dans les camps de Constantinople : 431 cas dont 8 décès. 

Dans les camps de Gallipoli,. 534 cas dont 71 décès. 

Dans les camps de Lemnos ...... : 144 cas dont 14 décès. 

Soit un total de ... 1 809 cas dont 93 décès. 





200 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Ces épidémies n’ont exercé aucune influence sur la mor¬ 
bidité typhoïdique de nos troupes, bien protégées par des 
mesures rigoureuses. En une année, d’octobre 1921 à la fin 
de septembre 1922, on ne traita dans les hôpitaux du Corps 
d’Occupation que 11 cas de fièvre typhoïde ou paratyphoïde, 
avec 2 décès : soit 7 marins, 1 militaire colonial (décédé) 
et 3 militaires métropolitains (dont 1 décédé). 

Si l’on n’a pu juguler tôt et d’une façon complète la fièvre 
typhoïde dans les Groupements Russes, ce n’est certes pas 
faute d’avoir adressé des instructions précises aux Méde¬ 
cins Français chargés du contrôle, aux médecins Russes 
chargés de l’exécution, et même au Directeur du S. de S. 
de 1 armée Wrangel ; pour des raisons dont quelques-unes 
ont été dites plus haut, on eut beaucoup de peine à faire 
vacciner les Russes, et cependant en quelques mois , la Di 
rection du Service de Santé du Corps d’Occupation 
Français n’adressa pas moins de 150 litres de vaccin T A . B. 
aux differents groupements de Réfugiés, dont nous avions 
la charge. 

Dans cette circonstance et dans bien d’autres aussi pres¬ 
santes, l’Institut Pasteur de Constantinople ne nous mé¬ 
nagea pas son concours ; nous désirons le remercier ici de 
l’aide constante, qu’il a bien voulu nous apporter. 

4° Le Choléra. — Cette affection occasionna, au mois de 
décembre 1920, parmi les réfugiés Russes du Camp de Tchi- 
linguir, dépendant des Camps de la région d’Hademkeuy- 
Tchataldja, une épidémie d’allure menaçante, mais heureu¬ 
sement vite enrayée par à une action prophylactique 
prompte et sévère. Il nous a paru intéressant de relater ici 
les épisodes, qui marquèrent l’apparition et la marche de 
cette épidémie. 

Le 4 décembre, étaient constatés à l’hôpital civil Franchet 
d Esperey, à Constantinople, quatre cas bactériologique- 
ment confirmés de choléra, chez des sujets qui étaient traités 
dans une salle, à côté de réfugiés Russes (G. Delamare) (1). 

(1) G. Delamare, Académie de Médecine (25 juillet 1922)j 









l’œuvre d’assistance du service de santé 201 

Ainsi qu il résultait des renseignements fournis aux services 
sanitaires, la maladie avait donné lieu, dans le courant 
de 1 été, dans la presqu’île de Crimée d’où venaient les Ré¬ 
fugiés, à quelques manifestations qui avaient cessé avec la 
saison chaude. On fut amené à supposer que, sans doute, par¬ 
mi les réfugiés admis à l’Hôpital Franchet-d’Espérey, s’en 
trouvaient qui étaient porteurs sains de vibrions cholériques, 
et qui étaient involontairement responsables des cas qui 
venaient de se produire. Les examens nombreux de selles, 
qui furent pratiqués aussitôt sur tous les réfugiés en traite¬ 
ment, n’apportèrent cependant pas la vérification de cette 
hypothèse. Grâce aux mesures prises dans la formation, 
à la vaccination du personnel et de tous les malades, il ne 
se produisit aucune contamination nouvelle. 

L’incident avait donné l’éveil. Aussi le Service de Santé 
Français se tint prêt à vacciner la population civile et tous 
les réfugiés vivant dans les Camps, et jugea-t-il prudent de 
procéder à la revaccination dans le Corps d’occupation de 
tous les militaires, qui avaient été vaccinés depuis plus de 
quatre mois. 

On était donc en situation de demi-alerte lorsque, le 13 
décembre, le médecin militaire français chargé du contrôle 
médical des camps de la région d’Hademkeuy-Tchataldja, 
avisait le Directeur du service de santé, qu’au camp de Tchi- 
linguir (1) 13 malades présentaient, depuis 48 heures, des 
symptômes de diarrhée grave revêtant l’allure du choléra nos- 
tras, et que sept d’entre eux étaient décédés dans la journée du 
13. Le rapport spécial du médecin signalait que les 13 sujets 
atteints avaient, au cours d’une corvée dont ils avaient été 
chargés le 11, bu de l’eau croupissante d’une mare. M. le 
Medecin-Major de l re classe Orticoni, envoyé en mission à 
Constantinople, et qui remplissait avec distinction auprès 
du Directeur du Service de Santé les fonctions temporaires 
d’adjoint technique, se rendit immédiatement sur place 
avec le médecin-major de 2° classe Pauron, chef du Labora- 


(1) Ce camp contenait 10.000 hommes environ. 




202 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


toire de Bactériologie, en vue de procéder à une enquête 
destinée à préciser la nature exacte de ces cas de diarrhée, 
et à effectuer les prélèvements nécessaires aux recherches 
bactériologiques. 

La situation apparut immédiatement plus sérieuse, que rie 
le laissaient supposer les informations reçues. On apprit, en 
effet, par un médecin-général Russe qu il y avait eu en réalité, 
depuis le 10 novembre, 65 sujets atteints de diarrhée grave, 
dont 22 étaient décédés; 45 malades, a écrit M. le médecin- 
major Orticoni, « étaient étendus dans une bergerie, sur un 
« peu de paille ou sur des couvertures, vomissant et allant 
« à la selle... la plupart souffraient de crampes intestinales, 
« et un certain nombre d’entre eux avaient le faciès cholé- 
« rique type (yeux excavés avec congestion de la face et 
«injection conjonctivale, figures amaigries et vidées)». Des 
prélèvements de selles furent faits. Des ordres furent don¬ 
nés, en vue de réaliser immédiatement l’isolement non-seu¬ 
lement de la bergerie, mais du Camp de Tchilinguir. Les ma¬ 
lades furent gardés et traités sur place, au lieu d’être éva¬ 
cués sur les hôpitaux de Constantinople, dont ils étaient nor¬ 
malement tributaires. Les examens de laboratoire, prati¬ 
qués le 15, démontrèrent que le vibrion cholérique était bien 
en cause. Le nombre des atteintes avait augmenté d’ailleurs 
à cette date ; il était de 70, dont 24 avaient été suivies de décès. 

L’émotion fut grande à Constantinople, où il importait au 
plus haut point de préserver la population et les Contin¬ 
gents alliés d’occupation. Le danger était d’autant plus 
inquiétant, que le camp de Tchilinguir n était pas éloigné 
du Lac de Derkos dont les eaux, utilisées pour l’alimenta¬ 
tion de la ville en eau potable, couraient le risque d’être 
contaminées. La mise en quarantaine du camp infecté, l’in¬ 
terdiction de son accès par un cordon de spahis échelonné 
tout autour de lui, la suppression de toute communication, 
par voie de terre ou par chemin de fer, de la population lo¬ 
cale ou des réfugiés stationnés sur le territoire de la zone 
consignée avec les régions limitrophes d’Andrinople ou de 
Constantinople, la vaccination anticholérique pratiquée en 








l’œuvre d’assistance du service de santé 203 

une fois à la dose de 2 cm 3 1 /2 à 3 cm 3 sur tous les occupants 
de cette zone, l’exécution d’importantes mesures d’hy¬ 
giène, de propreté, de désinfection, permirent d’arrêter l’épi¬ 
démie et d’éviter la diffusion de la maladie. Elle n’en avait pas 
moins occasionné, entre le 11 et le 19 décembre (date des 
quatre derniers cas), 88 atteintes dont 49 avaient été sui¬ 
vies de décès. La quarantaine imposée à la zone de 
Tchilinguir fut levée le 17 janvier 1921, les opérations de 
vaccination étant terminées à cette date, et les nombreux 
examens de selles pratiqués n’ayant décelé l’existence 
d’aucun porteur de germes parmi les sujets sains ou parmi 
les convalescents. 

5° La Dysenterie. — La dysenterie qui affectionne en 
général, surtout sous sa forme bacillaire, les agglomérations, 
aurait dû trouver dans les Camps Russes un champ d’ac¬ 
tivité tout à fait favorable à son développement. Il n’en a 
rien été cependant et l’affection ne donna lieu qu’à des ma¬ 
nifestations sans éclat. Ce fait mérite d’être souligné, car 
il témoigne, sans nul doute, du soin qui fut apporté partout, 
dès le début, dans l’œuvre d’assainissement des camps et 
d’épuration des eaux de boisson, 

Dans les Camps de Constantinople, on observa 9 cas de 
dysenterie amibienne en décembre 1920, 4 en janvier 1921, 
1 en février, 1 en mars. A Gallipoli, les premiers cas (six) 
se produisirent en février 1921, six cas furent constatés en 
mars, cinq en avril. Il en fut de même à Lemnos où on ne 
signala d’abord que des cas sporadiques : trois cas en janvier 
1921, dix en février, six en mars, sept en avril. En juin ce¬ 
pendant, éclata brusquement une épidémie de dysenterie 
amibienne, dont il fut heureusement possible de limiter assez 
promptement l’extension : 80 cas en juin, 24 en juillet, 
13 en août. En septembre, tout était terminé. 

6° La Peste. — Cette affection ne donna lieu tout au 
début qu’à une simple alerte. Le 22 novembre 1920, en 
effet, quatre cas de peste bubonique étaient observés àl’hô- 






204 LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 

pital Franchet-d’Esperey, chez des réfugiés qui étaient 
arrivés de Sébastopol, à bord du « Lazareff », avec 800 autres 
réfugiés. Le navire étant encore en rade avec ces derniers, 
il fut possible de le mettre immédiatement en quarantaine, 
de procéder à la dératisation de ses cales, à la vaccination de 
ses passagers et de son équipage. Ces mesures et celles prises 
à l’hôpital pour l’isolement des malades et l’immunisation 
des personnes, qui s’étaient trouvées en contact avec eux, 
suffirent à empêcher la propagation de la maladie. 

Les examens, auxquels procéda à ce moment-là F Ins¬ 
titut Bactériologique Ottoman sur des rats qui furent cap¬ 
turés un peu partout dans la ville, démontrèrent qu’aucun 
de ces rats n’était porteur du bacille de Yersin. 

7° La Variole» — Une explosion de variole était d’autant 
plus à redouter que, dans la masse des réfugiés évacués de Sé¬ 
bastopol, s’étaient trouvés, sur les mêmes bateaux, 13 va¬ 
rioleux en pleine période de suppuration. Aussi les opéra¬ 
tions de vaccination jennérienne furent-elles entreprises 
dès le débarquement, et poursuivies avec vigueur. Elles 
étaient bien nécessaires : un nombre assez élevé de mili¬ 
taires appartenant à certaines Unités de l’Armée Wrangel, 
plus spécialement les Kalmouks et les Tartares, n’avaient 
r subi antérieurement aucune immunisation antivariolique. 
Du 3 au 26 décembre 1920, six cas nouveaux, les derniers, 
furent enregistrés. 

8° Le Scorbut» — Signalée en novembre 1920, chez quelques 
réfugiés sur rade, cette affection fut rapidement maîtrisée. 

Dans le courant de janvier 1922, quelques manifesta¬ 
tions scorbutiques furent signalées, parmi la population russe 
de Gallipoli, par le médecin-chef des troupes françaises de 
la presqu’île. Ces manifestations assez légères, mais tenaces, 
se caractérisèrent par de l’anémie, de l’asthénie, des dou¬ 
leurs musculaires, des hémorragies gingivales. Des mesures 
immédiates furent prises pour enrayer le développement 
de l’affection ; des vivres frais furent substitués deux fois 







v ; 


l’œuvre d’assistance du service de santé 205 

par semaine aux denrées de conserve, délivrées par notre 
Intendance : par vivres frais, il faut entendre, dans le cas 
particulier, les légumes verts, les oignons, les fruits, les 
pommes de terre (la pomme de terre, riche en potasse, est un 
excellent aliment antiscorbutique). Ces mesures, d’ordre 
alimentaire, furent utilement complétées par l’administra¬ 
tion de jus de citron à l’intérieur, soit comme agent prophy¬ 
lactique, soit comme moyen de traitement, et par l’appli¬ 
cation d’une thérapeutique appropriée. 

La maladie néanmoins traîna plusieurs mois, ayant atteint 
une soixantaine de Réfugiés environ, puis disparut, au mo¬ 
ment même où la plupart de ceux-ci allaient être acheminés 
sur des pays limitrophes. 


Le nombre des réfugiés Russes décédés dans les hôpitaux 
du Corps d’occupation ou dans les formations sanitaires des 
Camps, pour la période du 14 novembre 1920 au 1 er novem¬ 
bre 1921, a été de 923, dont 366 par maladies contagieuses. 


Ce long exposé précise la grandeur de la tâche à laquelle, 
sans préjudice de leurs obligations propres, le Commande¬ 
ment et le Service de Santé du Corps d’occupation Français 
se sont consacrés presque seuls, sans défaillance, pendant 
près de 15 mois. Le secours, apporté par la France dans un 
beau geste de charité, n’a pas seulement soulagé des mi¬ 
sères navrantes et sauvé de la mort des milliers de réfugiés 
russes, il a encore permis de protéger, contre le fléau épidé¬ 
mique menaçant, la population de Constantinople, les Troupes 
Alliées et même les Pays voisins de la Turquie. 

C’est une œuvre qui honore notre Pays, notre Armée et 
ses Chefs. 





206 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


II 

LE DISPENSAIRE FRANÇAIS DE STAMBOUL 

Dans les derniers mois de 1921, le Général Charpy, com¬ 
mandant le Corps d’occupation français de Constantinople, 
frappé de la misère qui régnait à Stamboul par suite de la 
prolongation de la Guerre Gréco-Turque et de l’affluence 
des réfugiés, prescrivait à l’un de nous d’étudier la création, 
en plein quartier musulman, d’un Dispensaire, chargé de 
donner aux indigents des consultations médicales gratuites, 
et de leur fournir gracieusement les médicaments les plus 
urgents. 

Le 4 février 1922, le nouveau dispensaire ouvrait ses 
portes ; il était installé rue Gumuchaveli, près de la Sublime- 
Porte, dans un petit hôtel turc, dont la façade donne sur 
la Grand-rue Mahmoudié. La maison avait été complète¬ 
ment remise en état par le Service du Génie du Corps d’Occu¬ 
pation, puis équipée par le Service de Santé. L’immeuble 
était signalé par de grands panneaux encadrés par les couleurs 
françaises et portant, en turc et en français, l’indication : 
« C. O. F. C . Dispensaire Français gratuit » il comprenait : 

Au rez-de-chaussée : l’entrée, les communs et la salle 
d’attente des hommes ; 

Au 1 er étage : le bureau de réception et la salle d’attente 
des femmes ; 

Au 2° étage : le bureau de consultations du Médecin et 
la salle de pansements et de distribution de médicaments ; 

Au 3° étage : le logement du personnel infirmier. 

Le Personnel comportait : un médecin militaire, chargé 
d’ailleurs d’une autre fonction dans la place (1), une secré¬ 
taire-interprète, un infirmier militaire préparateur en Phar¬ 
macie, un infirmier militaire chargé de l’entretien des locaux. 

(1) MM. les médecins-majors de Garrigues, Gelibert et Demerliac 
furent successivement chargés de ce service délicat, qu’ils assurèrent 
avec autant de tact que de distinction. 










SANTÉ 207 


l’œtjvre d’assistance du service de 

Le Fonctionnement du dispensaire était réglé de la façon 
suivante : Au début, les consultations médicales avaient lieu 
tous les jours de 13 à 16 heures, sauf le vendredi (dimanche 
turc) et le dimanche ; par la suite, en raison de l’affluence, 
elles furent données tous les après-midi de 14 à 16 h. (excepté 
le vendredi et le dimanche), et les mardi, jeudi et samedi de 
9 h. à 11 heures. 


(Carte rose ) 


C. 0. F. G. 

Dispensaire Français Gratuit 

DB STAMBOUL 

N* Nationalité. . — — 

Spst.i .. 

En Français 

En Turc 

Nom ft Prénom? 


Aiirr efA .. 




Cette carte doit être conservée 
par le malade et être présentée à 
chaque consultation. 

(Même 
indication 
en Turc). 


Sur le revers de 
cette carte rose on 
inscrit la date de 
la Ire visite et celle 
des visites ulté¬ 
rieures. 


(Carte blanche) 


G. O. F. G. 

jV*. Date _ 

Dispensaire Français de Stamboul 

FICHE RÉPERTOIRE 

Nom et Prénoms - Age - 

Sexe .. Nationalité - 

(Célibataire, Veuf ou marié) 

Adresse ..-. 

RENSEIGNEMENTS MÉDICAUX 
Première visite _ 


Sur le revers de 
cette carte blanche 
le Médecin inscrit 
les renseignements 
techniques re¬ 
cueillis au cours 
des différentes vi¬ 
sites. 


Pour bien comprendre le détail du fonctionnement du 
dispensaire, il suffit de suivre un consultant dès son entrée. 
Il est d’abord conduit dans une salle d’attente (homme ou 
femme), où l’infirmier chargé de maintenir l’ordre lui dé¬ 
livre une fiche portant son numéro d’arrivée, de façon à ce 
que chaque malade se présente à son tour devant le méde- 






















208 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


cin ; exception est faite pour les malades graves, ou pour 
ceux qui, habitant des faubourgs éloignés de la ville, sont 
vus avant tous les autres. Quand son tour est venu, il passe 
dans le cabinet de réception, où la secrétaire-interprète 
prend tous les renseignements (nom, âge, sexe, adresse), 
qu’elle porte sur ses deux registres : répertoire individuel et 
répertoire journalier, puis sur les 2 cartes du modèle ci-des- 
sous, en mettant partout le même numéro d’ordre. 

La première carte (rose) individuelle reste en possession du 
consultant ; la deuxième carte (blanche) est présentée au mé¬ 
decin qui interroge et examine le malade ; le médecin porte 
quelques renseignements cliniques et thérapeutiques sur la 
carte et sur son registre d’observation personnel, puis, il ins¬ 
crit sur une feuille de bloc-notes les médicaments à donner 
ou les pansements à faire. Muni de cette ordonnance et de 
la carte rose, le consultant passe à la salle de pharmacie et 
de pansements, où l’infirmier préposé à ce service exécute 
les prescriptions du médecin. 

Les cartes blanches restent dans les archives du dispen¬ 
saire ; en fin de séance, elles sont rassemblées par le secré¬ 
taire et classées dans un fichier dans l’ordre de leur numéro 
d’ordre. Les ordonnances sont gardées dans la salle de pan¬ 
sements et rassemblées ; elles serviront à justifier les sorties 
do médicaments et des objets de pansements, portées en 
fin de mois sur le registre destiné à cet effet, et à établir le 
budget. 

La consultation est terminée ; le malade rend sa fiche de 
numéro d’arrivée et part avec sa carte rose. S’il revient une 
deuxieme fois, il n’aura qu’à présenter cette carte pour être 
muni aussitôt de la carte blanche correspondante, qui porte 
le même numéro d’ordre et il passera ainsi une deuxième 
visite. Au cours de celle-ci, les renseignements cliniques nou¬ 
veaux sont inscrits à la suite sur la carte blanche,' avec la 
date. Si le malade venait à égarer sa carte rose, il est aisé 
de trouver sa carte blanche correspondante, à l’aide du ré- 
pertoire alphabétique. 
















l’œuvre d’assistance du service de santé 209 

Le fonctionnement des consultations et de la statistique 
médicale, ainsi organisé dès le début, a donné entièrement 
satisfaction par la suite, et il fut conservé sous cette forme ; 
ainsi ont été évitées bien des confusions et des pertes de 
temps, en même temps qu’était tenu avec rigueur le con¬ 
trôle du mouvement des malades. 

Les résultats obtenus furent particulièrement brillants et 
rapides ; très vite le nombre de consultants qui était de 400 
en février 1922 doubla en mars et s’éleva encore, ainsi que 
l’indiquent les chiffres suivants i 


Année 1922 


Février... 


Mars. 

.. 976 

» 

Avril. 

.. 1.161 

» 

Mai.. 

.... 1.649 

» 

Juin.... 

. 1.513 

» 

Juillet ... 

. 1.601 

» 

Août.... f -1 . 

. 1.174 

» 

Septembre..... 


» 

Octobre ....... 

. 1.793 

» 

Novembre ,............. 


» 


Décembre ... 1.440 » 


Janvier, 

Année 1923 


» 

Février. 





Mars,......... 1.076 


Mai 

. 1.129 

» 

Juin..... 


» 


Soit au total en 18 mois près de 25.000 consultations ; 
sur ce nombre, il y avait chaque mois en moyenne de 500 
à 600 consultants nouveaux. 

Les consultants, hommes, femmes et enfants, venaient 
de tous les points de l’énorme agglomération de Stamboul, 
surtout des quartiers de la Sublime-Porte, de Sultan Ahmed 
d’Àk-Seraï, de Fatih. Il en venait de Kassim-Pacha, d’Eyoub 5 
Dejouany 14 























210 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


de Scutari. des nombreux villages du Bosphore ; il est venu 
des consultants même de Makrikeuy, de San Stéfano, d’Ha- 
demkeuy, c’est-à-dire de très loin, attirés par la réputation 
que le dispensaire avait su mériter. 

La variété des affections observées était très grande : 
affections médicales, chirurgicales, vénériennes, maladies 
de la peau et parasitaires, etc... En hiver, prédominance 
nette des affections de l’arbre respiratoire, en été des mala¬ 
dies du tube digestif ou de ses annexes. Peu de paludisme, 
sauf chez les réfugiés d’Anatolie ou de Thrace. A titre d’exem¬ 
ple : les 520 consultants nouveaux de mai 1923 se répartis- 
sait de la façon suivante, d’après la nature de leur maladie 
ou de leur blessure : 


Appareil respiratoire. 142 

Appareil digestif.. 64 

Appareil circulatoire.. 33 

Affections chirurgicales. 94 

Affections cutanées et vénériennes. 195 

Affections diverses. 72 


On faisait sur place les injections d’arsenic ou de mercure 
nécessaires et les pansements (120 à 130 par mois). Les ma¬ 
lades, demandant des examens spéciaux ou présentant un 
intérêt clinique particulier, étaient envoyés aux consulta¬ 
tions médico-chirurgicales de notre Hôpital de base de Gul- 
Hané (Médecin-major Mouchet, professeur à la faculté de 
médecine de Constantinople). 

Quant à la répartition des consultants par sexe et par 
âge, par nationalité ou par religion, ellç s’inscrit avec les 
moyennes suivantes : 


Femmes.... * ...«. 50 % 

Enfants... 30 °/ 0 

Hommes. 20 °/ 0 

Turcs. 81 °/ # 

Israélites. . .,. . , 13 °/ 0 

Grecs 4 °/ 0 

Arméniens. 2 °/ u 


i 























l’œuvre d’assistance du service de santé 211 

Sur ces chiffres, quelques réflexions s’imposent : un pre¬ 
mier point frappe : le pourcentage élevé de femmes et d’en¬ 
fants, par rapport au nombre des consultants hommes. Cela 
tient, semble-t-il, uniquement à ce fait que les consultations 
avaient lieu à des heures peu abordables aux hommes, re¬ 
tenus à leur travail dans la journée. Ici, les heures étaient 
imposées par l’utilisation du personnel militaire, déjà chargé 
d’autres fonctions, mais pour d’autres organisations sem¬ 
blables, peut-être y aurait-il intérêt à prolonger ou à re¬ 
prendre le soir ces consultations, ou encore faire alterner les 
consultations de jour avec les consultations de nuit. Il y a 
lieu, en tout cas, de se féliciter de ce que les femmes turques, 
si réservées cependant, soient venues avec confiance con¬ 
sulter un médecin, qui n’était pas de leur foi. 

En second lieu, presque tous les consultants étaient des 
Ottomans, les Israélites même sont sujets ottomans ; c’est 
dire que notre but, qui était de donner une aide amicale 
surtout aux indigents turcs, a été atteint. Naturellement, 
tout le monde y était admis avec la même égalité, et il n’y 
eut jamais de heurt à ce point de vue. 

Le budget d’une pareille organisation ? Les recettes étaient 
constituées par une allocation mensuelle de 50 livres turques 
(8 francs la livre) du Haut-Commissariat et de 50 livres 
du Général commandant le Corps d’Occupation. Les 
dépenses étaient de deux ordres : les unes relevant du Dis¬ 
pensaire (loyer, personnel civil, chauffage, éclairage et frais 
de bureau) s’élevaient à environ 100 livres turques par mois, 
et étaient compensées par les recettes en numéraire, les 
autres étaient supportées par le Service de santé (médica¬ 
ments, matières de pansement). Des calculs faits on peut 
conclure, qu’en moyenne chaque consultation coûtait 
1 franc, dont 0 fr. 50 pour les médicaments ou les matières 
de pansement ; soit, au total, une dépense de 12 à 1.500 francs 
par mois. C’est extrêmement peu ; il est juste d’ajouter que 
le médecin et les infirmiers, qui étaient militaires, n’étaient 
pas rétribués. 


212 


LES ALLIÉS A CONSTANTINOPLE 


Les résultats, obtenus pendant toute la durée de l’Occupa- 
tion française, montrent que l’œuvre, due à l’initiative chari¬ 
table du général Charpy, s’est brillamment développée ; 
grâce à elle, de nombreux malheureux ont pu, pour quel¬ 
ques milliers de francs bien employés, être soignés, soulagés, 
guéris, répandant au loin, dans la classe reconnaissante du 
peuple turc, si sympathique, le nom généreux de la France. 


Qu’il nous soit permis, au terme de cette étude, d’émettre 
ici le vœu, que cet essai puisse contribuer à un rapproche¬ 
ment toujours plus intime des deux peuples de Turquie et 
de France. Malgré des heurts passagers, malgré certaines 
apparences trompeuses, les deux Nations ont de fortes et 
précieuses qualités communes, qu’il appartient à nos 
hommes d’Etat de mettre en lumière, afin de fortifier entre 
elles une affection ancienne, si profitable à leurs intérêts po¬ 
litiques et économiques, si nécessaire à la paix du monde. 
Des diplomates qui ont nom général Pellé, Franklin-Bouillon, 
Albert Sarraut, des hommes de lettres, comme Loti et 
Farrère, des professeurs comme Marcel Labbé et Aimé 
Mouchet, d’autres encore ont déjà ouvert tout grandie bon 
chemin. Nous, qui avons pendant de longs mois vécu auprès 
du peuple turc, qui l’avons aimé et estimé, qui avons senti 
si souvent battre son cœur à l’unisson du nôtre, nous avons 
le droit d’espérer voir, dans l’avenir, nos deux Pays unis et 
pour toujours par des liens profonds d’amitié. 

Nous serons largement payés de notre effort si tous ceux, 
qui ont vécu la vie du Corps d’occupation, consentent à 
retrouver, le long de ces pages écourtées, un souvenir ému 
de leurs heures passées sur le Bosphore et la trace des ser¬ 
vices que tous, chefs et simples soldats, y ont rendus à leur 
Patrie. Le Corps d’occupation de Constantinople a brillam¬ 
ment marqué à nos couleurs cette terre d’Orient pendant 
trois années ; si nos soldats n’y connurent pas, comme leurs 
aînés, les rigueurs de la Grande Guerre, ils n’en eurent pas 
moins une existence ingrate et sévère, dont il est arrivé 


l’œuvre d’assistance du service de santé 213 

qu’on a quelquefois méconnu le mérite. Des efforts cons¬ 
tants leur ont été demandés, soit pour l’exécution du ser¬ 
vice courant, soit en vue d’opérations, d’occupations, de 
déplacements imposés par les événements politiques et 
militaires. Ils restèrent exposés aux fatigues d’un climat, 
surtout aggressif aux deux saisons extrêmes de l’année, et 
aux atteintes de maladies infectieuses, très répandues dans 
la population civile. Ils savaient que, sous le ciel amollissant 
de l’Orient, ils avaient un rôle grave à remplir : la garde du 
Pavillon français. Soutenus par le sentiment profond qu’ils 
accomplissaient là une tâche importante et nécessaire, ils 
ont courageusement oublié les douceurs de la vie de France, 
et accepté joyeusement leur isolement sur cette terre étran¬ 
gère. 

Que ceux qui, médecins, pharmaciens, officiers d’Àdmi- 
nistration, sous-officiers, infirmiers et dames infirmières, 
ont de près ou de loin pris une part à l’œuvre accomplie 
par le Service de santé militaire français du Corps d’occu¬ 
pation de Constantinople, trouvent ici le juste hommage 
que mérite leur dévouement. La belle route, qu’ils ont par¬ 
courue, leur a été splendidement tracée par leurs aînés qui, 
si loin de leur clocher, sont restés là-bas frappés à leur poste 
d’honneur, et dont les noms, chèrement conservés, tout en 
haut de Péra, sur les stèles de ce riant cimetière de Férikeuy, 
perpétuent le souvenir de leur sacrifice. 










TABLE DES MATIERES 


Pages 

Préface....... I 

Avant-propos,,. 5 

CHAPITRE PREMIER 

DE L’ARMÉE D’ORIENT AU CORPS D’OCCUPATION DE CONSTANTI¬ 
NOPLE. LES PRINCIPAUX EVENEMENTS DE L’OCCUPATION. LE 
DISPOSITIF GÉNÉRAL FRANÇAIS. LES EFFECTIFS ANGLAIS ET 
ITALIENS. 

Année 1920. 9 

Année 1921. 17 

Année 1929. 23 

Année 1923. 27 

CHAPITRE II 

LE CADRE ET LE MILIEU 

I. — Le Cadre (Constantinople et les Dardanelles). 31 

II. — Le Milieu . 39 

1° Le Climat. 39 

2 ° L’habitation. 43 

3° La Rue.... 45 

4° L’éloignement des matières usées. 46 

5° L’alimentation. 46 

6 ° Les eaux potables. 49 

a) Le système hydraulique de la Région de Constanti¬ 
nople. 49 

6 ) La valeur des eaux d’alimentation à Constantinople., 57 
c) Les eaux potables en dehors de la région de Constan¬ 
tinople . 61 



















216 


TABLE DES MATIERES 


Pages 


7° L’hygiène et la protection de l’Enfance.... 62 

8 ° L’hygiène corporelle.. 62 

III. — La morbidité et la mortalité à Constantinople .. 64 


CHAPITRE III 

LA SANTÉ PUBLIQUE OTTOMANE. LES COMMISSIONS SANITAIRES 
INTERALLIÉES ET L’ÉPIDÉMIOLOGIE DU PROCHE-ORIENT 


I. — L’organisation municipale .... 68 

II. — L’organisation d’Etat ... 69 

1° La Direction Générale de la Santé publique.... 69 

2 ° L’administration Sanitaire des frontières. 72 

III — Les Commissions sanitaires interalliées et le problème épi¬ 
démiologique du Proche-Orient . 76 


CHAPITRE IV 

LE SERVICE DE SANTÉ DU CORPS D’OCCUPATION FRANÇAIS 


I. — Les Moyens ... . # 93 

a) Le Personnel .. 93 

b) Lés Edrmalions Sanitaires.. 96 

c) Le Budget. 101 

IL — Le Fonctionnement général.. . 102 

a) La Direction. |q2 

b) L’hospitalisation. 104 

c) L’instruction du Personnel. 108 

d) Les Prévisions et le fonctionnement en cas d’opérations 

actives. Les évacuations. 109 

e\ -L’action hygiénique et prophylactique. 116 


CHAPITRE V 

LA MORBIDITÉ ET LA MORTALITÉ DU CORPS D’OCCUPATION 
l’état civil 


— La morbidité et la mortalité .... 



a) La fièvre de trois jours. 

b\ La Dysenterie..„ . - ... ...... 

c) Le Paludisme. 

. 

. 130 

d) La Diphtérie. aok 

e\ La,Scarlatine __ ............... 

•*••«»< 

. 136 
































TABLE DES MATIERES 217 

Page» 

/) La Méningite cérébro-spinale et le typhus exanthéma¬ 
tique. 137 

g) Les Infections typhoïdes...... 13g 

h) La Varicelle et la Variole... 139 

i) Les Epidémies de 1923. 140 

IL — L'Etat-Civil . 147 

CHAPITRE VI 

LA MORBIDITÉ VENERIENNE 

I. La Prostitution et les maladies vénériennes à Constanti¬ 
nople . 150 

II. — L ’action prophylactique. .. 159 

a) Prophylaxie dans le Corps d’occupation français..... 160 

b) L’effort prophylactique interallié. 164 

III. — Les Résultats . 172 

CHAPITRE VII 

l’œuvre d’assistance du service de santé militaire français 

I. — Les Réfugiés russes de l'Armée Wrangel . 181 

1° L'exode. L'organisation et le fonctionnement sanitaire :. 181 

a) L’exode.. 181 

b) L’organisation des premiers secours. 182 

c) Les Camps..... 184 

d) L’hospitalisation. 186 

é] La dispersion des réfugiés,.... 192 

2° La morbidité et la mortalité des réfugiés russes . 194 

a) Le Typhus exanthématique.*. 195 

b) Le Typhus récurrent. 196 

c) Les Infections typhoïdes. 198 

d) Le Choléra. 200 

e) La Dysenterie et la Peste. 203 

/) La Variole et le Scorbut. 204 

II. — Le Dispensaire français de Stamboul . 200 

Conclusion . 215 

















































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